Orpaillage à Poura et Fara :Des fermes agricoles prises en otage

La prolifération des sites d’orpaillage compromet la production agricole dans certaines parties du Burkina Faso. Poura et Fara, deux communes rurales de la province des Balé dans la région de la boucle du Mouhoun, sont des exemples parmi tant d’autres. Pour l’heure, aucun plan de restauration des sols dégradés n’est envisagé.

 Le soleil annonce une journée caniculaire ce jeudi 14 juillet 2022  à Poura, commune rurale de la province des Balé dans la région de la Boucle du Mouhoun. Les travaux champêtres vont bon train. De part et d’autre de la route reliant le chef-lieu de la commune à la nationale 1, on découvre des champs de maïs, de sorgho, de niébé et des rizières dans les basfonds. Entre secousses et détour dans la broussaille, nous arrivons à destination au bout d’une heure de trajet. Selon des habitants, cette route est noyée dans les eaux du fleuve Mouhoun en période de crue. Pour joindre d’un bout à l’autre, il en faut une pirogue. A première vue, Poura a l’allure d’une ville morte. L’ambiance n’est pas au rendez-vous. Les rues sont désertes, les concessions quasi vides. Une route digne de ce nom, on n’en trouve pas à Poura. Une voie déglinguée nous mène vers les sites d’orpaillage. A l’entrée se dressent çà et là des abris de fortune. Juste devant, un terrain couvert d’alvéoles. Les trous s’étendent à perte de vue. Ce site est en pleine activité. La profondeur de certaines galeries donne des vertiges. Le site grouille de monde. Aux alentours de chaque fosse s’amoncellent des monticules de terres sorties des entrailles du sous-sol. Les corps tachés de terre rouge, les orpailleurs ne semblent pas ressentir la fatigue. Le souhait de chacun d’entre eux, c’est de dénicher le moindre gramme d’or qui fera son bonheur. Ces terres fertiles et riches en minerai sont aussi bien disputées par les orpailleurs que les agriculteurs. Les champs côtoient les sites d’orpaillage. D’autres exploitations sont encastrées à l’intérieur. Ces sites d’orpaillage ont remplacé des champs dont ceux d’Abdoulaye Soré d’une superficie de 7 ha. Ce producteur ne se retrouve plus dans ce méli-mélo qui s’apparente désormais à un champ de ruines. Sur les monticules de terres et les espaces libres entre les puits, c’est le maïs qui pousse. Le champ présente une mauvaise physionomie. Les plants sont flétris et tapis au sol. Les herbes se font rares sur cette parcelle de production. Un peu plus loin, ce sont des champs de niébé et d’arachide. Ces fermes déçoivent de par la mauvaise physionomie des plants. Plusieurs pieds se meurent.

Des pieds d’arachide tapis au sol

Les propriétaires de ces champs semblent les avoir désertés. Renseignements pris, ils se sont engouffrés dans les trous à la recherche de l’or. A proximité de ces fermes agricoles, des orpailleurs s’activent à laver les résidus de minerai à l’aide de produits chimiques. Les chances que ces substances soient déversées dans la nature après une pluie sont élevées. « Sous réserve d’une analyse de ces sols, on peut lier cette mauvaise physionomie des plants à l’exploitation de l’or », indique Aristide Zonou, directeur provincial en charge de l’agriculture des Balé. Orpaillage et agriculture ne semblent pas faire bon ménage. Les cultures font les frais de cette mauvaise cohabitation. « Si par hasard ces produits se retrouvent dans la nature, c’est sûr qu’ils vont contaminer les sols et impacter négativement leur fertilité», lâche-t-il. Le plus inquiétant, c’est quand les effets de ces produits se retrouvent dans l’assiette du consommateur. « Même si ces plants sont arrivés à maturité, si vous faites des analyses, vous trouverez des traces de ces produits toxiques à l’intérieur », éclaire M. Zonou. Par ailleurs, il s’oppose à l’exploitation des sites abandonnés et non restaurés à des fins agricoles. Il signale en outre que la prolifération des sites d’orpaillage n’affecte pas les quantités produites. «Il n’y a pas une réduction des quantités mais on pouvait mieux faire s’il n’y avait pas ces sites d’orpaillage », note-t-il. En lui retirant ses terres, les orpailleurs ont poussé Abdoulaye Soré à prospecter d’autres sites pour poursuivre ses activités agricoles. Car l’espoir de retrouver un jour ses terres perdues s’est dissipé. Avant son départ, il a exigé une compensation. Une chose que les orpailleurs ont acceptée mais pas à la hauteur de ses attentes. Néanmoins il se réjouit d’avoir quelque chose en fin de mois. « J’engrange au minimum 100 000 FCFA par mois », atteste-t-il.

Les inconditionnels de l’or dictent leur loi

A quelques mètres des abris des orpailleurs se trouve le domaine de Claver Banzourou, un autre producteur agricole de Poura. Il exploite un champ d’environ 3 ha à la lisière des sites d’orpaillage. Son domaine est en sursis. Les orpailleurs ont déjà grignoté une partie de son champ pour y établir leurs demeures. Poura n’est pas un cas isolé dans les Balé.

Claver Banzourou s’inquiète pour son champ

Selon Aristide Zonou, toutes les six communes que compte sa circonscription administrative abritent des sites d’orpaillage ou des mines. Les producteurs agricoles de la commune rurale de Fara sont également privés de leurs champs. C’est le cas de Ouéguédo Coulibaly dont la ferme est prise d’assaut par les orpailleurs. Polygame et père de 15 enfants, le « vieux-père » a essayé, au départ, de jouer au Zorro en bandant les muscles contre les orpailleurs. Puis après, voyant que les inconditionnels de l’or ne reculent devant rien, il plia l’échine. « Quand ils ont découvert l’or dans mon champ, j’ai monté la garde pendant une semaine. Malheureusement, la pression était si forte que j’ai fini par céder », se souvient-il amèrement. Les orpailleurs sont sans état d’âme. C’est du moins le constat que dresse Abdou Dramane Djérémi, lui-même responsable des orpailleurs de Fara. Il est, par ailleurs, le représentant du chef. « Si nous découvrons l’or dans un champ, personne ne peut nous retenir. Nous l’occuperons coûte que coûte », souligne-t-il. L’agent d’encadrement agricole de Poura, Daouda Zoungrana, confirme les propos du responsable des orpailleurs. Il atteste que des cas d’incursion d’orpailleurs dans des fermes agricoles sont légion dans la commune. « Il y a eu des situations où le producteur s’est opposé à l’envahissement de son champ mais les orpailleurs sont allés s’installer la nuit », dit-il. Après la dévastation de son champ, Ouéguédo Coulibaly a vite décampé. En guise de contrepartie, les responsables des trous l’ont pris en compte dans le partage du gombo. «S’ils remplissent 10 sacs de minerai, ils me remettent deux que je traite pour extraire l’or», affirme-t-il, le regard perdu dans le vide. Les services en charge de l’agriculture assistent, impuissants, à la transformation des exploitations agricoles en sites d’orpaillage, un fléau qui déteint sur les efforts des producteurs agricoles. Le chef d’Unité d’animation technique (UAT) du village de Toné dans la commune de Fara, Jules Botoni, en est conscient. « Le producteur vit de l’agriculture. Si on lui retire ses terres, comment s’en sortira-t-il ?», s’interroge-t-il. L’orpaillage à Poura et à Fara, estiment certains de leurs habitants, est un mal nécessaire. « Nul n’ignore les conséquences de l’orpaillage sur les activités agricoles et de façon générale sur l’environnement. Mais si nous arrêtons cette activité, nous aurons créé nous-mêmes les conditions favorables au développement de la délinquance à Poura », avertit Michel Nignan, chef coutumier de Poura.

Pour le chef de Poura, Michel Nignan, l’orpaillage est un mal nécessaire

Pour cela, il propose le statu quo ou au cas échéant, d’encadrer l’activité d’orpaillage. Aristide Zonou est du même avis. Il fait remarquer qu’au-delà des pertes de terres cultivables, l’orpaillage absorbe la main d’œuvre agricole. « Un ouvrier agricole qui goûte à l’argent de l’or, vous ne pouvez plus le convaincre de retourner au champ. », dévoile-t-il.

De la restauration des sols

Poura et Fara sont à la fois des communes d’orpaillage et d’agriculture. Abdou Dramane Djérémi, le responsable des orpailleurs de Fara, explique que la résignation des propriétaires terriens est due au fait qu’eux aussi creusent dans des champs d’autrui. « Donc quand ça arrive à leur tour, ils n’ont pas d’autre choix que de laisser les gens travailler », révèle-t-il. C’est également la raison pour laquelle, avoue-t-il, il n’y a pas de confrontation directe entre agriculteurs et orpailleurs. La restauration des sols détruits s’impose. Mais avec quels moyens ? Qui doit endosser cette responsabilité quand on sait que c’est le dernier des soucis des orpailleurs? Ce sont là autant de questions qui taraudent l’esprit de plusieurs habitants de Poura et Fara. Si au niveau des sociétés minières, il est créé un fonds de restauration des sols après leur fermeture, la situation reste sans issue au niveau de l’orpaillage. Abdoulaye Soré semble minimiser les impacts de cette exploitation anarchique sur les activités agricoles, voire sur l’environnement. De son for intérieur, les terres abandonnées par les orpailleurs sont exploitables. « Il est vrai que l’herbe ne pousse pas mais ça n’empêche pas de cultiver. On peut y passer trois campagnes successivement sans utiliser des herbicides», relève-t-il. Pour un paysan qui n’a pas fait les bancs, son raisonnement est peut-être compréhensible. A  la direction provinciale en charge de l’agriculture des Balé, l’on est conscient des effets néfastes de l’orpaillage sur la production agricole. Le patron de cette direction, Aristide Zonou, estime que ces terres dégradées sont impropres à la production agricole. Embouchant la même trompette, Daouda Zoungrana du service en charge de l’agriculture de Poura, explique en substance que les sols contaminés au cyanure ou au mercure sont difficilement récupérables. « Dans les zones touchées par l’orpaillage, nous conseillons les agriculteurs d’abandonner leurs champs. Parce que la restauration des terres contaminées est très couteuse », avance-t-il. La restauration de ces sols, selon Jules Botoni, dépend de la profondeur des galeries. Pour les trous peu profonds, il pense qu’on peut les boucher. Mais remblayer les plus profonds n’est pas chose aisée. Du côté des collectivités territoriales, la question est abordée sous un autre angle. Hassane Ouédraogo, président de la commission des affaires générales de la délégation spéciale de Fara, exhorte les autorités à mettre l’accent sur la sensibilisation des acteurs. « Les orpailleurs déracinent les arbres, détruisent les sols en creusant des trous partout, bref, anéantissent tout sur leur passage », marmonne-t-il.

Un champ de maïs bordant un site d’orpaillage

En ce qui concerne Abdou Dramane Djérémi, le problème se trouve ailleurs. « La population s’accroît. Les terres cultivables sont insuffisantes. Que faire ? C’est devenu un grand souci pour tout le monde », se lamente-t-il, prônant toutefois la clémence et la compréhension de tous. Le chef de Poura, Michel Nignan, fait partie de ceux qui ont cédé une partie de leurs terres aux orpailleurs. « On n’est pas contre l’orpaillage, mais il faut préserver les terres », soutient-il. Par ailleurs, il refuse que l’on endosse cette dette environnementale aux orpailleurs seuls. Il en veut à l’Etat qui n’a pas assumé sa responsabilité depuis la fermeture de la mine. « Poura n’a pas été détruite par l’orpaillage, c’est la responsabilité de la mine. Ce qu’elle a laissé comme passif est très grave», tranche-t-il. Le directeur provincial en charge de l’agriculture reconnaît que la restauration des terres dégradées n’est pas une mince affaire. Pour des raisons financières, il n’est pas sûr que l’Etat seul puisse supporter le coût.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

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