Dépendance de l’Afrique de la chaine alimentaire : Se recentrer sur des solutions endogènes

Les dirigeants africains doivent faire encore preuve de volonté politique pour limiter la dépendance du continent.

Début juin, le président en exercice de l’Union africaine, le président sénégalais, Macky Sall, rencontrait son homologue russe, Vladimir Poutine. Au nom de l’organisation continentale, Macky Sall s’est donné pour mission de plaider pour la libération de céréales et d’engrais, à destination de l’Afrique, bloqués par la Russie dans les eaux ukrainiennes. Quelle que soit l’issue d’une telle démarche, la dépendance de l’Afrique sur le plan alimentaire amène à la réflexion.


Si le conflit russo-ukrainien se déroule bien loin de l’Afrique, ses conséquences, elles, sont déjà ressenties sur le continent noir à travers la flambée des prix de certaines denrées alimentaires. Pire, des céréales comme le maïs et surtout le blé, dont il est dépendant vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie, risquent d’être totalement absentes, si le conflit entre l’Ukraine et son voisin russe perdure. Avec le risque de faire face à une famine.

Avant le conflit, plus de 40 % du blé consommé en Afrique provenait soit d’Ukraine, soit de Russie. En Afrique du Nord, dans les pays comme l’Egypte, la Tunisie, on craint toujours des émeutes de la faim. Et un grand pays comme la République démocratique du Congo qui compte 90 millions d’habitants, dépend à 70% du blé, du maïs et des engrais qui viennent d’Ukraine et de la Russie.

Une situation qui risque d’être explosive au regard du contexte déjà difficile dans lequel se trouve l’agriculture en Afrique, marquée par l’impact du climat, l’insécurité et les mauvaises récoltes dans plusieurs pays.

En rencontrant l’homme fort de la Russie, sous le costume de président en exercice de l’Union africaine, le président Sall, entendait le sensibiliser, au nom de l’Afrique, sur la crise alimentaire qui guette le continent tant qu’il n’y aura pas une désescalade.

En effet, environ 20 millions de tonnes de céréales sont actuellement bloquées en Ukraine, en raison d’un dispositif militaire russe qui empêche leur écoulement. Et l’Ukraine a miné ses eaux, par peur d’une invasion russe par la mer noire.

En attendant de rencontrer son homologue ukrainien, le président de l’UA a aussi plaidé pour le déminage du port stratégique d’Odessa pour permettre le chargement des cargos de marchandises, estimant avoir eu des garanties de non-agression de la part de M. Poutine.

En quittant son hôte russe, le président sénégalais a, certes, affiché son optimiste en indiquant qu’il a été rassuré mais depuis lors, c’est le statu quo.

Les décideurs interpellés

Cette situation interpelle à plus d’un titre les décideurs et dirigeants africains quant à la question de l’auto suffisance et à la sécurité alimentaire sur le continent. Au regard de ses immenses potentialités et ses atouts en matière agricole, il est désolant de voir que l’Afrique continue d’importer des céréales pour nourrir sa population.

Malgré ses énormes potentialités agricoles, l’Afrique continue d’importer sa nourriture.

Il est vrai que l’agriculture en Afrique connait de nombreux obstacles :accès limité aux intrants, aux financements et aux terres agricoles, carences des systèmes de transport et de logistique. D’énormes défis restent donc toujours à relever pour mettre fin ou à défaut limiter de façon drastique les importations sur le plan alimentaire.

Cela passe nécessairement par l’amélioration de la chaine d’approvisionnement : de la production agricole au transport (modernisation des infrastructures routières), en passant par la commercialisation.

Parlant de responsabilité des dirigeants africains, il est loisible de rappeler les engagements pris par les chefs d’Etat africains pour le développement de l’agriculture sur le continent et qui peinent à être totalement respectés.

En 2003, à Maputo au Mozambique, lors de la Conférence de l’Union africaine, il a été résolu de mettre en œuvre le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA) et les pays se sont engagés à allouer au moins 10 % de leurs ressources budgétaires nationales au développement agricole et rurale avec la promesse d’atteindre une croissance de l’économie agricole de 6% par an.

Ce programme fort ambitieux repose sur quatre piliers : gestion durable du foncier et des ressources en eau, développement des infrastructures rurales et commerciales pour un accès renforcé au marché, augmentation de l’approvisionnement alimentaire et de l’éradication de la faim et enfin de la diffusion de nouvelles technologies et de l’appui à la recherche agricole.

Ces engagements ont été renouvelés lors de la session de l’Union africaine en 2014 à Malabo, en Guinée Equatoriale, avec l’engagement des chefs d’Etat de renforcer le financement des investissements dans l’agriculture, éliminer la faim et réduire la pauvreté d’ici à 2025 et surtout stimuler le commerce intra-africain des produits et services agricoles.

Force est de constater que près de 20 ans après ces engagements de Maputo et de Malabo, le constat et que le continent continue d’importer sa nourriture.

En attendant de ne plus être dépendant de blé ukrainien, russe ou d’ailleurs et inverser la tendance, des solutions pourraient venir d’initiatives locales individuelles comme c’est le cas du chef André Bayala au Burkina Faso.

Cet artisan-boulanger et maitre chocolatier utilise de la farine à base de céréales locales pour la fabrication du pain. Au total, sept variétés différentes dont le petit mil, le sorgho, le riz et le sésame sont utilisés, avec à la clé une demande très prisée mais qui dépasse fortement l’offre.

Cet exemple montre à souhait la nécessité pour les africains de faire appel à leur génie créateur en proposant des solutions endogènes pour ne plus dépendre de l’Occident pour se nourrir.

Gabriel SAMA