Production de la patate sur la plaine de la Léraba : une intruse qui force l’admiration

Sur la plaine de la Léraba, la patate douce tend à devenir la culture-phare.

Avec un potentiel de 1 500 hectares, la plaine de la Léraba, dans la région des Cascades, compte 410 hectares aménagés. Les principales cultures qui sont inscrites dans le cahier des charges sont le riz, le maïs et les productions maraichères. Mais pour des questions de rentabilité, la patate douce s’est invitée et force l’admiration sur la plaine. De nos jours, elle est en passe de ravir la vedette aux spéculations dites officielles.

A un jet de pierre du canal principal, ce mardi 16 mai 2023, Mamadou Vounvansé Soura s’active dans son champ de patate douce. Casquette sur la tête pour se protéger des rayons solaires et à l’aide de sa daba, il inspecte les buttes les unes après les autres afin de les débarrasser des plantes adventices. Nous sommes sur la plaine aménagée de la Léraba, sise dans la commune de Douna, région des Cascades.

Ce matin-là, M. Soura est à son troisième passage pour lutter contre les herbes indésirables. Après ce travail de nettoyage, il lui reste à appliquer l’engrais minéral avant d’espérer une bonne moisson. Cela fait une décennie que Mamadou « bosse » sur la plaine sur une superficie de 0,25 hectare (ha). Selon le cahier des charges en vigueur à la plaine, la production doit être focalisée sur les céréales, notamment le riz et le maïs, et les cultures maraichères. Mais contre toute attente, à l’image des autres producteurs, M. Soura a opté pour une autre culture, plus bénéfique, à l’écouter.

En effet, il a introduit la patate douce dans ses activités agricoles ; ce qui est en déphasage avec le règlement intérieur du périmètre irrigué. Cette aventure dure maintenant depuis six saisons et il dit s’en tirer à bon compte. Sur sa parcelle, le sexagénaire alterne la production de la patate douce à celle du maïs et de l’oignon. Pour le riz, il l’a essayé une et une seule fois avant de déchanter. La raison est que sa parcelle est située sur une côte et que l’eau n’y reste pas longtemps après l’irrigation.

Si M. Soura a mis l’accent sur la patate douce, mentionne-t-il, c’est parce qu’elle est nettement plus rentable que le maïs et le riz. Pour cette campagne agricole sèche, toute sa parcelle est peuplée de buttes rondes sur lesquelles rampent des tiges de patate. Les

Les rendements de la patate tournent autour de 27 tonnes à l’hectare à Douna.

bordures du champ sont délimitées par des haies vives de manioc comme pour le protéger des intempéries. Sur la rentabilité, Mamadou préfère être pragmatique. « Après les récoltes, je peux gagner 50 sacs de 50 kg de patate.

Cette production peut me permettre d’empocher, après la vente, entre 200 et 250 000 F CFA », dévoile-t-il. En revanche, fait-il remarquer, si le maïs est produit sur la même parcelle, il ne peut excéder quatre sacs de 100 kg. « Si par exemple le sac coûte 16 000 F CFA, je me retrouve avec 64 000 F CFA. Donc insignifiant », estime Mamadou.

Imposée pour ses retombées économiques

Tout comme M. Soura, ils sont nombreux les producteurs qui ont introduit la patate douce dans leurs activités agricoles, au grand dam des responsables de la plaine. Selon ces derniers, les tubercules n’étaient pas inscrits dans le cahier des charges de la plaine. « L’objectif premier du périmètre irrigué est la production céréalière dont le riz et le maïs.

La patate douce s’est invitée au regard de ses rendements économiques », explique l’agronome du Projet d’aménagement et de valorisation de la plaine de la Léraba (PAVAL), Boureima Kafando. Il précise que c’est autour de 2002 que la patate a commencé à s’introduire à la plaine. De nos jours, elle est en passe de supplanter les cultures qui sont officiellement acceptées.

Le producteur Alphonse Djiguirbié Siri, présent sur la plaine depuis 1987, reconnait que les débuts de l’introduction de la patate n’ont pas été faciles. « La lutte a été farouche avec les techniciens de la plaine pour qu’on nous accepte la patate », se souvient-il. Drissa Coulibaly a 66 ans dont 12 sur la plaine en tant que producteur de maïs. Cela fait une décennie qu’il a choisi d’expérimenter la patate, en l’alternant avec le maïs sur sa parcelle de 0,80 ha.

Drissa s’est tourné vers cette culture pour les mêmes raisons de rentabilité. « Ce sont des camions de 10 ou 15 tonnes qui viennent charger mes patates et je peux avoir 1 250 000 F CFA par vente. Après déduction des dépenses, je me retrouve parfois avec un bénéfice net de 500 000 F CFA », indique-t-il. Pour lui aussi, la production de la patate est moins contraignante et bénéfique que celle du maïs. Alassane Soura, producteur sur la plaine depuis une vingtaine d’années dont sept dans la culture de la patate, ne dira pas le contraire. Sur son périmètre de 0,40 ha, il arrive à faire des merveilles.

« Quand je produis la patate, je peux avoir entre 800 mille et 1 million F CFA alors que le maïs me rapporte environ 300 000 F CFA », compare-t-il. Au vu de ces résultats, M. Soura

Mamadou Vounvansé Soura dit engranger des bénéfices énormes
dans la production de la patate.

clame que le choix ne souffre plus d’aucun débat. Avec sa petite expérience de cinq ans dans la production de la patate douce, Alphonse Djiguirbié Siri se réjouit de pouvoir joindre les deux bouts. Sur son terrain de 0,91 ha, il cultive le maïs en saison sèche et les tubercules en hivernage.

Sa production de patate se situe entre 20 et 25 tonnes par campagne. A la vente, ce sont des camions de 10 tonnes qui constituent l’unité de mesure. A l’entendre, les prix ont chuté cette année et le chargement a coûté entre 1 et 1 million 250 mille F CFA. Alors que les années précédentes, avance M. Siri, le même chargement se vendait entre 2,5 et 3 millions F CFA.

Une forme de résignation

Au fil du temps, la patate douce s’est imposée sur la plaine de la Léraba. Sur les 120 producteurs, rares sont ceux qui ne l’ont pas encore expérimentée. Mieux, certains sont devenus des vétérans dans la production de ce tubercule. Sanaba Siri, 64 ans, travaille sur la plaine depuis 1988. Il fait partie de ceux qui ont « bataillé dur » pour que la patate soit admise sur le périmètre irrigué.

« Les responsables de la plaine voulaient qu’on produise uniquement le riz et le maïs. Nous leur avons demandé de nous laisser insérer la patate pour subvenir à nos besoins », souligne-t-il. De nos jours, les techniciens de la plaine semblent s’accommoder de la situation. Du reste, ils sont même disposés à accompagner les producteurs afin de booster davantage leurs rendements. « Nous sommes en pourparlers pour voir comment introduire la culture de la patate dans le cahier des charges.

Au regard de ses retombées économiques, elle peut être promue », affirme l’agronome du PAVAL. Mais, s’empresse-t-il de prévenir, il faudrait faire des rotations et ne pas produire la patate en continu. Dans cette dynamique, le PAVAL oriente déjà les producteurs vers des sols adaptés à la culture de la patate, tout en leur apportant des engrais minéraux à prix subventionnés. « Nous avons près de 100 ha dans une zone sableuse, propice à la production de la patate douce. Ceux qui veulent se lancer dans cette culture vont être orientés vers cette zone », révèle Boureima Kafando.

Concernant les engrais, il assure qu’une grande quantité est en cours d’acquisition au niveau du PAVAL et que probablement dans la première quinzaine du mois de juin, les producteurs pourront être servis. Déjà, les statistiques fournies par le PAVAL indiquent que la patate douce a le vent en poupe sur le périmètre irrigué. Selon M. Kafando, elle peut occuper la première ou la deuxième place en fonction des campagnes. A titre illustratif, pour la campagne humide 2021-2022, la plaine a eu 178,25 ha d’emblavures de patate douce pour une production de 4 884,05 tonnes, soit un rendement de 27,4 tonnes à l’hectare.

En campagne sèche de la même année, 141,83 ha ont été emblavés pour une production de 3 297,54 tonnes de patate. Pour la campagne humide 2022-2023, la superficie emblavée était de 172, 89 ha pour 3 781,10 tonnes de patate. Au constat, les superficies

emblavées et les quantités de patate produites vont crescendo d’année en année. En revanche, pour le maïs, les emblavures sont en deçà.

Pour la campagne humide 2021-2022, les superficies emblavées du maïs étaient de 93,92 ha pour une production de 305,24 tonnes, soit un rendement de 3,25 tonnes à l’hectare.

Pour Sanaba Siri, l’introduction de la patate à la plaine n’a pas été facile.

Pour la campagne sèche de la même année, il y avait 109,08 ha emblavés pour une production de 405,77 tonnes.

Un produit difficile à conserver

Quid de l’écoulement de la patate douce ? La plupart des producteurs ne semblent pas satisfaits des prix auxquels leurs tubercules sont cédés. Le produit étant périssable, beaucoup sont obligés de le livrer à vil prix pour ne pas subir des pertes. « C’est l’acheteur qui impose son prix. A un moment donné, on n’a pas le choix que de brader notre patate, parce qu’il est difficile de la conserver », se lamente Drissa Coulibaly.

Sanaba Siri dénonce aussi cette forme de prise en otage de leur production qui, en principe, devrait leur rapporter de gros sous. A entendre les producteurs, les acheteurs viennent principalement du Mali, situé à une soixantaine de kilomètres de la plaine. L’achat se fait bord champ et la patate est chargée dans des camions de 10 tonnes, sans être pesée. Le prix du chargement est négocié entre le producteur et l’acheteur.

Une situation que regrette Alphonse Djiguirbié Siri car, soupçonne-t-il, rien n’indique que le chargement du camion ne dépasse pas 10 tonnes. A défaut de voir des commerçants burkinabè venir prendre leur patate, il plaide pour la construction d’un comptoir d’achat hors de la plaine, à leur profit. M. Siri pense que c’est à ce prix qu’on pourra éviter les achats bord champ et permettre aux producteurs de patate de s’imposer face aux acheteurs maliens.

Boureima Kafando du PAVAL renchérit en disant qu’il faut aussi penser à la transformation du tubercule au niveau local. « Cela nous évitera d’exporter le produit brut à vil prix », se convainc-t-il. Outre ces difficultés d’écoulement, les producteurs font aussi face aux ennemis des cultures, notamment les nématodes qui attaquent souvent les tubercules. Ce sont parfois de grosses quantités de patate qui sont perdues après les récoltes. Deux variétés de patate douce sont produites sur la plaine de Douna.

L’une à chair et à peau blanches et l’autre à chair blanche et à peau rouge. Pour la patate douce à chair orange, elle reste introuvable sur le périmètre irrigué. En plus de réhabiliter les 410 ha, aménagés entre 1985 et 1987, le PAVAL qui court de 2020 à 2024 a pour ambition d’aménager plus de 1 000 autres hectares.

Mady KABRE