Riziculture sur la plaine de Bagré : la résilience des producteurs face aux multiples défis

Ce sont plus de 3 000 ha qui sont aménagés à la plaine de Bagré pour le riz.

Créée en 2012 par l’Etat burkinabè en vue d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, Bagrépôle est une société d’économie mixte. Elle a un potentiel de production de riz de 6 000 hectares avec un rendement de l’ordre de 5 tonnes à l’hectare, soit une production annuelle de près de 30 000 tonnes de riz. De nos jours, ces rendements ont une tendance baissière à cause d’un certain nombre de facteurs qui affectent la production.

Un soleil de plomb s’abat sur la plaine aménagée de Bagré, ce 12 avril 2023. Malgré la canicule, la nature étale toute sa magnificence, avec une verdure digne de l’hivernage. Nous sommes pourtant en saison sèche. Le canal principal ainsi que ceux dits secondaires et tertiaires débordent d’eau. Des jeunes en profitent pour se rafraîchir en barbotant. Juste à côté, leurs génitrices, occupées à débarrasser le linge de sa saleté.

Dans nombre de parcelles de production, des plants de riz sont au stade de montaison, tandis que d’autres sont en train d’être repiqués. D’autres terrains, toujours enherbés, attendent encore d’être labourés et mis en boue avant le repiquage du riz. C’est la campagne sèche sur cette plaine, située à une quarantaine de kilomètres de Tenkodogo, dans la région du Centre-Est. Elle dispose de plus de 7 800 hectares (ha) aménagés dont 3 100 entièrement dédiés à la riziculture.

Une superficie extensible à plus de 4 000 ha en campagne humide. La production totale attendue pour les deux campagnes (sèche et humide) est de plus de 30 000 tonnes (t) de riz paddy, puisque les rendements moyens tournent autour de 5 t à l’hectare. Ils sont 4 100 producteurs, regroupés au sein de l’union des producteurs de riz de Bagré, composée de 19 coopératives, à se lancer dans cette activité rizicole.

De nos jours, les défis auxquels ils sont confrontés sont multiples. Ousséni Ouélogo est l’un des producteurs chevronnés de la plaine. Cela fait plus de 20 ans, précisément en 2000,

Le président de l’union des producteurs de riz de Bagré, Adama Bantango : « les terres sont fatiguées,
il faut les restaurer ».

qu’il a acquis sa parcelle d’un hectare pour produire le riz. Mais au fil du temps, il va agrandir sa superficie avec 1,5 autre ha, obtenu auprès de personnes ayant jeté l’éponge. Avec la variété TS2 qu’il produit uniquement, M. Ouélogo peut engranger entre 20 et 22,5 t de riz paddy par an, soit un rendement se situant entre 4 et 4,5 t à l’hectare.

De nos jours, ces quantités ont une tendance baissière à cause de plusieurs facteurs. Le producteur pointe du doigt l’insuffisance du matériel agricole et de la main-d’œuvre et la mauvaise qualité de certains intrants acquis sur le marché. Le président de l’union des producteurs de riz de Bagré, Adama Bantango, abonde dans le même sens en déplorant la dizaine de tracteurs qu’utilise Bagrépôle pour satisfaire plus de 4 000 producteurs.

La main-d’œuvre, une denrée rare

La conséquence, selon lui, est le non-respect du calendrier cultural. « En principe, tout le monde devrait avoir fini de repiquer depuis février, mais nous sommes en avril et ce travail continue. Et il y en a même qui le font à la main », souligne M. Bantango. En 26 ans de présence sur la plaine, il dit avoir constaté entre-temps, une baisse de ses rendements de 5 à 4 t à l’hectare. Le président n’est pas passé par quatre chemins pour imputer cela au vieillissement du sol. La restauration devient donc impérieuse.

« Grâce à Bagrépôle, j’ai suivi des formations sur la production du compost et mes rendements sont repartis à 4,5t à l’hectare », fait-il savoir. Par rapport à la main-d’œuvre, M. Bantango estime que les jeunes ne sont plus disposés à venir travailler sur la plaine, mais préfèrent aller soit sur les sites d’or, soit à l’aventure. Au constat, la plupart des travailleurs qui sont actifs dans les rizières sont des femmes. Pendant ce temps, on note une affluence de personnes déplacées internes dans la ville de Bagré, mendiant dans tous les coins de rue. Selon certaines indiscrétions, ces personnes, aptes pour la plupart, sont réticentes à aller chercher l’argent sur la plaine à l’aide de leurs biceps.

Elles ont plutôt opté pour la voie de la facilité. Didier Bangré, lui, a une quinzaine d’années d’expérience dans la production rizicole à Bagré. Tout comme ses compères, il dit être handicapé dans ses activités par la faible mécanisation et la mauvaise qualité des intrants et parfois des semences de riz. L’insuffisance d’équipements agricoles pèse beaucoup plus sur les travaux du producteur d’une cinquantaine d’années. Faute de moyens pour en acheter, note-t-il, il est souvent obligé de faire recours à des prestataires privés.

A Bagré, la question de l’eau n’est pas une préoccupation pour les producteurs.

Nous sommes presque en mi-avril et pas encore la moindre trace de charrue ou de tracteur n’est visible dans la parcelle de M. Bangré, toujours enherbée. Ce retard, il l’impute aussi à des raisons sociales, indépendantes de sa volonté. Toutefois, il assure que sa rizière sera prête dans les prochains jours. « Si on évalue les coûts d’exploitation, on ne gagne pas grand-chose. Quand on achète un sac d’engrais à 30 000 F CFA, pour par la suite vendre le

sac de 100 kg de riz paddy à 17 500 ou 20 000 F CFA, ce n’est pas facile », estime Didier. Il reconnait qu’avec les unités de décorticage, le kg de riz paddy est cédé à 200 F CFA mais parfois pour des contraintes majeures, la même quantité est livrée sur le marché à un prix dérisoire de 130 F CFA.

Réduction du temps de travail due à l’insécurité

Le directeur de la valorisation économique de Bagrépôle, Rigobert Guengané, est d’avis avec les producteurs que l’accès au service mécanisé est un véritable souci. Pour lui, même avec l’appui des prestataires privés, ce sont environ 20 tracteurs qui couvrent toute la plaine. Ce qui est largement insuffisant, à ses yeux. Selon sa conviction, il faut au moins 50 tracteurs pour être dans les normes et pouvoir labourer et repiquer en l’espace de 45 jours. « Certes, on a l’eau mais le niveau de la mécanisation est faible.

Ce qu’on aurait pu faire en un mois, on le fait en deux », relève M. Guengané. Outre la faible mécanisation, il dénonce aussi l’indisponibilité des intrants agricoles, l’éloignement de certains sites de production des domiciles des travailleurs, la divagation des animaux et l’insuffisance de la main-d’œuvre comme étant des facteurs qui contribuent à amenuiser les rendements agricoles sur la plaine. « On constate une baisse tendancielle des rendements. En 2012, on était autour de 5 et 5,5 tonnes à l’hectare et actuellement, en 2023, on est entre 4 et 4,5 tonnes à l’hectare », renseigne-t-il.

Le DG de Bagrépôle, Donkora Kambou : « l’objectif de Bagrépôle est d’impulser la croissance économique ».

En outre, le directeur de la valorisation économique de Bagrépôle suspecte la baisse de la fertilité du sol d’être aussi à la base des contreperformances de la production rizicole. Il explique que les terres de Bagrépôle sont exploitées depuis une vingtaine d’années et que cela peut les détériorer. La solution, pour lui, est de les restaurer à travers l’apport d’engrais organiques. Sur la plaine de Bagré, les variétés de riz produites sont principalement la TS2, la Orylux 6 et la FKR 60N.

Depuis des lustres, on a accusé le riz local de contenir des impuretés. De nos jours, les producteurs disent être entièrement confiants de leurs produits dont la qualité n’est plus à démontrer. « Actuellement, le nom de chaque producteur et le numéro de sa parcelle figurent sur les sacs de riz. Donc, chacun a intérêt à ce que son riz soit de qualité », fait savoir Ousséni Ouélogo. Malgré la rude concurrence du riz importé, il n’est pas question pour les producteurs burkinabè de perdre espoir.

Mieux, ils sont convaincus que le riz local va ravir la vedette à celui étranger. « De nos jours, nous n’avons pas de problème d’écoulement de notre riz. De plus en plus, les populations des grands centres urbains comme Ouagadougou et Bobo-Dioulasso sont en train de prendre conscience de la nécessité de consommer le riz local », informe M. Guengané. A l’entendre, le consommateur ne sait pas qu’il prend des risques sanitaires en consommant le riz importé, parce qu’on ne sait pas quel traitement il a subi.

Il ajoute que plus le riz décortiqué dure, plus il perd ses qualités organoleptiques et nutritionnelles. « Je propose que les milliards F CFA qui sont injectés dans l’importation du riz soient destinés à l’achat d’équipements agricoles », suggère le président de l’union des producteurs de riz de Bagré, Adama Bantango. Depuis quelque temps, les riziculteurs de Bagré vivent dans la hantise de la menace terroriste. Cette situation affecte énormément les activités de production.

Pour le directeur de la valorisation économique de Bagrépôle, Rigobert Guengané, l’insécurité affecte le moral des producteurs.

Le président de leur union, Adama Bantango, confirme qu’actuellement, c’est avec la peur au ventre que ses membres travaillent dans leurs champs. « Comme nous sommes dans une zone d’insécurité, les gens ne vont plus dans les rizières tôt. Avant, à 4h du matin, il y en avait qui sont déjà au champ. Maintenant, ils y vont à partir de 9h et rentrent tôt. Cela réduit leur temps de travail », relate M. Bantango. Et M. Bangré de renchérir que l’inquiétude est justifiée, parce que la menace est palpable dans certains villages riverains.

Les appréhensions des producteurs sont partagées par Rigobert Guengané de Bagrépôle, qui informe que sa marge de manœuvre est aussi réduite. « Moi-même, je ne peux plus accéder à toutes les parties de la plaine pour faire la supervision », déplore-t-il. A l’écouter, la plaine étant vaste, il y a des producteurs qui vont à près de 40 km de leurs concessions pour travailler. Ces derniers ne peuvent y rester jusqu’à une certaine heure et cela réduit leur temps de travail journalier. Néanmoins, rassure M. Guengané, grâce à la brigade de sécurité, certaines difficultés arrivent à être jugulées.

Embouchant la même trompette, le Directeur général (DG) de Bagrépôle, Donkora Kambou, souligne que nonobstant les craintes, les activités de production se déroulent normalement sur la plaine. « Les producteurs sont confiants et ils espèrent qu’avec le plan de reconquête du territoire mis en place par le gouvernement, le problème sera résolu », déclare-t-il. En attendant, ce sont plusieurs demandes de parcelles de production qui sont reçues chaque jour à Bagrépôle et qui n’arrivent pas à être satisfaites. C’est pourquoi, ses responsables sont dans une dynamique d’extension de la plaine rizicole avec plus de 2 000 ha supplémentaires attendus.

Mady KABRE