Impact de l’insécurité sur la filière lait : des laiteries battent de l’aile à Bobo et Pâ

Le promoteur de la laiterie de l’Ouest, Moumini Sidibé, veut transformer le lait local en lait concentré sucré.

Des unités artisanales de transformation de lait local de Bobo-Dioulasso (Houet) et de Pâ (Balé), confrontées aux impacts de la crise sécuritaire, battent de l’aile. Privées de leur matière de base, elles vacillent entre cessation d’activités et résilience. Au détour d’une visite en mai 2023 dans ces localités, Carrefour africain a pu s’imprégner de leurs réalités.

Dans une ambiance morose, les responsables de la mini laiterie Burkina lait de Pâ, dans la province des Balé (région de la Boucle du Mouhoun), nous reçoivent à la bonne franquette sous un hangar de fortune dressé devant une cour. Le choix du lieu est symbolique. Déguerpie du fait des travaux de construction du marché communal, la laiterie a déménagé chez son premier responsable, Souleymane Diallo.

Le lundi 15 mai 2023, il n’y a pas eu de lait à se déguster. Faute de lait local pour la faire fonctionner, la laiterie a été contrainte en 2022 de fermer ses portes. Les responsables de l’unité rejettent la faute à l’insécurité qui a poussé leurs fournisseurs à fuir le pays pour s’établir dans les pays voisins. Une trentaine de salariés se retrouvent donc au chômage. L’espoir de revoir l’unité se remettre sur pied s’amenuise de jour en jour avec la dégradation de la situation sécuritaire.

Aujourd’hui, le lait de vache communément appelé lait local est devenu si précieux qu’il se vend à prix d’or. « On ne parle même plus de lait de vache ici, il est introuvable », se lamente Souleymane Diallo. Aminata Haïdara, secrétaire générale de la laiterie, renchérit : « Les activités sont à l’arrêt. Sans vaches, pas de lait ». Burkina lait est le fruit d’un partenariat fructueux entre les éleveurs et les transformateurs de lait local. Pour ne pas rester à la maison les bras croisés, certaines femmes décident, contre vents et marées, d’expérimenter le lait en poudre.

Là encore, leur marge de manœuvre se réduit avec l’inflation qui a fait grimper le prix de ce produit et son rejet par des clients ayant pris goût au lait local. « Le lait importé n’est pas rentable. En plus de cela, il n’est pas bien apprécié des clients », affirme Mme Haïdara. Avant sa fermeture, cette unité recevait entre 30 et 40 litres de lait par jour qu’elle transformait ensuite en yaourt, dèguè, gapal et lait pasteurisé. Le litre de lait lui était cédé entre 200 et 300 F CFA. « Même pour notre propre consommation, on n’en trouve pas », lâche Mme Haïdara.

Des laiteries végètent

A Bobo-Dioulasso, chef-lieu de la région des Hauts-Bassins, des laiteries végètent dans des conditions exécrables. A la différence de la laiterie de Pâ qui a mis la clé sous le paillasson, celles-ci résistent encore à la tempête. La laiterie Kossam de l’Ouest, située dans le quartier Kôkô, fait preuve de résilience.

Dans l’enceinte de l’unité, une vingtaine d’employés est sur pied. Des congélateurs, installés sous l’auvent du bâtiment principal, sont bourrés de yaourt, de dèguè, de gapal et de lait pasteurisé. Ces produits conditionnés dans des sachets ou dans des bidons sont vendus à des prix variés : 100, 300, 700 F CFA…Cette unité, de l’avis de son premier responsable, Moumini Sidibé, reçoit environ 1 500 litres de lait par jour contre 2 500 litres avant la crise. Le litre varie entre 400 et 450 F CFA en fonction de la période.

Un congélateur contenant des produits laitiers.

La laiterie Kossam de l’Ouest se ravitaille auprès de cinq coopératives, composées de 100 membres chacune. C’est tout un bataillon de 500 producteurs environ qui l’approvisionne à tour de rôle. Au quartier Lafiabougou, Mme Diémou Sidibé est dans la transformation du lait local depuis une dizaine d’années. Situation sécuritaire oblige, l’activité a pris un sérieux coup. Devant son unité, les clients sont aux abonnés absents. Mme Sidibé, avec le soutien de son époux, Nouhoun, garde le moral. Jusqu’à présent, son unité n’a pas manqué de quoi fonctionner.

Elle est moins affectée par la baisse des quantités de lait. De 400 litres de lait par jour avant la crise sécuritaire, elle n’en reçoit que 200 de nos jours. Le litre, elle l’achète à 550 F CFA. A ce jour, les activités de la laiterie tournent au ralenti. « Le lait est cher et devient de plus en plus rare », se plaint Mme Sidibé. La saison sèche est une période de vache maigre en matière de production laitière.

La laiterie Latima située au secteur 24 de la ville de Sya chancelle. Elle ne reçoit que le tiers de ses approvisionnements, c’est-à-dire moins de 230 litres de lait par jour. Au sein de l’unité, des ouvriers, vêtus de blouses blanches, sont à la tâche. Les agents commerciaux, eux, sont aux trousses des clients dans les différents quartiers de la ville et ses environs. Laetitia Traoré, la promotrice de Latima, impute plutôt la baisse des quantités de lait à la saisonnalité de la production.

Elle signale que le véritable enjeu se situe au niveau de la commercialisation. L’instabilité du marché permet néanmoins d’amortir les chocs liés à la rareté de lait. « C’est difficile de faire déplacer des travailleurs dans ce contexte difficile », souligne-t-elle. Au cœur de sa nouvelle stratégie de reconquête du marché, la distribution à l’intérieur de la ville. Mme Traoré n’est plus partante pour les expéditions de ses produits hors de Bobo-Dioulasso. « Nous allons nous concentrer en ville parce que nous avons compris qu’il faut d’abord être seigneur chez soi avant de toucher les autres », précise-t-elle.

La laiterie Kossam de l’Ouest est également dans la même dynamique. Moumini Sidibé avait réussi à s’imposer au-delà de la région des Hauts-Bassins. Ses produits étaient distribués dans les Cascades et la Boucle du Mouhoun. « On vendait à Sidéradougou, Solenzo, Kourouma, Kouka, etc. Ce qui n’est plus possible à l’heure actuelle. Certains clients sont devenus des Personnes déplacées internes (PDI) et il y a des endroits où il n’y a plus de boutiques », déplore-t-il.

Des années de sacrifices volent ainsi en éclats. Les circuits de distribution étant désorganisés, c’est un retour à la case départ. Moumini Sidibé n’entend plus envoyer ses agents dans des zones à risques. Les produits sortis de l’unité Fairefaso de Lafiabougou peinent à trouver preneurs. Mme Diémou Sidibé, la promotrice, le confesse en ces termes : « Les réfrigérateurs sont pleins, mais l’écoulement pose problème ». Nostalgique au passé glorieux de son activité, elle ne peut s’empêcher de pousser un léger soupir. « Avant la crise, si je déposais des produits de 50 000 F CFA dans les points de vente, dès le lendemain je partais récupérer mon argent », se remémore-t-elle. La mévente, la promotrice de Latima l’impute aussi à la baisse du pouvoir d’achat des populations.

De la faible productivité des vaches

Privée de lait local, la laiterie de Pâ n’aura pas survécu à la crise. Les unités installées à Bobo-Dioulasso tiennent au fait que les producteurs qui les ravitaillent sont installés à 50 km à la ronde, donc moins impactés par l’insécurité. Le départ des pasteurs vers d’autres destinations plus sécurisées n’augure pas de lendemains meilleurs pour la filière lait local. Souimbo Sanou, chef de service des productions animales à la direction régionale en charge de l’agriculture et des ressources animales des Hauts-Bassins, pose la problématique de la faible productivité des vaches.

A l’aide de ces motos, les agents de la laiterie Kossam de l’Ouest parcourent plusieurs localités pour distribuer leurs produits.

L’ingénieur d’élevage ne manque pas de proposer sa petite recette afin d’inverser la tendance. « La solution, c’est d’accompagner d’une part, les acteurs à produire le fourrage et de l’autre, passer à des inséminations artificielles avec la semence des races exotiques », conseille-t-il. C’est à cette condition, admet-il, que l’on pourra pallier le manque de lait local. « Au salon burkinabè de l’élevage, un acteur a été récompensé pour avoir inséminé une vache qui produit 23 litres de lait par jour », rappelle M. Sanou.

Laetitia Traoré, elle, émet des doutes sur la qualité du lait qui lui est fourni. Pour en avoir le cœur net, elle s’est confiée aux spécialistes. « J’ai remarqué que le lait qui m’était livré il y a 10 ans de cela est meilleur à celui que j’utilise aujourd’hui. Je ne sais pas si cela est lié aux croisements ou à l’alimentation », s’inquiète-t-elle. Face à ces craintes, Souimbo Sanou tente de la rassurer. Il explique en effet que les pratiques dont elle fait allusion sont bien encadrées au Burkina Faso par des textes.

Il exhorte, en revanche, le consommateur à redoubler de vigilance car à côté du vrai lait, il y a aussi le faux. « Un jour, une dame a réussi à me vendre un faux lait. Une fois à la maison, je me suis rendu compte que c’était du zoom koom de riz, sans aucune saveur de lait », témoigne-t-il. Miser sur la quantité est une bonne chose, mais encore faut-il que ce lait soit de qualité irréprochable, lance Mme Traoré à l’endroit des acteurs de la filière. Quant à Mme Diémou Sidibé, son souhait est de voir le Burkina rompre avec le lait importé au profit de la production nationale. D’où son appel pressant à augmenter la production.

Du lait concentré sucré « made in Burkina » en vue

La saison pluvieuse est la période par excellence où l’offre en lait dépasse la demande. Difficile pour les laiteries d’absorber toute la production. Après moult réflexions, Moumini Sidibé semble avoir trouvé la réponse avec son projet de construction d’une usine de fabrication de lait concentré sucré à base de lait local. L’initiative, dit-il, est inspirée de la société Dafani de Orodara qui produit et stocke le jus de mangue.

« Je me suis rendu compte qu’en saison sèche, il n’y a pas assez de lait alors qu’en saison humide, il y en a assez mais pas de client. Comme nous ne pouvons pas tout prendre et vu que le lait est un produit périssable, s’il est transformé en lait concentré sucré ou autres produits dérivés, il pourrait être conservé pendant 12 mois et même au-delà », soutient-il. Ce projet ambitieux dont le coût de réalisation se chiffre à plus de 10 milliards F CFA devrait voir le jour d’ici la fin de l’année 2023.

Laetitia Traoré (droite), promotrice de Latima, dit remettre
tout entre les mains du bon Dieu.

La seule condition du bailleur est le retour à la normale sur le front sécuritaire. Un terrain de 3 ha devant abriter les installations a été acquis à la zone industrielle de Bobo-Dioulasso. Des explications de Moumini Sidibé, l’unité industrielle aura une capacité de traitement de 140 000 litres de lait par jour. « Il faut qu’on grandisse. Après 20 ou 30 ans d’existence, nous devons innover », estime-t-il. A l’entendre, le lait en poudre est inclus dans ce projet, mais la priorité reste le lait concentré sucré.

L’approvisionnement de cette usine en lait a fait l’objet d’une étude en 2021. A entendre M. Sidibé, elle s’est déroulée dans quatre régions, notamment les Hauts-Bassins, les Cascades, le Sud-Ouest et la Boucle du Mouhoun. « Il est possible que le lait soit transporté dans des citernes à partir de ces points de collecte jusqu’à l’usine », martèle M. Sidibé. Souimbo Sanou de la direction régionale en charge des ressources animales dit ne pas avoir connaissance de ce projet.

Mais si celui-ci venait à être réalisé, estiment nos interlocuteurs, ce serait toute la filière qui aurait gagné. La promotrice de Latima est convaincue que la valorisation du lait local ne saurait être l’apanage des unités artisanales que sont les laiteries. Créer une véritable industrie autour de ce produit est de son point de vue une nécessité absolue.

« Il faut une unité qui sort un produit de prestige et qui permet de le positionner sur le marché », suggère-t-elle. Quoi qu’il en soit, les acteurs rencontrés sont unanimes à reconnaître qu’ils ne peuvent s’épanouir que dans un environnement apaisé et stable. Leur prière est que le Burkina recouvre son intégrité territoriale et sa quiétude d’antan. –

Ouamtinga Michel ILBOUDO

omichel20@gmail.com