Disparition de Henri Konan Bédié: le sphinx ne renaîtra pas de ses cendres

L’ex-Président Henri Konan Bédié rêvait toujours de revenir au pouvoir.

Avec la disparition, le 1er août 2023, de celui que l’on surnommait le sphinx de Daoukro, une page de l’histoire politique de la Côte d’Ivoire se tourne. Pendant plus de quarante ans, Henri Konan Bédié, (HKB) aura marqué la vie politique ivoirienne à travers les différents postes de responsabilités occupés, dont celui de chef d’Etat. Ayant perdu le pouvoir en 1999, il aura bataillé jusqu’au bout pour revenir mais ce rêve s’est brusquement arrêté.

Tel un couperet, la nouvelle est tombée, le mardi 1er août dans la soirée. L’ancien Président ivoirien Henri Konan Bédié (1993-1999) a succombé à un malaise à 89 ans. La nouvelle a surpris plus d’un, dans la mesure où l’ex-chef de l’Etat semblait bien portant quelques jours plutôt.

Il préparait activement les élections locales du 2 septembre 2023 et le congrès de son parti, le PDCI-RDA, prévu en octobre. Selon des témoignages, ce n’est que le 31 juillet qu’il a connu des difficultés respiratoires. Evacué le lendemain dans une clinique privée à Abidjan, la suite, on la connait.

La Côte d’Ivoire perd ainsi un homme d’Etat qui a marqué de son empreinte la vie politique durant quatre décennies tandis que le PDCI-RDA sera orphelin de son dirigeant emblématique. Avec la disparition de Henri Konan Bédié, le trio qu’il formait avec Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo se retrouve amputé.

A eux trois, ils ont monopolisé la vie politique ivoirienne durant ses trente dernières années. Tantôt ennemi ou allié de l’un et l’autre de ses deux rivaux, le Président Bédié a occupé une place centrale dans la vie politique ivoirienne. En 2010, arrivé troisième de la présidentielle, il fut faiseur de roi en appelant à voter Alassane Ouattara au second tour.

Engagés dans une alliance de gouvernance à travers le Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), les deux hommes connaitront une brouille en 2018 lorsque le sphinx de Daoukro se rendra compte que son allié ne lui fera pas la passe, pour qu’il retrouve les lambris dorés de la présidence de la République.

Même si les tensions se sont quelque peu dissipées ces dernières années, cela n’a pas empêché le PDCI que dirige HKB depuis 1994, d’opérer un rapprochement avec le nouveau parti de Laurent Gbagbo, le PPA-CI. D’ailleurs, à la faveur des élections locales et régionales du 2 septembre prochain, les deux formations présenteront des listes communes dans certaines zones.

Ambitions et succession

Le PDCI, parti dirigé de main de maitre depuis bientôt trente ans se retrouve également orphelin avec la disparition de son chef. Chez les Baoulé, l’ethnie de Bédié, il n’est pas de coutume de désigner de successeur. C’est la logique qui avait d’ailleurs prévalu chez l’illustre mentor de HKB, Félix Houphouët Boigny, lorsque celui-ci est décédé en 1993.

Au regard de la mainmise de HKB sur le parti, le PDCI a connu des zones de turbulences, marquées par des défections et pas des moindres de plusieurs cadres. On se rappelle aussi de l’impatience de Kouadio Konan Bertin dit KKB, qui avait défié Bédié en se portant candidat à la présidentielle de 2020, contre les directives du parti.

Pour la préparation des obsèques du défunt Président Bédié dont la date reste pour l’instant méconnue et des élections locales du 2 septembre, c’est le doyen des vice-présidents du parti qui assure l’intérim, conformément aux textes de la plus vieille formation politique de Côte d’Ivoire.

Selon toujours les textes, l’intérimaire Philippe Kwassi Cowppli-Bony, 91 ans, dispose de six mois pour organiser une nouvelle élection destinée à élire le président du parti. Les ambitions se feront alors jour. Si aucun nom ne se détache pour l’instant, des observateurs pensent au secrétaire exécutif du parti, Maurice Kakou Guikahué.

Bras droit du défunt président, ce septuagénaire a longtemps été considéré comme le dauphin de HKB. Mais il faudra certainement compter avec les « jeunes loups » du parti dont Jean Louis Billon, 58 ans, qui a déjà déclaré en janvier son intention d’être candidat à la présidentielle de 2025.

Outre Billon, on cite la « candidature sérieuse » de Thiery Tanoh, 61 ans, responsable des finances du parti et ancien directeur général de la banque panafricaine Ecobank. Des interrogations demeurent sur une potentielle candidature de Tidjane Thiam, ancien directeur général du Crédit suisse, mais qui a passé une vingtaine d’années hors de la Côte d’Ivoire.

L’ivoirité, la tache noire

L’heure de gloire de Henri Konan Bédié a sonné lorsqu’il arrive au pouvoir en décembre 1993, après le décès de celui dont il se réclame toujours être l’héritier naturel. Il devait terminer le mandat du premier président de la Côte d’Ivoire.

Mais à l’approche de l’élection présidentielle de 1995, il lance le concept de l’ivoirité, destiné à écarter de la course au pouvoir un certain Alassane Dramane Ouattara, accusé d’être Burkinabè. Elu à la présidence sans grande opposition, il est emporté en décembre 1999 par le coup d’Etat du Général Robert Guéi.

Malheureusement, l’histoire retiendra que c’est sous son magistère qu’est né le concept de l’ivoirité, ce nationalisme qui consistait à distinguer les Ivoiriens de souche et les étrangers, c’est-à-dire les Ivoiriens issus de l’immigration. Pour nombre d’observateurs, ce concept est à l’origine de la plus grande crise politique de la Côte d’Ivoire.

Sa matérialisation a débouché sur une guerre civile et la partition du pays en deux en 2002. Durant une dizaine d’années, de milliers de morts ont été enregistrés, puisque ses successeurs Guéi et Gbagbo ont aussi surfé sur ce nationalisme. On retiendra aussi que HKB a toujours vécu sous les ordres de la République.

Ambassadeur à 26 ans, ministre à 32 ans, président de l’Assemblée nationale pendant 13 ans. Il n’a jamais digéré sa perte du pouvoir en 1999 et ne voulait pas qu’on garde de lui l’image de celui par qui le PDCI a perdu définitivement le pouvoir. Voilà pourquoi il n’a jamais abandonné ses ambitions de redevenir président de la République. Il n’avait pas exclu d’être candidat en 2025. Le sort en a décidé autrement.

Gabriel SAMA.