Agriculture contractuelle dans les Hauts-Bassins: les avantages se heurtent aux écueils

Dans les Hauts-Bassins, beaucoup de producteurs de maïs se sont lancés dans l’agriculture contractuelle.

L’une des innovations majeures introduites dans le secteur agricole burkinabè ces dernières années est le recours de plus en plus à la signature de contrats de production, communément appelés agriculture contractuelle. Ce modèle qui implique à la fois les producteurs, les fournisseurs d’intrants, les acheteurs et les institutions financières à travers des partenariats solides, s’affiche comme une panacée à la mévente des produits agricoles et au financement de la production. Toutefois, les difficultés ne manquent pas. Constat dans la région des Hauts-Bassins.

Ce lundi 10 juillet 2023, de gros nuages assombrissent le ciel de Kouremangafesso, localité située dans la commune rurale de Karangasso-Vigué, à une soixantaine de kilomètres de Bobo-Dioulasso (province du Houet, région des Hauts-Bassins). Ils semblent annoncer une bonne nouvelle. Le retour de la pluie après quelques jours de sécheresse. Dans l’après-midi, c’est chose faite. Il tombe des hallebardes dans le village et ses environs.

La terre redevient humide. Des producteurs regagnent leurs fermes. Alizèta Rouamba, la quarantaine bien sonnée, entame avec sérénité ses travaux champêtres. Les pieds fourrés dans des bottes et la tête recouverte d’un foulard, elle a déjà fini de semer le maïs. Il reste l’arachide. Dans ce village, on y produit le maïs et l’arachide sans aflatoxine. Leur production incombe aux membres de la Coopérative des femmes entrepreneures agricoles de Kouremangafesso (CFEA/K). Alizèta Rouamba en est la présidente.

Ici, vendre avant de produire est devenu la règle. Et ce, grâce à des contrats de production impliquant à la fois plusieurs acteurs notamment les producteurs, les acheteurs, les fournisseurs d’intrants et les institutions financières. Au début de la présente campagne, la coopérative a décroché un gros marché de 100 tonnes de maïs avec Agroserv industrie SA, une unité de transformation de maïs basée à Ouagadougou. Le contrat de production a été signé par les deux parties qui ont du même coup fixé le prix d’achat du sac de 100 kg à 18 000 F CFA. Chaque partie s’est engagée à remplir convenablement sa part de contrat.

Selon Omar Coulibaly, DG de Innofaso, certaines coopératives agricoles

Les membres de la coopérative ont désormais pris goût à la nouvelle donne. Elles sont en train de négocier un autre contrat avec Innofaso, une société spécialisée dans la production d’aliments thérapeutiques à base d’arachide pour la prise en charge des enfants malnutris. Le patron de cette société, Omar Coulibaly, a noué ce type de partenariats avec six coopératives féminines regroupant environ 6 000 productrices à travers le territoire

national. Il entend donc privilégier la production nationale au détriment de l’importation. Depuis 2021, la machine est en marche.

Dans la région des Hauts-Bassins, ce modèle agricole est bien apprécié des acteurs. Moussa Ouattara, entrepreneur agricole à Bobo-Dioulasso, a jeté tout son dévolu sur l’agriculture contractuelle et en est fier. « Ce qui me plaît ici est que le marché est assuré », se réjouit-il. Depuis l’adoption de ce modèle en 2017, il ne cesse de pousser des ailes.

Sa joie est d’autant plus grande lorsqu’il constate que sa production est à l’abri de la mévente. « Quand nous avons l’assurance que notre production a un preneur, nous n’avons pas d’autre choix que de travailler dur pour honorer notre engagement», note M. Ouattara. En début de campagne, il a obtenu un marché de la semence certifiée de riz avec l’entreprise Neema agricole du Faso (NAFASO). La quantité n’a pas été dévoilée. L’acheteur envisage de prendre toute sa production.

Faire manger les uns dans la main des autres

Moussa Ouattara n’est pas à son coup d’essai en matière d’agriculture contractuelle. Au cours de la campagne écoulée, il avait obtenu deux contrats de production de semences certifiées de maïs et de soja avec l’entreprise semencière Saala monde rurale (SMR). Les prix d’achat convenus au départ étaient respectivement de 300 et 600 F CFA le kg. Il explique avoir livré toute sa production à son client sans difficulté.

«Chaque partie était satisfaite de la bonne exécution du contrat», se remémore-t-il. L’autre avantage de l’agriculture contractuelle est que tous les producteurs sont éligibles aux crédits bancaires. Il suffit de sceller un partenariat avec d’autres acteurs et le tour est joué. « En agriculture contractuelle, les problèmes de débouchés et d’accès au financement ne se posent pas», rappelle Mme Rouamba.

Abdoulaye Sawadogo, P-DG de NAFASO, exhorte les producteurs à respecter leurs engagements.

Même son de cloche chez Abdoulaye Sawadogo, Président-directeur général (P-DG) de l’entreprise agricole NAFASO. Il affirme que son entreprise bénéficie de la confiance totale des institutions financières. Du reste, sous son couvert, plusieurs producteurs obtiennent des financements. « Si un producteur se rend dans une institution financière avec notre signature dans son contrat, les agents ne se posent plus beaucoup de questions avant de lui accorder le prêt, parce qu’ils savent qui nous sommes», révèle Abdoulaye Sawadogo.

Le souhait de cet entrepreneur agricole est que les producteurs viennent expérimenter ce modèle qui fait et continue de faire ses preuves sur le terrain. « Il faudra que les producteurs apprennent à faire manger les uns dans la main des autres, c’est-à-dire qu’il y ait sur toute la ligne d’autres personnes qui vont aussi bénéficier des fruits de notre travail», suggère-t-il. Comme à son habitude, NAFASO a encore signé cette année plusieurs contrats avec des partenaires.

Le président de la Chambre régionale d’agriculture (CRA) des Hauts-Bassins, Moussa Traoré, dira que le concept en tant que tel n’est pas nouveau au Burkina Faso. Depuis une dizaine d’années, se souvient-il, il existait des contrats entre les acheteurs et les producteurs. Il encourage cependant les producteurs à y adhérer afin de profiter de ses multiples avantages qu’il ne manque pas d’ailleurs d’énumérer : « Le producteur a un marché sûr, il dispose des intrants pour produire et il peut aller emprunter de l’argent dans une institution financière pour financer ses activités ».

Grâce à l’agriculture contractuelle, Alizèta Rouamba dit avoir
désormais un marché sûr.

Moussa Ouattara atteste que ce modèle a contribué à lancer les jeunes entrepreneurs agricoles. « Ils arrivent à contracter des prêts de 2 à 5 millions F CFA grâce aux contrats de production que leurs partenaires leur délivrent», lâche-t-il. Le chef d’agence de la Banque agricole du Faso (BADF) de Bobo-Dioulasso, Dominique Sansara, est ravi de voir ce type de partenariat se développer. Il estime que les contrats de production permettent de garantir les prêts accordés par les banques aux producteurs. Il exhorte également les uns et les autres à tout mettre en œuvre pour s’approprier le mécanisme.

Un appel qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Au sein de l’Union provinciale des professionnels agricoles (UPPA) du Houet, les contrats de production occupent une place de choix. Ce modèle agricole profite beaucoup aux membres de l’union, selon son secrétaire général, Soumaïla Sanon. Etant tous des producteurs de maïs sans aflatoxine, ils raflent de gros marchés institutionnels via les contrats de production.

C’est le cas, par exemple, des commandes de la Société nationale des stocks de sécurité alimentaire (SONAGESS) et du Programme alimentaire mondial (PAM). « Nous avons toujours respecté nos engagements vis-à-vis de nos partenaires », assure M. Sanon. Le chef d’agence de la BADF de Bobo-Dioulasso lit à travers l’agriculture contractuelle, une opportunité offerte pour assurer l’autosuffisance alimentaire au Burkina Faso.

Des contrats à problèmes

Des aveux de nombreux acteurs, il ressort que l’agriculture contractuelle pose souvent un problème lorsque les engagements ne sont pas respectés. Les exemples pour illustrer cet état de fait ne manquent pas. Au début de la campagne agricole 2022-2023, la Coopérative des entrepreneures agricoles de Kouremangafesso avait signé un contrat de production de plus de 400 tonnes de maïs avec Agroserv industrie SA. Les deux parties avaient convenu d’un prix d’achat minimum de 16 000 F CFA le sac de 100 kg.

Les termes du contrat disposent que les producteurs sont tenus de lui vendre leurs productions au montant convenu et l’acheteur s’est engagé aussi à payer. Contre toute attente, le prix du sac de maïs grimpe à plus de 25 000 F CFA sur le marché au moment de la vente. Les membres de la Coopérative succombent subitement à cette tentation.

Beaucoup ont préféré vendre leurs productions au plus offrant, sachant que cette démarche viole les clauses de leur contrat. Siaka Sanou, le directeur général d’Agroserv, indique qu’il a toujours besoin de produit de bonne qualité pour faire fonctionner son usine. Le maïs y est transformé en farine, en semoule et en son. Les productrices ont reconnu leur faute. Mais cela suffira-t-il à calmer la colère de leur partenaire ?

Soumaïla Sanon affirme que l’UPPA a toujours honoré ses engagements vis-à-vis de ses partenaires.

Bien évidemment, car Agroserv industrie n’a pas mis fin à leur relation. Mieux, elle a signé, au début de cette campagne 2023-2024, un nouveau contrat de 100 tonnes de maïs avec la même Coopérative. Les deux parties ont arrêté le prix d’achat du sac de 100 kg à 18 000 F CFA, soit 2 000 F CFA de plus que celui de l’année dernière. Cette fois-ci, la balle est dans le camp de Mme Rouamba et ses camarades.

« C’est l’occasion pour nous de nous racheter», soutient-elle. A l’image d’Agroserv industrie, l’entreprise Innofaso est tombée dans le piège de la même Coopérative. Au cours de la campagne précédente, les deux parties signent un contrat de production portant sur 20 tonnes d’arachide. Au moment de la vente, la Coopérative ne s’est pas manifestée. Puis après, ses membres soulèvent un problème de transport en ce sens que la hausse des tarifs ne leur permet pas de supporter le coût.

De tractations en tractations, les deux parties trouvent un terrain d’entente. L’entreprise a accepté de supporter une partie des frais et l’autre partie à la charge de la Coopérative. Le problème de transport étant résolu, les responsables d’Innofaso croyaient être au bout de leur peine avant de se rendre compte que le magasin de la Coopérative est vide. Renseignement pris, aucun stock n’a été constitué.

Dr Jean Christophe Dabiré, responsable qualité à Innofaso, ne cache pas sa déception. Furieux, il retourne dare-dare à Ouagadougou. « Jusqu’à présent, nous n’avons pas reçu notre commande. Pire, la présidente nous fait tourner en rond avec de fausses promesses », se désole-t-il. Pourtant, la livraison devrait permettre à la Coopérative de solder un prêt de 2 millions F CFA représentant le coût d’acquisition d’une décortiqueuse. Aujourd’hui, les chances de recouvrer cette créance s’amenuise de jour en jour, signale Dr Dabiré. Le non-respect des engagements en agriculture contractuelle est devenu monnaie courante dans les Hauts-Bassins.

La non implication de la CRA

A Finlandé dans le Houet, un opérateur économique a préfinancé la production de soja pour

Le président de la CRA des Hauts-Bassins, Moussa Traoré, informe que sa structure n’est pas impliquée dans la signature des contrats.

un montant de 1,5 million F CFA. Cette somme était destinée à l’achat des semences de soja au profit des coopératives agricoles de la localité. Le prix d’achat à la vente a été fixé de commun accord à 250 F CFA le kg. A la surprise générale, les producteurs font volte-face parce que le prix est monté à 400 F CFA.

Les négociations avec le bailleur providentiel n’ont pas produit les résultats escomptés. Amidou Ouattara, producteur et responsable d’une coopérative, confie qu’il était le seul à pouvoir livrer sa production à son partenaire. Les autres ont refusé de lui vendre leurs productions, profitant allègrement des prix du marché. « Après la répartition entre les différentes coopératives, celle que je dirige avait reçu 100 000 F CFA, le montant requis pour avoir 100 kg de semences de soja », dévoile Amidou Ouattara.

Le bailleur providentiel se sentant trahi, a pris ses jambes à son cou. Au cours de notre passage en ce mois de juillet 2023 à Finlandé, aucun habitant ne semblait encore détenir son contact. Les coopératives ont trouvé de nouveaux partenaires avec lesquels elles traitent leurs affaires. Alizèta Rouamba martèle que très souvent, les partenaires ont tendance à imposer leurs prix sans tenir compte des dépenses engagées dans la production.

« Ils se comportent comme si nous étions leurs employés», se défend-elle. Le directeur général de SMR, Honoré Tankoano, pense que ce qui arrive aux acteurs est dû au manque de formation. « J’avoue que ce n’est pas simple dans un contexte comme le nôtre. Les acteurs ne sont pas mieux outillés pour tirer profit de cette agriculture contractuelle », soutient-il. M. Tankoano admet que très souvent, le producteur est contraint de ramer à contre-courant quand ses intérêts sont menacés.

De son avis, entre céder sa production à 18 000 F CFA le sac et la vendre entre 30 000 et 35 000 F CFA sur le marché, le choix est vite fait. « Même nos producteurs qui ont pris des engagements ne les ont pas respectés parce qu’ils gagnaient mieux en écoulant facilement leur maïs sur le marché sans chercher à se soumettre ou à se conformer à des normes de production », témoigne-t-il.

Le président de la CRA, Moussa Traoré, relève que sa structure n’est pas impliquée dans la signature des contrats. Il estime qu’elle peut néanmoins s’autosaisir de certains dossiers lorsque la situation le commande. « Nous souhaitons que les agriculteurs qui vont dans ce genre de contrats viennent vers la Chambre pour poser leurs problèmes », suggère Réné Ouattara, secrétaire général de la CRA des Hauts-Bassins.

Le DG de SMR, Honoré Tankoano, estime que les acteurs ne sont pas mieux outillés pour tirer profit de l’agriculture contractuelle.

Pour Honoré Tankoano, la plupart des acteurs sont en revanche animés d’une mauvaise foi. « En fait, certains producteurs ne sont pas animés de bonnes intentions. Ils n’ont pas envie de rembourser leurs dettes », signifie-t-il. Pour parer à toute éventualité, NAFASO a pris ses dispositions. Des techniciens recrutés pour la circonstance ont pour mission essentielle d’assurer un suivi régulier des producteurs sur le terrain.

« Je suis venu de la base et je connais parfaitement les problèmes. C’est pourquoi les producteurs qui bénéficient de nos conseils et appuis sont toujours en règle vis-à-vis de leurs obligations», fait savoir Abdoulaye Sawadogo. En dépit des contraintes diverses auxquelles l’agriculture contractuelle est confrontée, M. Tankoano se dit persuadé qu’elle constitue la voie idéale pour booster la production agricole au Burkina Faso. « Le producteur a un marché sûr, bénéficie des intrants de qualité et à bonne date. Les fournisseurs d’intrants ont également un marché sûr.

L’acheteur a des produits de qualité, en quantité et à bonne date. La banque aussi s’en sort avec des intérêts », détaille M. Tankoano. En tout état de cause, la CRA des Hauts-Bassins compte jouer sa partition pour que les choses changent positivement. « L’une des missions de la Chambre est de suivre, d’évaluer et de formuler des recommandations sur la mise en œuvre des projets en faveur de ses membres », mentionne Moussa Traoré.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

omichel20@gmail.com