Noumbié Koné, notable de Toumousséni : « Le baobab sacré ne répond pas aux vœux d’un sorcier »

Noumbié Koné, gardien du baobab sacré : « Si je tombe malade et on m’envoie à l’hôpital, c’est mon cadavre qui reviendra à la maison »

Noumbié Koné ou l’enfant de la faim en langue turka, est né le 4 août 1948. Il est le 11e gardien du baobab sacré de Toumousséni, localité située à une dizaine de kilomètres de Banfora, chef-lieu de la région des Cascades. Aux dires de ce septuagénaire, le baobab lui a donné 14 enfants, des richesses et assure sa sécurité. Ce baobab sacré est censé résoudre n’importe quel problème et attire ainsi du beau monde. Dans cet entretien, M. Koné revient sur l’importance de ce patrimoine culturel, évoque ses relations avec les esprits du baobab avec qui il échange régulièrement et les secrets à lui révélés par ces êtres invisibles.

Carrefour africain (C.A) : Qu’est-ce qui vous amène à garder, comme un trésor, ce vieux baobab dressé devant votre cour ?

Noumbié Koné (N.K) : Je garde le baobab parce que c’est le patrimoine culturel de mes ancêtres. Son importance, c’est la protection, le bonheur et la santé qu’il accorde à toute personne qui se confie à lui. Celui qui a un vœu, qu’il m’apporte son poulet blanc. Les besoins de ton cœur, il faut en parler au baobab. Et gare à l’ennemi qui va vouloir gâter ton travail. Il est foutu. Vous allez rentrer dans cette « chambre climatisée » (NDLR : trou), vous verrez l’antenne sacrée qui établit le réseau entre les génies et moi. Tout ce qu’on demande à ce baobab, il répond. On ne va jamais oublier cet arbre. Il représente les traces de nos ancêtres et nous aussi, suivons ces traces.

C. A : Quel est l’âge de cet arbre mystique ?

N. K : Je suis le plus jeune gardien de ce baobab. A propos de son âge, on ne peut pas parler de 1000 ans, peut-être dans les 2000 ans. L’arrivée de Samory Touré dans ce village a poussé nos ancêtres à se réfugier dans le trou de ce baobab. Le baobab a dit, jamais personne ne sera réduit en esclavage dans ce village. Il a réclamé son poulet blanc, symbole de l’alliance entre nos ancêtres et lui. Moi, Noumbié Koné, je suis le vieux gardien du « palais royal ». L’année de ma naissance, les criquets ont ravagé les récoltes et il n’y avait plus rien dans les champs. Mon papa a dit : tu es né trouvé que le maïs et le mil sont gâtés, qu’est-ce que tu vas manger pour devenir quelqu’un ? Tu es l’enfant de la faim, d’où mon nom Noumbié. Maintenant, il me reste quelques années pour avoir 80 ans. Avec mon baobab, on se communique bien. Vers minuit, il m’appelle et je rentre dans ce trou pour qu’on se parle. Si je sonne la cloche, les esprits du baobab me répondent. Ils me parlent parce que c’est eux qui m’ont choisi. Ils me parlent en disant ceci : mon fils, touche l’antenne, tu seras mon 11e gardien. Si je dis aux abeilles de sortir, elles vont envahir tout le village tout de suite.

C. A : Il semble que ce baobab sacré répond à tous les vœux. Il vous a certainement comblé de bonheur.

N. K : Ce baobab m’a donné un grand bonheur. Il a donné la santé à ma famille et aussi un peu de richesses. Quand je fais quelque chose, même si c’est peu, ça réussit. Si un enfant tombe malade, je rentre dans le baobab pour lui donner l’eau sacrée à boire et il est guéri. C’est maintenant que mes femmes accouchent à la maternité à cause des actes de naissance. Sinon, le baobab m’a donné deux épouses et 14 enfants. Je l’ai supplié de ne plus me donner d’enfants encore. J’ai un âge avancé, qui va les nourrir ?

C. A : Le baobab va les nourrir, n’est-ce pas ?

N. K : Mais il faut être sage et raisonnable aussi.

C. A : Des personnalités comme des anonymes viennent-ils chercher du soutien auprès du baobab sacré ?

N. K : Bien sûr. Le baobab ne fait aucune exception. Il répond aux vœux de tous ceux qui se confient à lui. Les hommes politiques et autres sont fréquents ici. Renseignez-vous auprès de Mme le gouverneur de la région des Cascades, elle était là avec ses gardes du corps. Elle a promis installer une plaque qui va indiquer le site. Mais jusqu’à présent, je n’ai rien vu.

C. A : Les feuilles du baobab servent à préparer de la sauce et les fruits sont utilisés pour faire du jus ou préparer de la bouillie. Au regard du caractère sacré de cet arbre, est-ce que leur consommation est permise?

N. K : Il est formellement interdit de toucher aux feuilles de ce baobab. Ce qui est sacré est interdit. Les fruits aussi subissent le même sort, sauf s’ils tombent d’eux-mêmes. Dans ce cas, on peut les consommer. Il est défendu de les arracher du haut de l’arbre. Celui qui touche aux fruits non tombés commet une faute grave. Si quelqu’un venait à commettre un tel forfait, il apporte un poulet blanc pour les sacrifices de réparation de la faute commise.

C. A : Vous dites bien que les hommes politiques viennent confier leur sort au baobab sacré. Si par exemple, lors des élections municipales, trois candidats à la mairie de Banfora se présentent, lequel sera privilégié au détriment des deux autres ?

N. K : En ce moment, il va choisir celui qui est habilité à bien diriger la mairie car il connaît le cœur de chacun d’eux. Il connaît tous les trois candidats. Il y a faux maire et bon maire. Celui dont le poulet blanc sera accepté par le baobab est pressenti pour être maire. Mais si le baobab rejette le poulet, ça veut dire que le candidat est une mauvaise personne. Ici on explique tout, on parle comme si on était devant la justice. Ce n’est pas ma faute si un tel n’est pas élu, il appartient à chaque candidat qui vient ici d’être correct, à savoir être un bon serviteur de l’Etat. Le baobab ne veut pas de malhonnêtes qui, une fois élu, ne s’occupent pas de la population.

C. A : Dans quelle langue communique-t-on avec le baobab quand on sait que tous les visiteurs ne parlent pas le turka ?

Ce baobab sacré procure la prospérité aux hommes et femmes qui viennent se confier à lui

N. K : Le baobab comprend toutes les langues. Il parle plus de 1000 langues. C’est lui qui m’en a révélé. Mais on ne parle pas le français avec le baobab. Chaque visiteur s’exprime dans sa langue maternelle. Le baobab est contre le sorcier et le jaloux. S’il y a un sorcier à côté du baobab, les abeilles sortiront soudainement l’envahir sans le piquer jusqu’à ce qu’il quitte les lieux. Il détecte facilement les sorciers du village. Il a déjà chassé des touristes ici jusqu’à ce qu’ils fuient pour rentrer précipitamment dans leurs voitures. Les abeilles ne sont pas agressives. Le baobab ne répond pas aux vœux d’un sorcier.

C. A : Faut-il être un initié pour comprendre les paroles des esprits du baobab sacré ?

N. K : Quand tu touches à l’antenne, tout ce qu’ils disent est audible. Ces esprits te montrent tout ce que tu dois faire pour réussir. Ce baobab, c’est un vrai arbre de bonheur, de paix, de dialogue et de concorde.

C. A : En guise de reconnaissance aux bienfaits du baobab, que faut-il apporter si le vœu est exaucé ?

N. K : Si le vœu est exaucé, en retour, il faut apporter un mouton pour des sacrifices d’actions de grâce. Des têtes de mouton sont accrochées à l’intérieur de l’arbre en guise de souvenir. Il y a aussi la flèche sacrée, la seule qui me reste. C’est la seule que mes devanciers ont gardée. On l’a enfouie dans le sol parce qu’elle est empoisonnée. Si elle pique une personne, elle meurt. Il n’y a pas d’antidote.

C. A : Qu’est-ce que le baobab a apporté à votre famille ?

N. K : Il facilite l’accouchement chez mes épouses et me donne la santé. Si une femme est à terme, on prend l’eau sacrée et on frotte sur son ventre. Immédiatement, elle accouche sans l’aide de quelqu’un. C’est à cause des actes de naissance que mes femmes vont accoucher à la maternité. Moi, je ne connais pas le paludisme. Je n’ai jamais contracté cette maladie. Si quelqu’un souffre de paludisme, en buvant la décoction seulement, il sera guéri.

C. A : A vous entendre, votre village n’a plus besoin d’un centre de santé puisque le baobab vous soigne tout?

N. K : Je ne vis pas seul au village au point de dire que je ne veux pas de CSPS. Mais celui qui vient exposer son problème au baobab, trouve la solution. Le baobab agit partout dans le monde d’où que vous soyez. En buvant l’eau sacrée, les malades sont purifiés. Le baobab sauve tout le monde quelles que soient l’ethnie, la race ou la religion. Par contre, ce qui est bien ici, on ne demande pas au baobab de tuer son prochain. Il ne tue pas quelqu’un pour aider un autre. Il ne tue pas quelqu’un pour permettre à un autre de prendre sa place.

C. A : De nos jours, avec l’influence de la modernité sur la tradition, qu’est-ce qui est fait pour sauvegarder ce patrimoine culturel ?

N. K : Les jeunes n’écoutent plus les conseils des vieux. Quand on leur parle, ils vous traitent de vieux cons. Si les malades de coronavirus se déportent ici, ils recouvriront la santé. Chez nous, on ne connaît pas cette maladie. Cette maladie n’est pas apparue pour nuire aux Africains. Ce sont les Blancs qui nous l’ont inventée pour en retour chercher de l’argent.

C. A : Selon vous, le baobab soigne toute sorte de pathologies, même les maladies incurables. Pourquoi il n’arrive pas à guérir les malades du VIH/sida ?

N. K : Le baobab veut la fidélité entre l’homme et sa femme. Si tu commets l’adultère et tu veux que le baobab te guérisse du SIDA, ce n’est pas possible. Il faut être correct et fidèle envers sa femme. Le cas échéant, c’est au malade de s’approcher et d’expliquer sa situation au baobab, je ne serai pas son intermédiaire. Je suis septuagénaire, je n’ai jamais avalé un comprimé, ni subi une quelconque injection des suites de maladie. La poudre que je m’empiffre suffit à me guérir d’un quelconque mal. Si je tombe malade et on m’envoie à l’hôpital, c’est mon cadavre qui reviendra à la maison. Je préfère rester tel que je suis. Depuis ma naissance, je n’ai jamais fait d’injection. Le traitement par les feuilles suffit à me guérir.

C. A : A vous écouter, le baobab semble trouver solution à tout problème. Que peut-il face à la mort ?

N. K : La mort n’a pas de médicament. Le baobab m’a dit : si tu vois les gens mourir, ne crois pas qu’il y a un médicament à cela. Certes, je vais te protéger, mais quand ton jour arrivera, tu iras te reposer en paix. Il me reste quelque 10 ans pour partir mais je ne sais pas qui sera mon successeur. Je vais mourir autour de 82 ans. Tu vas voir, tu es là. Même plus, parce que je fais sa volonté.

C. A : Ah bon, il a poussé l’outrecuidance jusqu’à vous révéler l’année de votre mort ?

N. K : Monsieur le journaliste, vous posez trop de questions. Arrêtons l’interview comme ça, ne m’amenez pas à dévoiler mes secrets.

Interview réalisée par
Ouamtinga Michel ILBOUDO
omichel20@gmail.com