Protection des espèces végétales : Les merveilles des stratégies endogènes

Les avantages de l’arbre pour l’homme sont multiples.

Dans les traditions des communautés africaines et notamment burkinabè, l’arbre n’est pas seulement une espèce végétale. Il joue aussi un rôle éminemment social et mystique au-delà de son essence. C’est pourquoi les populations ne cessent de développer des stratégies endogènes en vue de sa protection. Ces éléments ont constitué le plat de résistance d’un panel organisé le 6 août 2021 à Ziniaré, veille de la Journée nationale de l’arbre (JNA).

L’eau, c’est la vie, dit-on souvent. Cette maxime vaut aussi pour l’arbre dans le contexte africain et particulièrement burkinabè. Outre sa fonction écologique et économique non négligeable, l’arbre entretient des relations sociales, culturelles et religieuses très étroites avec les êtres humains. Il constitue même l’alpha et l’oméga de leur vie. Pour le magnifier et démontrer son importance dans les différentes communautés, deux thèmes ont été décortiqués à Ziniaré lors du panel tenu à la faveur de la IIIe édition de la Journée nationale de l’arbre (JNA).

Les panélistes ont axé leurs réflexions notamment sur la « Place et rôle de l’arbre dans les

Le panéliste Dr Roger Zerbo :
« Les sanctuaires boisés permettent de reconstituer l’histoire d’un peuple ».

sociétés traditionnelles au Burkina Faso » et « Les stratégies endogènes de protection de l’arbre ». Le premier thème, développé par Dr Léonce Ki, enseignant d’université, fait ressortir l’utilité de l’arbre dans toutes les sociétés burkinabè. Dans tous les segments de la vie de l’homme, souligne-t-il, l’arbre est présent et ses usages sont multiples et variés. L’art culinaire et vestimentaire, l’huilerie, la cosmétique, la fabrication des boissons, la médecine, l’architecture, la décoration…, sont autant de domaines dans lesquels interviennent les plantes.

« C’est l’arbre qui nous nourrit et nous soigne », clame Dr Ki qui explique que dans certaines communautés, ce sont les fruits de l’arbre à karité, du néré ou encore les feuilles du balanites aegyptiaca (dattier du désert) qui sauvent nombre de paysans pendant la période de soudure. A cette période cruciale où les greniers sont vides et les nouvelles récoltes pas encore prêtes, ce sont les fruits et les feuilles des arbres qui font office de nourriture pour la survie. Pour la cuisson de ses aliments, l’homme fait aussi recours à l’arbre dont le bois constitue la principale source d’énergie dans les ménages. Il n’est également un secret pour personne que certaines plantes sont prisées pour leurs vertus médicinales.

L’arbre, symbole de cohésion sociale

Grâce aux interdits sociaux, certaines forêts sont protégées au Burkina Faso.

Au-delà de ses fonctions, le panéliste indique que l’arbre est le symbole premier de la cohésion sociale. « Tout le monde sans exception de religion ou d’ethnie a droit aux services de l’arbre (ombre, bois, fruits…) », précise-t-il. C’est sous l’arbre à palabres, censé symboliser les ancêtres, qu’on discute des priorités du village et dont les décisions sont généralement irrévocables. Dans les cultes, l’utilité de la plante est bien connue avec l’existence des bois sacrés dans lesquels sont organisées les cérémonies rituelles.

A ces occasions, avance l’universitaire, certaines parties de l’arbre, à savoir les écorces, les feuilles ou le tronc, sont prélevées pour confectionner les tenues des masques. C’est le cas du caïlcédrat, du fromager ou du kapokier. A l’entendre, l’arbre est le reflet de la personne humaine dans bien des communautés. Cela s’observe à travers l’attribution de noms d’arbres à des enfants (Tiga ou Tipoko chez les Mossé). Selon lui, la plante intervient également dans la fabrication d’instruments de musique et de communication permettant les réjouissances populaires et l’annonce des messages d’alerte, de détresse ou de joie. Les tambours, les flutes, les balafons…, relèvent de ces outils.

De la communication de Dr Ki, on retient que dans les sociétés traditionnelles burkinabè, les espèces végétales sont indispensables à l’homme, depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Toutefois, il déplore l’avènement de la coupe abusive du bois qui constitue une sérieuse menace pour la survie de l’espèce. C’est pourquoi, il recommande de la protéger pour la postérité. Face au péril de l’arbre, des stratégies endogènes ont été initiées par chaque communauté pour venir à bout du phénomène et sauvegarder l’espèce.

Ces solutions locales de protection ont été développées par le second panéliste, en la personne de Roger Zerbo, également professeur d’université. Dr Zerbo fait remarquer que l’arbre a un statut religieux et culturel très important au Burkina Faso. « Dans la cosmogonie de nombreuses sociétés, l’arbre joue le rôle de trait d’union entre le ciel et la terre », note-t-il. C’est pourquoi les plantes sont considérées, dans les traditions, comme les enfants du ciel et interviennent dans les rituels à plusieurs niveaux.

Les bois sacrés, refuges des ancêtres

Le panéliste Dr Léonce Ki : « Dans certaines communautés, on plante les arbres pour perpétuer la mémoire des personnes décédées ».

On y trouve, à cet effet, des plantes liturgiques, celles abritant des divinités et contribuant aussi à codifier l’espace social. Pour le panéliste, les bois sacrés, qui font partie des fondements de la religion traditionnelle, ont une place dans le symbolisme et la structuration de la société. En ces lieux, explique-t-il, on rentre en contact avec les ancêtres, les génies et les dieux ; ce qui fait de l’homme africain un être fondamentalement attaché à la nature. L’arbre acquiert ainsi un caractère sacré et devient un lieu de culte. « Les ancêtres résident généralement dans les forêts sacrées et les collines », informe Dr Zerbo.

D’où la nécessité de protéger ces espaces afin d’éviter la colère des dieux dont les conséquences sont, entre autres, les sécheresses, la faim, les divorces, les avortements involontaires, etc. Cette sacralité de l’arbre est aussi reconnue dans les religions dites révélées. Si dans le christianisme, la plante est considérée comme symbole de vie, de renaissance, de fécondité, un lieu de rencontre et de révélation, elle est vue dans l’islam comme une grâce divine. « Dans le Saint Coran, planter et prendre soin des arbres sont un acte de grande charité. Les feuilles et l’ombre constituent une aumône faite par le planteur », détaille Roger Zerbo.

Tous ces dispositifs mis en place dans les différentes sociétés sont de nature à préserver certaines espèces de plantes menacées de disparition. Au-delà de cette fonction religieuse et culturelle, estime Dr Zerbo, les forêts sacrées jouent un rôle touristique et écologique assez important. A l’image du parc Bangrewéogo à Ouagadougou qui contribue à la promotion de l’écotourisme, dit-il, ces forêts produisent aussi de l’oxygène et permettent la conservation de la biodiversité. Autant de raisons qui expliquent cette propension à protéger l’arbre, source de vie pour l’homme.

Mady KABRE


Les objectifs de la JNA

La dégradation continue du couvert végétal est une réalité indéniable au Burkina Faso. Selon les statistiques du ministère en charge de l’environnement, le pays a perdu plus de 24 870 km2 de forêt, soit 9% de son territoire, entre 2002 et 2013. Les principaux facteurs directs de cette déforestation sont l’expansion agricole et l’orpaillage, la demande en bois de chauffe et ses dérivés, la surexploitation fourragère et la pratique des feux de brousse. Pour contrer ce phénomène, plusieurs initiatives de reboisement et de gestion forestière ont été développées, à l’image des trois luttes, les projets 8 000 villages, 8 000 forêts, une école, un bosquet, un département, une forêt, etc.

Chaque année, 6 millions de plants en moyenne sont mis en terre sur une superficie estimée à 10 000 hectares sur l’ensemble du pays. Le taux moyen de réussite de ces plantations à partir de la deuxième année est estimé à 25% environ, alors qu’il devrait être de 60%. C’est au regard de ces résultats peu satisfaisants que la Journée nationale de l’arbre (JNA) a été instituée depuis 2019. Elle vise à créer un engouement populaire pour la plantation, l’entretien et la protection des plants mis en terre ; magnifier l’arbre pour ses multiples fonctions et services socio-économiques et culturels ; reconnaître et récompenser les mérites des acteurs intervenant dans le domaine de la préservation des ressources forestières.

M.K. Source : MEEVCC