Aménagement de 1 500 ha à Samendéni : A quand la fin des travaux ?

Les travaux avancent à pas de caméléon à Bossora

Démarrés en novembre 2018 pour un délai hors-saison pluvieuse de 18 mois, les travaux d’aménagement de 1 500 ha de périmètres irrigués à Samendéni sont à un niveau d’avancement très bas. Les chantiers répartis sur trois sites dont Niéguéma avec une superficie de 600 ha, Séguéré avec une superficie de 180 ha et Bossora avec une superficie de 720 ha, sont aujourd’hui à l’arrêt. Une équipe de Carrefour africain s’est rendue sur les sites de Bossora et Niéguéma en fin décembre 2021. Constat.

Difficile de rallier Niéguéma, localité située un peu plus en profondeur du chef-lieu de la commune rurale de Bama (province du Houet, région des Hauts-Bassins) dont elle relève. Au cours du mois d’août 2021, une première tentative de réaliser un reportage dans ce village s’est soldée par un échec à cause du mauvais état de la route. Pendant l’hivernage, le village est totalement coupé du reste du monde.

Ce qui contraint donc notre équipe à rebrousser chemin. Espérant que cette fois sera la bonne, décision est prise de retourner à Niéguéma en cette après-midi du lundi 27 décembre 2021. Pour avaler la vingtaine de kilomètres qui le relie à sa circonscription administrative, il faut jongler entre des pistes enchevêtrées dans la broussaille et de nombreuses secousses sur la route principale.

De quoi donner du tournis aux nombreux usagers qui vivent ce calvaire depuis des années. Et pourtant, Niéguéma fait partie des trois villages bénéficiaires du projet d’aménagement de 1 500 ha de périmètres irrigués à la faveur de la mise en valeur de la vallée de Samendéni. Cette première tranche d’aménagement s’inscrit dans la composante « aménagement de 21 000 ha de terres du Programme de développement intégré de la vallée de Samendéni (PDIS) ».

Pour le chef du village de Bossora, Salia Sanou, affirme que c’est le sous-équipement de l’entreprise SGTM qui est à l’origine du retard

Pour sa réalisation, l’Etat a pu mobiliser plus de 14 milliards FCFA auprès de ses partenaires. Les travaux lancés en novembre 2018 devraient en principe s’achever au plus tard fin décembre 2021. Cependant, force est de constater que rien ne bouge véritablement sur le terrain. Sur le site de Niéguéma où se trouve le lot 2 d’une superficie de 600 ha, les travaux avancent à pas de caméléon. La Société nouvelle des conduites d’eau Afrique (SNCE), chargée de l’exécution des travaux, a dû arrêter.

C’est un chantier à l’abandon qui se dévoile au visiteur à la périphérie du village, non loin des habitations. Idrissa Porgo, gardien du garage, assure la sécurité du matériel de l’entreprise. Il y a 4 mois de cela, atteste-t-il, les travaux sont à l’arrêt. A son avis, la plupart des travailleurs ont disparu des radars.

Il dit ignorer les raisons de leur départ des lieux. Des herbes et des arbustes jonchent le lieu destiné à l’aménagement des parcelles de production. Les canaux secondaires ne sont toujours pas construits. Des pistes en terre battue de couleur rouge longent des canaux primaires qui semblent délimiter le périmètre irrigué. Autre lieu, mêmes réalités. Le village de Bossora situé dans la commune rurale de Satiri abrite le lot 3 d’une superficie de 720 ha.

Ici, le marché a été confié au groupement d’entreprise la Société générale des travaux modernes SGTM/SFT pour un délai de 20 mois. Là aussi, c’est un constat amer qui se dégage. Alors que l’on devait assister à la fin des travaux, l’ambiance sur le site est moins rassurante. Les canaux et les pistes sont en chantiers. En lieu et place des parcelles, ce sont des herbes et des arbustes qui couvrent le futur périmètre irrigué.

Des troncs d’arbres arrachés du milieu du basfond sont entrainés loin des champs d’alentours. Sur ce chantier, aucun vrombissement d’engins lourds ne se fait entendre. Le garage situé à quelques encablures de là offre un spectacle désolant. Des machines y sont garées. Des techniciens vêtus de blouses s’affairent à les réparer, sous le regard médusé de quelques ouvriers assis au pied d’une grue.

La compétence des entreprises remise en cause

Le rendez-vous de 2021 pour l’inauguration de cette première phase d’aménagement ne sera donc pas respecté. Les chantiers visités accusent un retard abyssal. Cette lenteur, les populations la mettent sur le dos des entreprises et des responsables du PDIS. Entre interrogations et angoisses, beaucoup se perdent dans les dédales sombres de ce projet. « Si on nous demande de dire les causes, nous ne saurions y répondre. Souvent, nous nous rendons sur le chantier mais nous avons remarqué que notre présence dérangeait certains travailleurs», lâche Karim Sanou, conseiller municipal de Niéguéma.

Aux dires de M. Sanou, cette lenteur s’explique aussi par le fait que l’entrepreneur travaille sur un autre chantier. « L’année passée, l’entreprise n’a pas travaillé. Quand nous nous sommes approchés pour comprendre, les responsables nous ont dit qu’ils veulent terminer un chantier à Bagré avant de venir. A l’heure où nous sommes, nous ne savons pas s’ils ont fini ou pas ; mais une chose est sure, ils n’ont pas repris les travaux », témoigne-t-il.

Le président du Conseil villageois de développement (CVD) de Niéguéma, Fatogma Sanou,

Le CVD de Niéguéma, Fatogma Sanou, déplore le manque de collaboration entre les acteurs sur le chantier

se dit préoccupé par cette situation. Il affiche son désarroi vis-à-vis des responsables de l’entreprise qui sont partis sans l’informer. « Je suis plus qu’inquiet », s’indigne-t-il. Les habitants de Bossora sont logés à la même enseigne. L’arrêt du chantier a créé un mécontentement général au sein de la population.

De quoi provoquer le courroux du CVD de Bossora, Ousmane Sanou. Il en veut notamment aux responsables de l’entreprise SGTM/SFT et au PDIS qui refusent de collaborer avec les populations-hôtes. « Nous n’avons pas été impliqués dans la mise en œuvre de ce projet », se désole-t-il. D’après le chef du village Salia Sanou, les habitants de Bossora sont pourtant prêts à apporter leurs contributions. « Nous n’avons pas d’argent à leur donner, mais nous avons des idées », croit-il savoir.

Malheureusement, relève-t-il, personne ne veut les écouter. On peut également lire le découragement sur le visage de Boukaré Traoré, un habitant de Bossora. Autant dire que la sérénité n’est pas de mise sur les différents chantiers. Dans certains cas, les entreprises sont indexées en raison de leur incapacité à réaliser ces aménagements. Un sentiment largement partagé au village de Bossora où l’entreprise est accusée de ne pas disposer d’équipements adéquats occasionnant ainsi un gros retard dans l’exécution des travaux.

En effet, Salia Sanou pense que celle-ci se débrouille sur le chantier avec des moyens de bord. « Elle n’a pas assez de matériels pour travailler », insiste-t-il. Pour pallier les insuffisances, indique-t-il, les responsables de SGTM/SFT ont fait intervenir des sous-traitants. « L’entreprise recrute des sous-traitants mais ces derniers n’ont jamais respecté leurs contrats», relève-t-il. Car, rapporte-t-il, « les sous-traitants disent qu’ils sont mal payés ». Outre cela, les villageois dénoncent des magouilles au niveau des recrutements.

A les entendre, les entreprises sont plus enclines à recruter des non-résidents au détriment des résidents. A ce sujet, le président CVD de Niéguéma, Fatogma Sanou, raconte sa mésaventure. En fait, il confie qu’il a été auparavant désigné par le responsable de l’entreprise afin de recruter des jeunes du village pour travailler dans le chantier.

A sa grande surprise, déplore-t-il, la liste qu’il a transmise n’a pas été prise en compte au moment du recrutement. Une attitude qui s’apparente, de son avis, à une trahison, voire un manque de respect vis-à-vis de sa personne. « Ils ont recruté eux-mêmes leurs agents en faisant fi de la liste que je leur ai remise. On voyait les gens quitter d’autres villages pour venir travailler, ce qui révoltait davantage les autochtones », soutient-il. Il apparaît clairement que les travaux d’aménagement de la première tranche sont confrontés à de nombreuses difficultés.

La gendarmerie détruit des champs

Faute d’aménagement, des propriétaires terriens se sont lancés à la reconquête de leurs domaines précédemment cédés à l’Etat. C’est le cas à Niéguéma où la fertilité des sols au niveau du basfond aiguise les appétits de plusieurs personnes. Il a fallu que le PDIS bande les muscles pour ramener certains à la raison. En effet, avec l’aide de la gendarmerie, le PDIS est parvenu à déloger les occupants de son site.

Comme si cela ne suffisait pas, les gendarmes ont également procédé à la destruction systématique des champs. Le climat était devenu délétère à Niéguéma et la méfiance s’est installée. Pour désamorcer la crise, le conseiller municipal de Niéguéma, Karim Sanou, soutient avoir entrepris des négociations. Au nom des propriétaires terriens, il constitue une délégation pour se rendre chez le préfet. Fort heureusement, cette démarche citoyenne a abouti à l’apaisement des cœurs et au retour à la normale.

D’après lui, les contrevenants qui devaient à la fois faire la prison et dédommager le PDIS ont vu leurs poursuites abandonnées. Ces évènements traduisent du même coup un malaise qui ne dit pas son nom sur les chantiers. Et c’est dans ce climat de méfiance que le PDIS veut solliciter des terres dans la bande de servitude à Niéguéma en vue de planter des arbres, histoire de protéger les berges.

« L’Etat a formulé une demande de 100 m au niveau de la bande de servitude pour réaliser

Pour le chef du village de Bossora, Salia Sanou, affirme que c’est le sous-équipement de l’entreprise SGTM qui est à l’origine du retard

une forêt galerie autour du périmètre irrigué », note Boukaré Traoré, un autre conseiller municipal de Niéguéma. Jusqu’à présent, martèle-t-il, cette requête n’a pas trouvé un écho favorable auprès des propriétaires terriens. A l’écouter, les discussions achoppent sur le dédommagement des propriétaires terriens.

Chose que le PDIS rejette du revers de la main. Par manque de compromis, les propriétaires terriens continuent d’exploiter ces domaines pour nourrir leurs familles. Même en saison sèche, ils y pratiquent des cultures de contre-saison. Une fois les travaux terminés, place à l’attribution des parcelles. Même si le PDIS n’a pas encore dévoilé tous les critères, il a parlé d’une opération de recensement des populations qui ne devait plus tarder.

Il faut signaler que ce sont au total 972 parcelles qui seront dégagées à la fin de l’aménagement des 1500 ha dont 546 parcelles de 0,5 ha chacune, 295 parcelles de 1 ha chacune et de 101 parcelles de 9 ha chacune. Le gros point d’interrogation, c’est comment satisfaire tout ce beau monde qui a les yeux rivés sur ces terres fertiles, sans justement créer des frustrations ?

Notre démarche a consisté à donner la parole aux personnes impliquées dans la mise en œuvre de ce projet. Mais les responsables du PDIS et des entreprises ont usé de leur bon droit de ne pas répondre à nos questions.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

omichel20@gmail.com