Accès des femmes au foncier à Ouahigouya: Des prêts de terre comme alternative

Outre l’oignon, les femmes produisent d’autres spéculations.

Chez les Yadsé de Ouahigouya, tout comme dans la plupart des sociétés burkinabè, la femme n’a pas droit à la terre. Cette injustice longtemps entretenue est en passe d’être corrigée à travers des alternatives. Depuis 2015, l’Association professionnelle des maraîchers du Yatenga (ASPMY) semble trouver la bonne formule. Auprès de certains hommes, elle négocie des prêts de terre au profit de ses membres féminins. Un contrat gagnant-gagnant qui, à l’évidence, convient bien aux usufruitières et aux nus-propriétaires.

Les femmes demandent à l’Etat de les aider à accéder à la terre.

La quarantaine bien sonnée, Habibou Ouattara réside à Bogoya, un hameau de culture relevant de la commune de Ouahigouya, dans la région du Nord. Cela fait 15 ans qu’elle a jeté son dévolu sur la production maraîchère, une activité qui a le vent en poupe dans la localité. Habibou est membre d’un groupement féminin dénommé « Sougr nooma », fort de 70 membres. Sur les berges du barrage de Goinré (le plus grand de la commune), cette communauté de femmes s’adonne avec abnégation à la culture de contre-saison sur un espace de 3,5 hectares (ha), extensible à 10. Dans la foultitude des spéculations produites, l’oignon se taille la part du lion. Des dires de la quadragénaire, chaque femme peut se retrouver avec près d’une tonne de bulbes d’oignon par campagne. Une véritable fortune, selon elle, qui leur permet de contribuer à supporter les charges familiales. « Il y a des femmes qui gèrent des familles à la place de leurs maris », clame Habibou, la daba accrochée à l’épaule. Un avis partagé par sa collègue Haoua Ouédraogo, 43 ans. Egalement membre du groupement, elle se plaint de ne pouvoir économiser un seul sou à cause des nombreuses charges familiales. En effet, confie-t-elle, tous les bénéfices tirés de la vente de l’oignon s’engloutissent systématiquement dans la scolarité de ses trois enfants et les autres besoins quotidiens du ménage. Alors qu’elle estime ce gain entre 200 et 250 mille F CFA l’an.

Safoura Maïga, présidente du groupement Nabonswendé : « Ce que la femme gagne reste dans le foyer ».

Safoura Maïga est la présidente d’un autre groupement de productrices d’oignon, baptisé « Nabonswendé ». Depuis 17 ans, ces femmes s’activent elles-aussi à Bogoya, non loin du barrage de Goinré, sur une superficie de 11 ha. Tout comme ses « sœurs », Safoura indique bien s’en sortir dans son activité. Mais, se désole-t-elle, la grosse partie de son gain va dans la gestion du foyer.

L’affranchissement des femmes

« Nous sommes des femmes rurales, donc ne bénéficiant pas d’argent de popote de la part de nos époux. Dès qu’ils donnent le mil ou le maïs, c’est à nous de nous débrouiller pour aller au moulin, acheter le bois et trouver la sauce », relate la présidente. Au constat, dans la cité de Naaba Kango, les femmes sont fortement engagées dans le maraîchage. Mais le hic est qu’aucune de ces braves productrices n’est établie sur une terre propre à elle. Que ce soit au groupement Sougr nooma ou à Nabonswendé, toutes ces dizaines d’hectares de terre exploitée ont été empruntés aux hommes qui en ont la nue-propriété. D’ordinaire, les femmes travaillent aux côtés de leurs époux dans les champs. Mais pourquoi ce revirement de situation où « l’autre moitié du ciel » cherche à prendre son indépendance dans la production maraîchère ? Safoura Maïga tente de retracer la genèse de cet « affranchissement » soudain. De ses explications, les femmes reprochent à leurs maris de dilapider leurs sous dehors, parfois pour des futilités. Elle cite, par exemple, les achats immodérés de jolies motos, la séduction des filles ou la multiplication des mariages. « Alors que nous sommes préoccupées par l’avenir de nos enfants. Comme nous avons des visions tout à fait différentes, nous avons décidé de travailler pour notre propre compte », martèle-t-elle. A l’évidence, les femmes ne semblent pas avoir pris la mauvaise décision, puisqu’aucun signe de regret ne transparait sur leur visage. Le groupement Nabonswendé peut engranger par campagne  environ 350 sacs de 130 kg d’oignon; ce qui constitue une aubaine pour lui au cas où le prix du sac monte à 25 000 F CFA.

Le SG de l’ASPMY, Mahamadi Ouédraogo : « Le contexte nous impose de changer de mentalité ».

Toutefois, l’obtention des parcelles de production n’a pas été un long fleuve tranquille. La formation des groupements était la condition sine qua non pour y parvenir. C’est ainsi que l’Association professionnelle des maraîchers du Yatenga (ASPMY) est entrée en jeu. « L’ASPMY a négocié et aménagé un terrain de près de 11 ha pour nous », soutient Safoura. Il en est de même pour le groupement Sougr nooma. L’appui de cette faîtière aux femmes n’est pas fortuit, à entendre son Secrétaire général (SG), Mahamadi Ouédraogo.

Un contrat de 10 ans renouvelable

Grâce à l’oignon, les maraîchères arrivent à joindre les deux bouts.

En effet, note-t-il, dans le maraîchage, la femme était utilisée comme  une main d’œuvre, juste pour le repiquage, le désherbage et la moisson. Malgré ses talents avérés dans la production, poursuit le SG, elle ne jouit pas d’un titre de possession foncière. « Au Yatenga, on est né féodal. La femme n’a rien. Chez elle, en tant que jeune fille, elle ne dispose pas de la terre. Chez son mari aussi, elle n’en a pas accès », déplore M. Ouédraogo. Pour corriger cette injustice sociale, sa structure a pris l’initiative, depuis 2015, de négocier des espaces de culture auprès des propriétaires terriens au profit des dames. Ces productrices, organisées en groupements, sont toutes, membres de l’ASPMY. Cette formule, appelée « contrat de prêt de terre », a pour objectif de permettre aux femmes de produire et de renforcer les liens sociaux entre elles et les propriétaires terriens, de l’avis du SG. « On échange avec le propriétaire terrien qui met sa terre à la disposition des femmes pendant une décennie pour leur permettre de travailler en toute quiétude. A l’issue des dix ans, si entente il y a, on peut proroger le contrat pour une autre décennie », détaille-t-il. Dans les termes de cette convention,  Abdoulaye Ouédraogo, un technicien de l’ASPMY, tient à apporter une précision. Selon lui, les femmes sont autorisées uniquement à exploiter le terrain prêté en saison sèche pour le maraîchage. En hivernage, les propriétaires reprennent leurs terres pour la production des céréales, notamment le mil, le sorgho et même le maïs. Le contrat n’implique pas non plus un quelconque échange de biens ou de numéraires. Autrement dit, les dames ne jouissent que de l’usufruit de ces terres.

Parmi les propriétaires terriens, devenus par la suite les « bons samaritains » des productrices maraîchères, figure Souleymane Ouédraogo. Homme d’une cinquantaine d’années, celui-ci vit à Baobané, un bled situé à la périphérie-est de Ouahigouya. Sur sa propriété de 3 ha, il a accepté céder deux aux dames. Ce 23 novembre 2021, les maraîchères sont en début de campagne. Seules des plantes de poivron sont déjà visibles sur une petite parcelle tandis qu’à côté, un aménagement est en cours pour accueillir l’oignon.

Une adhésion par intérêt

Pour Souleymane Ouédraogo, le contrat permet de mettre sa terre en valeur

Souleymane justifie son engagement par le fait qu’il veut aider les femmes à être autonomes sur le plan économique. Mais en réalité, ses motivations vont au-delà d’un simple acte de générosité. Nombre de productrices restent convaincues que les hommes adhèrent au contrat par pur intérêt. « Nous enrichissons les terres empruntées en y apportant de la fumure organique et les propriétaires les récupèrent après pour la campagne humide. En hivernage, leurs champs présentent une très bonne physionomie. Je pense que c’est pour cela que beaucoup acceptent céder leurs terres », estime Habibou Ouattara du groupement Sougr nooma. Avec un air dépité, elle avoue ne pas comprendre pourquoi le contrat ne leur permet pas une exploitation en toute saison. Abdoulaye Ouédraogo de l’ASPMY est du même avis lorsqu’il affirme que l’engouement des nus-propriétaires autour de leur projet est manifeste. En ce sens, avance-t-il, que les productrices contribuent à récupérer les terres dégradées à travers l’apport d’engrais organique. « Beaucoup d’hommes viennent nous voir pour proposer leurs terres aux femmes », précise Abdoulaye.

La femme est reconnue pour son assiduité au travail mais elle ne dispose pas de sa propre terre.

Le propriétaire terrien Souleymane Ouédraogo ne dira pas le contraire. Il reconnait que la plus grosse récompense qu’il tire de cette clause demeure la fertilisation de son terrain. Depuis qu’il a souscrit au projet, il y a de cela deux ans, il dit constater une nette amélioration de ses rendements en céréales.

Originaire lui aussi de Baobané, Ousmane Ouédraogo (35 ans) s’est inscrit dans la même dynamique en concédant 5 de ses 7 ha aux dames. Vu les retombées positives du projet pour lui, il déclare être prêt à signer dorénavant un contrat à durée indéterminée. A la question de savoir si Ousmane est également disposé à céder définitivement une portion de son terrain aux femmes, il hésite un moment avant de lâcher : « Là, c’est une affaire de famille. Il y a des voix plus autorisées que la mienne ». Par la suite, il indique que dans sa contrée, la femme peut solliciter la terre pour cultiver mais jamais, elle ne peut en être propriétaire. De son côté, Souleymane se montre aussi prudent quant à une éventuelle cession définitive de terrain à une dame. « Si c’est pour le prêt, je peux prendre tout seul la responsabilité. Par contre, pour une cession totale, il faut que je consulte les aînés », tranche-t-il.

« Si jamais nous devenons des propriétaires…»

Sanata Ouédraogo, maraîchère à Bogoya : « Si jamais nous devenons des propriétaires terriennes, nous allons vaincre la pauvreté ».

Des réactions mitigées qui prouvent que l’accès des femmes au foncier dans cette partie du Burkina Faso relève toujours d’un parcours du combattant. Pourtant, celles-ci restent persuadées que si elles disposent de leurs propres terres, elles pourront créer des merveilles, en boostant l’économie nationale. « Si jamais nous devenons des propriétaires terriennes, nous allons vaincre la pauvreté. Hélas, nous n’avons pas ce privilège », assure Sanata Ouédraogo, productrice maraîchère à Bogoya. Pour sa part, Haoua Ouédraogo pointe un doigt accusateur sur l’orgueil des hommes. « Il y en a qui se plaisent à dire qu’ils sont libres de disposer de leurs terres et d’en faire ce qu’ils veulent », déplore-t-elle. Habibou Ouattara, elle, semble s’être résignée face à la situation. « Nous sommes perdantes sur toute la ligne. Pas de terres chez nos parents, ni chez nos maris », soupire-t-elle, impuissante. A son avis, la seule option qui reste est l’acquisition par achat. Mais à quel prix ?

Le responsable de la promotion de l’économie rurale du Nord, Ouango Tiendrebéogo : « Les femmes contribuent énormément au développement de l’agriculture ».

Néanmoins, rassurent les responsables régionaux en charge de l’agriculture du Nord, les mentalités sont en train d’être changées grâce aux multiples actions de sensibilisation. « De plus en plus, des femmes arrivent à avoir des attestations de possession foncière », révèle le chef de service régional de la promotion de l’économie rurale du Nord, Ouango Tiendrebéogo. Du côté de la Chambre régionale d’agriculture (CRA), on travaille également à ce que la femme puisse jouir du droit d’accès à la terre, même si on reconnait la délicatesse de la question. « Nous avons approché des propriétaires terriens pour demander des lopins au profit des femmes. Certains ont commencé à comprendre mais c’est toujours compliqué », avoue le président de la CRA, Abdoulaye Bagaya.

Mady KABRE