Lutte contre l’insécurité alimentaire dans le Kourwéogo: Les greniers de solidarité, une bouée de sauvetage

Ce stock de sorgho au grenier de Zikémdé a été vidé pendant la période de soudure

Au Burkina Faso, les banques de céréales et les boutiques-témoins tentent irrémédiablement d’apporter des réponses adéquates à l’insécurité alimentaire. Entre disette et désespoir, l’accès aux vivres durant la période de soudure reste toujours un mirage pour les couches les plus démunies. En s’inspirant des insuffisances de la politique gouvernementale en matière de lutte contre l’insécurité alimentaire, une association du Kourwéogo crée les greniers de solidarité, un outil de gestion communautaire des stocks de sécurité alimentaire.

Daniel Kinda, président du groupement Nabonswendé de Zikemdé, se félicite de la création d’un grenier de solidarité dans son village 

Zikémdé est un petit village rattaché à la commune de Boussé, province du Kourwéogo, région du Plateau central. En cette matinée du mercredi 22 décembre 2021, un homme d’une cinquantaine d’année s’affaire à arroser son jardin potager situé dans un basfond. Il se nomme Daniel Kinda, par ailleurs président du groupement Nabonswendé de Zikémdé. Un groupement qui a placé sa confiance depuis 2017 au grenier de solidarité, considéré comme un moyen pouvant garantir la sécurité alimentaire dans le village. Enchantés à l’idée de vaincre la faim, les villageois mettent sur pied un comité de gestion composé de six membres. Robert Kinda est lui, le président du grenier. Les entrées et les sorties de vivres sont sous son contrôle. Pourquoi une ruée des populations vers le grenier de solidarité ? Robert Kinda, président du grenier de Zikémdé, répond : « Nous savons tous que pendant la période de soudure, beaucoup de familles n’ont pas à manger. Elles n’ont pas non plus d’argent pour acheter des vivres. Raison pour laquelle nous avons décidé de créer le grenier de solidarité ». Les greniers de solidarité sont portés sur les fonts baptismaux par l’Association tind-yalgré (ATY) de Boussé. L’idée, selon son président, Madi Sawadogo, est d’amener les populations à se prendre totalement en charge sur le plan alimentaire. De ses explications, les greniers de solidarité sont différents du warrantage, des boutiques-témoins et des banques de céréales. A en croire M. Sawadogo, l’un des avantages de ce mécanisme, est qu’il ne fait pas intervenir de l’argent. D’après lui, c’est pour pallier les insuffisances des mécanismes existants qu’il a décidé de créer les greniers de solidarité. Dans ce mécanisme, martèle-t-il, ce sont les populations elles-mêmes qui constituent leurs propres stocks de sécurité. «A la fin des récoltes, on collecte les vivres auprès de chaque membre du groupement pour constituer le stock. Pendant la période de soudure, le groupement les prête à ses membres qui sont dans le besoin », explique-t-il.

Robert Kinga, président du grenier de Zikémdé, assure la gestion du stock de vivres

Un affamé n’a pas d’argent

Mais les membres ne sont pas les seuls à bénéficier de ces vivres. Même s’ils sont prioritaires durant le partage, le grenier se montre aussi solidaire des personnes qui crèvent de faim mais ne sont pas membres du groupement. Mais à une condition. « Elles doivent avoir un aval parmi les membres du groupement », précise Madi Sawadogo. Dans la plupart du temps, se convainc-t-il, un affamé n’a pas d’argent. Raison pour laquelle, signale-t-il, les vivres vendus à prix social restent toujours inaccessibles aux familles pauvres. Les greniers de solidarité sont connus des services techniques du ministère en charge de l’agriculture. Abdoudramane Sanou, chef de service régional des études et statistiques sectorielles à la direction régionale du ministère en charge de l’agriculture du Plateau central, pense qu’ils sont une très bonne chose, car ne nécessitant pas des dépenses d’argent.  Il estime d’ailleurs que cette initiative est à saluer puisqu’elle vient en complément des actions du ministère en charge de l’agriculture en matière de lutte contre l’insécurité alimentaire au Burkina. Au cours de la saison écoulée, le village de Zikémdé a pu constituer un stock composé d’une dizaine de sacs de 100 kg de sorgho. De l’avis du président du groupement, Daniel Kinda, cette réserve de provisions a permis de sauver 17 familles de l’insécurité alimentaire. Oumarou Kinda est membre du groupement Nabonswendé. Au mois d’août 2021, ses greniers étaient vides. Sans hésiter, il se tourne vers le grenier de solidarité pour demander de l’aide. En fin de compte, on lui a prêté 40 platées de sorgho, soit l’équivalent d’un sac de 100 kg de vivres. Ainsi, se réjouit-il, les membres de la famille n’ont pas manqué de quoi se nourrir tout au long de l’année. Tout comme lui, Daniel Kinda a pris 10 platées, soit environ 25 kg de sorgho. Robert Kinda a pris la même quantité de vivres. Dans le Kourwéogo, les greniers de solidarité se sont imposés par la force des choses à cause de la récurrence des pénuries alimentaires en saison pluvieuse. Du coup, les efforts conjugués de l’ATY et du gouvernement contribuent, foi de nos interlocuteurs, à atténuer leurs effets néfastes sur les populations.

De la restitution des vivres

Pour assurer la transparence dans la gestion des stocks, des fiches d’enregistrement de la collecte des vivres, des prêts et des remboursements ont vu le jour. A entendre Elie Sawadogo, responsable de suivi du grenier de Zikémdé, le contrôle des mouvements des vivres s’impose à tout point de vue. « Nous faisons l’inventaire des entrées et des sorties de vivres », note-t-il avec un brin de satisfaction.

Selon Elie Sawadogo, ce mécanisme soulage les souffrances des familles démunies durant la période de soudure

Pour lui, l’ATY enregistre plus de 500 bénéficiaires de ce type d’aide chaque année. Toutefois, les vivres empruntés sont remboursés avec un surplus. Une majoration de 2 platées sur 10 empruntées est exigée à chaque restitution au groupement Nabonswendé. Outre cela, le débiteur apporte 3 platées représentant sa contribution annuelle. S’il n’est pas membre du groupement, une augmentation de 3 platées sur les 10 empruntées est exigée au remboursement. Au constat, chaque groupement définit librement ses règles de fonctionnement. De ce fait, les majorations varient aussi d’un groupement à un autre. Same Tall est le président du groupement Tindinoguè, un groupement constitué essentiellement d’éleveurs peulhs du Kourwéogo. Lorsque ce groupement prête la même quantité de vivres à un de ses membres, il exige beaucoup plus à la restitution qu’au groupement Nabonswendé. En effet, pour 10 platées prêtées, il réclame 13 à la restitution, soit une platée de plus qu’au groupement Nabonswendé. Pour la catégorie des non-membres, un surplus équivalent à la moitié de la quantité empruntée est exigé lors du remboursement. Par exemple, si un non-membre du groupement Tindinoguè emprunte 10 platées, il rembourse 15 platées à la fin. Comme il fallait s’y attendre, la restitution des vivres n’est pas une chose aisée. Le respect des engagements et des délais de remboursement pose souvent problème. Au groupement Nabonswendé de Zikémdé, ça se passe sans couac. Tel n’est pas cependant le cas au groupement Tindinoguè qui fait face à des insoumis. Le président Same Tall atteste qu’il y’en a qui refusent de s’acquitter correctement de leurs obligations sous prétexte qu’ils n’ont pas engrangé grand-chose à la fin des récoltes. « Je leur ai dit qu’une dette est une dette ; on ne rembourse pas parce qu’on en a assez », réplique-t-il. Il déplore l’attitude de certains, considérés à ses yeux comme des « bouffeurs » de crédits. « Il faut souvent élever le ton pour qu’ils restituent les vivres», s’indigne-t-il. Oumarou Kinda veut restituer les 40 platées qu’il a prises avec le groupement Nabonswendé. En ce mois de décembre, il a déjà apprêté ses 48 platées. Mais il doit patienter encore jusqu’en janvier. Car, relate Madi Sawadogo, il faut d’abord consommer ces nouvelles récoltes en famille avant de les utiliser à d’autres fins. Et c’est généralement à la fin du mois de décembre, relate-t-il, que les garants de la tradition donnent cette autorisation après avoir accomplis certains rites. C’est pourquoi, dit-il, les restitutions de vivres se font en janvier.

Same Tall, président du groupement Sindinoguè de Boussé, déplore l’attitude de certains membres qui ne veulent pas restituer les vivres qu’ils ont empruntés

Certains greniers se vident, d’autres non

D’un grenier à un autre, les réalités ne sont pas les mêmes. Au groupement Nabonswendé de Zikémdé, il se vide d’un trait durant la période de soudure. Même pas un grain de sorgho à picorer dans le grenier. Difficile donc, selon Robert Kinda, de satisfaire à la forte demande. Pendant ce temps, un stock constitué de 5 sacs de vivres cherche preneurs au groupement Tindinoguè. Ne sachant pas quoi faire avec, ce groupement s’est vu obliger de les liquider sur le marché, en attendant de reconstituer un nouveau stock après les récoltes. Le président de l’ATY, Madi Sawadogo, affirme en substance, que les vivres non-utilisés et par souci d’empêcher leur pourrissement, sont purement et simplement vendus, quitte à reconstituer un nouveau stock avec les revenus issus de cette transaction. « On vend nos vivres au moment où ils coûtent plus chers sur le marché et on s’approvisionne au moment où ils sont moins chers ; ce qui nous permet d’augmenter les quantités en stock», souligne Madi Sawadogo. Les greniers de solidarité sont bien appréciés des populations rurales du Kourwéogo. Mieux, ils sont présentés comme une panacée à la sécurité alimentaire au sein de chaque groupement. Au-delà du Kourwéogo, ce nouveau mécanisme est en train d’être expérimentée dans d’autres localités du Burkina. Au Centre-Ouest, c’est l’ONG RESPUBLICA qui fait leur promotion. En se basant sur l’expérience de l’ATY, cette ONG a mis en place des greniers dans plusieurs villages de la province du Boulkiemdé. Au Plateau central, les greniers de solidarité ne cessent de s’installer dans les provinces de l’Oubritenga et du Ganzourgou, grâce aux associations Namanagbzanga de Loumbila et Béo-nééré de Zorgho.

Le président de l’Association Namanagbzanga de Loumbila, Kassoum Ilboudo, compte installer ces greniers dans plusieurs localités de l’Oubritenga

Kassoum Ilboudo, président de l’association Namanagbzanga, est fier des résultats engrangés à l’issue de la phase d’essai dans deux villages de l’Oubritenga. « Le grenier de solidarité est une idée assez originale », avance-t-il. Présentement, dévoile-t-il, il y a de l’engouement autour de ce mécanisme. Ce qui fait dire à M. Ilboudo que les greniers de solidarité constituent, à l’évidence, une solution endogène à l’insécurité alimentaire. Selon Abdoudramane Sanou de la direction régionale en charge de l’agriculture du Plateau central, le grenier de solidarité contribue au renforcement de la sécurité alimentaire. « C’est un très bon mécanisme puisqu’il permet d’avoir un plan de réponses aux besoins des personnes vulnérables en cas d’insécurité alimentaire durant la période de soudure », souligne-t-il. Au regard de son impact positif sur la population, il plaide pour son implantation dans les autres localités de la région. « Je pense que les autorités peuvent expérimenter ces greniers afin de mesurer leur efficacité par rapport aux autres mécanismes », suggère, pour sa part, Madi Sawadogo. Le seul motif de satisfaction, à son avis, c’est d’avoir aidé des gens à bouter la faim hors de leurs familles. « C’est une satisfaction morale. Les groupements n’ont pas d’argent pour nous payer encore moins de vivres pour nous donner», admet-il. En somme, les greniers de solidarité participent, aux côtés des mécanismes existants, à la lutte contre l’insécurité alimentaire. Ils ont déjà fait leurs preuves dans le Kourwéogo, pourquoi pas ailleurs ?

Ouamtinga Michel ILBOUDO

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