Salifou Jean-Pierre Dondassé, promoteur des incinérateurs Gwaba et Wamb Zanga: » Généralement, le Burkinabè n’aime pas ce qui vient de chez lui « »

Innovateur-inventeur basé à Bobo-Dioulasso, Salifou Jean-Pierre Dondassé rêve de débarrasser le Burkina Faso de certains détritus indésirables. A cet effet, il s’est lancé depuis plus de dix ans dans la construction d’incinérateurs servant à la destruction et à l’élimination des déchets biomédicaux et d’autres déchets toxiques. Dans cet entretien accordé à Carrefour Africain, ce gestionnaire de déchets hors pair explique le bien-fondé de son invention.

Les incinérateurs Gwaba et Wamb Zanga ont été reconnus et salués par les autorités du pays.

 

Carrefour Africain (C.A.) : Qu’est-ce qui justifie votre décision de mettre au point des incinérateurs ?

Salifou Jean-Pierre Dondassé (S.J-P.D.) : L’expérience a démontré que souvent dans les centres de santé, il y a vraiment des problèmes de gestion des déchets. Il n’est pas rare de voir dans ces centres, des tas de déchets qui ne sont pas incinérés. Il y en a même qui font des fosses dans lesquelles ils brûlent les déchets. La plupart du temps, cela est dû soit à la présence d’incinérateurs qui ne sont pas de qualité, soit à un manque carrément de ces ouvrages. C’est pourquoi, nous nous sommes approchés de ces centres pour proposer nos produits qui sont une innovation.

C.A. : Combien de types d’incinérateurs avez-vous ?

S.J-P.D. : Nous avons deux types d’incinérateurs. Il y a d’abord l’incinérateur Gwaba, un terme dioula qui signifie gros foyer. Il est destiné aux petits centres tels que les Centres de santé et de promotion sociale (CSPS), les cliniques et certains Centres médicaux (CM). Son volume est de 0,25 mètre cube (m3). Cet incinérateur marche naturellement; il n’a pas besoin de bois de chauffe ou de charbon.

La deuxième catégorie d’incinérateur que nous avons est baptisée Wamb Zanga, en langue mooré qui veut dire « bouffe tout ». Cet incinérateur est destiné aux CM, aux Centres hospitaliers régionaux (CHR) et aux Centres hospitaliers universitaires (CHU). Comme c’est notre invention et elle est sous la protection de l’Organisation africaine de la protection intellectuelle (OAPI), il faut forcément lui donner un nom de baptême. La capacité de Wamb Zanga fait quatre ou cinq fois plus grande que Gwaba. Elle est de 3 m3. Contrairement au Gwaba,  le Wamb Zanga fonctionne à l’aide d’un appareil qu’on appelle le souffleur. C’est un petit appareil de 220 volts qui produit de l’air pour activer le feu au besoin. La grande particularité de l’incinérateur Wamb Zanga est qu’il est un ouvrage électrique à deux chambres. Il y a la chambre à combustion où on met les déchets et celle à fumée. C’est-à-dire que la fumée, au lieu de sortir dans la nature, va dans la seconde chambre pour être traitée.

C.A. : Pourquoi avoir donné les noms Gwaba et Wamb Zanga à vos incinérateurs ?

S.J-P.D. : Il fallait leur trouver des noms de baptême. On a préféré choisir des noms vernaculaires. On est parti sur la base des trois langues majoritaires du Burkina Faso, à savoir le mooré, le dioula et le fulfuldé. Pour le petit incinérateur, nous avons d’abord essayé avec le fulfuldé et ça ne sonnait pas bien. En mooré aussi, le mot Yiègré (foyer) n’était pas agréable à l’oreille. On a préféré aller en dioula avec Gwaba qui est facile à prononcer. Par contre, pour le gros incinérateur, on n’est pas allé par quatre chemins. On a directement choisi Wamb Zanga en mooré, parce qu’il bouffe tout. Par exemple, si on y met 100 kilogrammes (kg) de déchets, pour finir, c’est environ 10 kg de cendre qui ressort.

Cet ouvrage a eu la chance d’être commandé par des centres de santé, surtout avec l’avènement du Coronavirus. A Bobo-Dioulasso, nous avons construit un pour la direction régionale de la Santé des Hauts-Bassins. On en a construit aussi à l’hôpital Paul VI de Ouagadougou, à Dédougou, à Nouna, à Tougan, à Toma et à Banfora.

C.A. : Depuis quand avez-vous commencé à construire ces ouvrages ?

S.J-P.D. : Nous avons commencé ce travail depuis 2010. Vous savez que pour innover, ce n’est pas facile. Nous avons fait tout ça à nos frais. Si on avait les moyens, on allait faire des merveilles. Pour avoir ces ouvrages de qualité, on a dû construire et casser plusieurs fois. Et c’est en 2012 qu’on a pu réaliser le Wamb Zanga qui fut un exploit.

Gwaba a été le premier à avoir eu une distinction honorifique, notamment le prix du ministère de la santé. Lors du Forum de la recherche scientifique et de l’innovation technologique (FRSIT) 2016, on a eu le prix Thomas Sankara pour l’innovation en Afrique, décerné par une ONG internationale et le prix de la présidence du Faso.

Nous sommes sur un autre produit qui est en très bonne voie. Parce que jusqu’à présent, au Burkina, on a des incinérateurs qui détruisent les déchets solides. Par contre, il n’en existe pas d’abord qui détruisent les déchets liquides. Si je prends l’exemple du sang récolté par le Centre national de transfusion sanguine (CNTS), plus de la moitié est impropre et destinée à être détruite. Le plus souvent, on l’enfouit dans le sol et ce n’est pas bien. Nous sommes en pourparlers pour pouvoir mettre au point cet incinérateur des déchets liquides.

C.A. : Qui sont vos clients ?

S.J-P.D. : C’est d’abord le ministère de la santé. Puisque les centres de santé produisent beaucoup de déchets biomédicaux. Mais en réalité, le ministère lui-même n’a pas d’argent. Ce sont les partenaires au développement qui lui viennent en aide. D’ailleurs, les commandes ne sont pas régulières. Il y a aussi les ONG telles que Terre des hommes, GIZ… qui sont nos clients. Mais le souci est que nous intervenons parfois dans des zones d’insécurité et ce n’est pas facile pour nos équipes.

C.A. : Est-ce que vos produits sont à la portée de toutes les bourses ?

S.J-P.D. : Bien sûr. Sur le terrain, nos produits sont les moins chers. La matière première que nous utilisons est locale. On ne commande rien hors du pays. Le Gwaba par exemple est fait à base de béton, de terre argileuse et de fer à béton. Actuellement, son prix se situe entre 1 million 200 mille et 1 million 300 mille F CFA. Et cela est dû aux différentes taxes que nous payons, sinon on pouvait l’avoir à moins du million. Quant au Wamb Zanga, il tourne autour de 10 millions F CFA. Pour le réaliser, il faut rassembler du fer à béton d’environ trois millions F CFA et quatre tonnes de ciment. Le sable et le gravillon utilisés doivent aussi être de qualité. On utilise également des tôles de cinq millimètres (mm) pour l’extérieur et des contreplaqués de 20 mm pour l’intérieur. Pour ce petit ouvrage, on rassemble les matériaux comme si on voulait construire un bâtiment en R+.

 

Salifou Jean-Pierre Dondassé : «Nos ouvrages ont une durée de vie d’environ dix ans ».

C.A. : A ce jour, vous êtes à combien d’incinérateurs vendus ?

S.J-P.D. : Pour le Gwaba, nous sommes à une cinquantaine qu’on a déjà livrés. Et cela est dû au fait que nous avons participé à la transformation des CSPS en CM. Une partie du marché a été exécutée par d’autres personnes et parfois on revient vers nous pour reprendre certains incinérateurs défaillants. Parce que les gens préfèrent les incinérateurs de 400 ou 500 mille FCFA plutôt que ceux d’un million qui sont de qualité. Parfois, à l’essai même, certains ouvrages de bas prix lâchent. Pour réaliser un incinérateur, il faut tenir compte de la résistance du matériau. Car, le feu que ça crache est de 800 à 1000 degrés. Donc, si l’ouvrage n’est pas de qualité, à l’essai, ça va péter comme une grenade. Pour le Wamb Zanga, nous sommes à environ huit qui sont commandés et livrés. Toutefois, nous avons d’autres commandes en projet.

C.A. : A vous entendre, la réalisation d’un incinérateur n’est pas une mince affaire. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans votre travail ? 

S.J-P.D. : La première difficulté est liée au marché. L’Etat a reconnu nos ouvrages. Le ministère de la Santé a même pris une note de service demandant aux CHR, CHU et autres partenaires de collaborer avec nous. Malgré tout, les gens continuent de commander ailleurs. La conséquence est que ces ouvrages ne tiennent pas longtemps et beaucoup reviennent encore vers nous. Il y en a qui nous sollicitent pour des réparations mais on peut tout réparer, sauf un incinérateur. Une autre difficulté, c’est le paiement qui traine après livraison. Par contre, les partenaires tels que les ONG sont de bons payeurs. L’insécurité constitue aussi un handicap pour nous. Parfois, nos équipes ont été menacées dans certaines zones en proie à l’insécurité, notamment dans les provinces du Loroum et du Soum. Dans une des localités, notre équipe a reçu la visite de quatre hommes armés qui voulaient savoir ce qu’elle était venue chercher. Quand ils ont su qu’elle travaillait pour le compte des hôpitaux, ils se sont montré moins agressifs. Dans le cadre de la transformation des CSPS en CM, on a eu un marché de construction de cinq incinérateurs dans la zone de Ouahigouya. Nous avons pu exécuter quatre mais le cinquième était dans une zone à risque. Mais le partenaire nous a clairement signifiés que tant qu’on ne réalise pas le cinquième ouvrage, on ne sera pas payé. A nos risques et périls, on l’a fait. C’est quand il est allé pour la réception qu’il a compris qu’on avait raison. Aujourd’hui, personne ne peut mettre les pieds là-bas.

C.A. : Est-ce à dire que des gens tentent de plagier vos produits ?

S.J-P.D. : Effectivement, il y en a qui essaient de copier ce que nous faisons mais ils n’y arrivent pas. D’autres même usurpent nos noms pour désigner leurs produits. Actuellement, on a un problème avec quelqu’un et le dossier est en lieu sûr. Un client nous avait approchés pour un marché mais on ne s’est pas entendu sur le prix. Il a touché un autre prestataire qui a monté son dossier avec le nom Gwaba. Quand nous avons su, nous nous sommes plaints pour faux et usage de faux. L’intéressé n’était pas content mais il oublie qu’on aurait pu aller au-delà, puisque nous sommes protégés par l’OAPI. En tous les cas, le dossier suit son cours.

C.A. : Que faites-vous pour promouvoir vos produits ?

S.J-P.D. : On s’appuie beaucoup sur la presse. Qu’on le veuille ou non, c’est elle qui peut aider à faire une bonne promotion. Nous avons déjà eu l’accompagnement des télévisions, des radios et de la presse écrite. Nous participons aussi aux foires, notamment au FRSIT. Généralement, nous allons là où le public est censé nous connaitre. Si par exemple, on amène Gwaba à une foire agro-alimentaire, cela ne va rien dire aux gens. Il y a également, les Journées nationales du paysan qui sont une tribune pour nous faire connaitre. Mais la plupart du temps, les moyens font défaut, puisque nous nous déplaçons souvent à nos frais.

C.A. : Peut-on dire que vous êtes satisfait aujourd’hui de votre invention ?

S.J-P.D. : Satisfait, je le suis. Aujourd’hui, dans certains milieux à Ouagadougou, on ne m’appelle plus Dondassé mais plutôt Wamb Zanga ou Gwaba. C’est la preuve que les gens suivent et aiment ce que nous faisons. Je suis le vice-président des innovateurs du Burkina et je représente les innovateurs au niveau du comité de gestion de l’Institut de recherche en sciences appliquées et technologies (IRSAT). Si fait que s’il y a de grandes foires, on nous invite. Nous prospectons aussi le marché international. Actuellement, nous avons un projet qui est en très bonne voie avec des partenaires ivoiriens.

C.A. : Avez-vous des doléances particulières qui vous tiennent à cœur ?

S.J-P.D. : Les doléances, c’est surtout à l’endroit du ministère de la Santé. De façon générale, le Burkinabè n’aime pas ce qui vient de chez lui. Parfois, le ministre peut donner son accord pour commander nos produits mais à notre grande surprise, les exécutants vont aller prendre ailleurs. C’est à ne rien comprendre. Sinon, ce ministère nous a beaucoup soutenus. Comme il reconnait la qualité de nos produits, nous souhaitons qu’il continue de nous appuyer. Nos ouvrages ont une durée de vie d’environ dix ans. Je lance également un appel aux partenaires à nous faire toujours confiance.

Entretien réalisé par Mady KABRE