Pr Christian Napon, chef de service de Neurologie du CHU/Bogodogo : « L’épilepsie n’est pas une maladie contagieuse, contrairement à certaines croyances »

Pr Christian Napon recommande une prise en charge psychosociale des épileptiques.

Le 14 février 2022, le monde entier a célébré la Journée internationale de l’épilepsie. Instituée en 2015 par le bureau international pour l’épilepsie et la ligue internationale contre l’épilepsie, cette journée se déroule chaque deuxième lundi du mois de février. Selon les études, plus de 70 millions de personnes dans le monde vivent avec la maladie dont 85% dans les pays en développement. Au Burkina Faso, des études ont établi que sur 1000 personnes, une dizaine est sujette à l’épilepsie. Pour en savoir davantage sur cette maladie, Carrefour Africain a rencontré le 15 février dernier, le chef de service de Neurologie du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bogodogo, le Pr Christian Napon. 

 

Carrefour Africain : Qu’est-ce que c’est que l’épilepsie ?

Christian Napon: L’épilepsie est une maladie neurologique chronique. Elle se manifeste par une répétition de crises sous forme de convulsions pouvant toucher tous les muscles. La maladie peut être accompagnée d’une perte de connaissance, entrainant ainsi une chute du malade. Aussi, peut-il y avoir d’autres manifestations telles que les hallucinations visuelles et auditives qui font que le malade peut voir ou entendre des choses que les autres ne voient ni n’entendent. L’épilepsie peut aussi se manifester sous forme de folie. Et d’une crise à l’autre, on retrouve toujours les mêmes manifestations.

Est-ce qu’une personne atteinte de cette maladie peut développer des complications, si elle n’est pas bien suivie ?

Bien sûr que la maladie peut évoluer. Et les complications peuvent se remarquer à travers la fréquence des crises. En effet, il y a des patients qui font une crise par an, certains une par mois et d’autres une ou plusieurs par jour. Le malade qui fait plusieurs crises par jour n’est jamais à l’aise, car il est difficile pour lui d’être vigilant ou de vaquer sereinement à ses occupations.

Quel peut être le facteur déclenchant de la crise chez l’épileptique ?

Les principaux facteurs déclenchants sont le stress et l’anxiété. Le simple fait d’avoir peur de la survenue d’une probable crise stresse le malade et peut précipiter une crise. A cela, s’ajoutent les insomnies, la fatigue intellectuelle et la fièvre.

Quelles sont les causes de l’épilepsie ?

La cause majeure de l’épilepsie, c’est celle génétique ou héréditaire. Dans cet ordre, on peut prendre la maladie aussi bien dans la famille nucléaire que dans la famille éloignée s’il y a un malade, car l’hérédité n’est pas forcément directe. En plus du facteur génétique, il y a les traumatismes. Ces traumatismes peuvent être soit causés par un accident de la circulation, soit liés à la naissance pour les enfants dont le travail d’accouchement a duré ou encore l’utilisation du matériel obstétricale tel que les ventouses, c’est-à-dire les manœuvres pour faire sortir le bébé. Ces manœuvres peuvent entrainer des légions cervicales qui, à leur tour, peuvent être responsables de crises d’épilepsie. La méningite, les encéphalites, les abcès, les Accidents vasculaires cérébraux (AVC) et les tumeurs cancéreuses peuvent donner suite à une maladie épileptique.

Pr Christian Napon recommande une prise en charge psychosociale des épileptiques.

Qu’en est-il des conséquences ?

Les conséquences sont plus des retombées sur le plan social. Car, sous nos cieux, si vous êtes sujet à des crises d’épilepsie, vous êtes mis au ban de la société. De plus, les malades d’épilepsie sont marginalisés, stigmatisés et déscolarisés pour les enfants. Certains de mes patients élèves m’ont confié que leurs instituteurs leur ont claironné de retourner à la maison se soigner et lorsqu’ils ne feront plus de crises, ils peuvent revenir en classe. Pourtant, on sait pertinemment que c’est une maladie chronique. Ce qui constitue une déscolarisation d’office, car les crises ne s’arrêteront pas. En outre, les multiples crises entrainent une fatigue du cerveau qui est à l’origine du manque de vigilance et de la diminution de l’intelligence.

Existe-t-il un âge spécifique pour faire la maladie ?

Il n’y a pas d’âge pour faire l’épilepsie. Mais le plus souvent, les âges extrêmes sont plus exposés, c’est-à-dire chez l’enfant et chez le sujet âgé. Toute l’enfance jusqu’à dix ans, nous avons beaucoup de cas ainsi que les sujets de 65 ans.

Peut-on guérir de l’épilepsie ? 

Il est difficile de guérir de la maladie pour certaines formes. Mais avec le traitement à travers des médicaments, on peut estomper les crises. Selon les estimations, 70% des malades qui prennent bien les médicaments ne font plus de crises.  Et les autres 30% peuvent être des cas qui résistent aux traitements. Il arrive souvent que certains enfants en guérissent avec l’évolution de l’âge. Mais, cela dépend aussi des formes de l’épilepsie.

Quelles sont les différentes formes de la maladie ?

Il existe près d’une dizaine de formes de l’épilepsie.  Il y a l’épilepsie grand mal que nous connaissons tous. En plus, il y a celle avec les formes d’absence ou suspension de la conscience et la maladie présentant les formes atoniques ou une chute brutale sur soi-même. Il en existe également la forme où ce sont des secousses qui intéressent quelques membres et sans perte de connaissance. Parmi les différentes formes citées, celles qui causent les pertes de connaissance sont les cas les plus dangereux. Imaginons qu’un patient en état de conduite perd connaissance dans cette circulation dense de Ouagadougou. Nous avons eu des cas où des gens sont morts à la suite d’une crise en circulation où des véhicules sont venus les percuter. Dans les crises généralisées avec perte de connaissance, le patient ne se rappelle rien. Souvent, il peut même se blesser en se mordant la langue. Concernant les crises, une personne peut en avoir plusieurs types : convulsions, moments d’absence ou de suspension de la conscience…

Le chef de service de Neurologie du CHU/Bogodogo, Pr Christian Napon, déplore la stigmatisation des épileptiques.

Quelles sont les statistiques nationales sur la maladie ?

CN : Selon une étude en population, réalisée au Burkina Faso, la prévalence de la maladie est de 10,6 pour 1000, c’est-à-dire que sur 1000 Burkinabè, il y a une dizaine qui est sujette à l’épilepsie. Donc logiquement, pour les 20 millions d’habitants, on est à environ 2 millions de cas. De ce fait, c’est une maladie qui est très fréquente. De plus, il y a de nombreux cas qui ne sont pas connus des hôpitaux.

Est-ce qu’il y a une prédominance en fonction des deux sexes ?

Non, il n’y a pas de prédominance selon le sexe.

L’épilepsie est-elle une maladie contagieuse ?

Les gens ont effectivement des croyances sur la question. Mais je tiens à rassurer l’opinion, une fois de plus, que l’épilepsie n’est pas une maladie contagieuse. Elle est plutôt un problème de dysfonctionnement des cellules du cerveau. Donc en aucun cas, elle n’est une maladie contagieuse.

Quels sont les métiers qui sont déconseillés aux épileptiques ?

Une personne qui souffre de la maladie ne peut pas être un pilote, un parachutiste et encore moins un maitre-nageur. Mais pour les autres métiers, ils peuvent le faire tout en n’oubliant pas de prendre leurs médicaments pour éviter de faire trop de crises. Quant à conduire un véhicule, le médecin peut prendre des décisions mais en tenant compte de l’arrêt des crises. Si le traitement est bien suivi et qu’il peut faire un an sans faire de crise, le médecin peut l’autoriser à conduire.

Quel appel avez-vous à l’endroit des malades, de leur entourage et du personnel soignant ?

Pour les malades, je les exhorte à suivre scrupuleusement leur traitement et à respecter les rendez-vous des médecins. C’est seulement à ce prix qu’ils pourront éviter les crises et vaquer à leurs occupations. Quant aux accompagnants et l’entourage des malades, je les invite à être des ambassadeurs en expliquant aux autres que l’épilepsie n’est pas une maladie comme ils le croient. Ces derniers doivent aussi faire l’effort de soutenir les malades surtout sur le plan psychologique, car ils en ont besoin.

Pour les médecins, c’est de les prendre en charge et d’avoir une bonne écoute de ces malades et ne pas seulement les voir de façon expéditive, prescrire un traitement et s’en débarrasser. Il faudra être à leurs soins en les écoutant et en leur permettant de poser certaines questions. Le patient va se confier lorsqu’il aura avec lui, un médecin qui sait l’écouter et non seulement prescrire et lui dire de rentrer chez lui. Il y a cette prise en charge psychosociale qui doit accompagner la prise des médicaments. Car il y a des patients qui sont plus malades par le rejet de la société et de l’entourage que par la maladie elle-même. Ils sont psychologiquement très vulnérables, car ils sont stigmatisés et marginalisés. Tout le monde a peur d’eux. Je connais une dame qui travaille dans un ministère et qui souffre de la maladie. Du fait de son statut d’épileptique, elle a été isolée dans un bureau loin des autres. Elle n’a le droit d’assister ni aux réunions ni aux activités, encore moins prendre part aux ateliers dudit ministère. Et personne ne veut s’approcher d’elle au point qu’elle a fini par demander à être affectée ailleurs parce qu’elle ne pouvait plus tenir. Cet exemple, c’est pour montrer jusqu’à quel point les malades sont stigmatisés et marginalisés dans la société.

Entretien réalisé par Rabiatou SIMPORE