Agriculture durable au Centre-Ouest : L’agro écologie, un choix de raison

La ferme luxuriante de l’APAD attire de nombreux visiteurs

Dans la région du Centre-Ouest du Burkina Faso, l’agro écologie veut s’imposer comme un modèle de production, eu égard à ses multiples avantages. L’installation des champs agro écologiques dans les villages atteste de la volonté des producteurs de reconquérir leur autonomie.

Les grosses pluies qui se sont abattues sur la ville de Réo et ses environs ces derniers jours ont noyé plusieurs champs. Ce mercredi 14 septembre 2022, sous un ciel bien dégagé, le soleil semble avoir repris sa revanche. La chaleur est accablante. A quelques encablures de la ville, se dévoile dans le village de Koroley, une magnifique ferme agroécologique. Sur un terrain d’un hectare, délimité par une haie vive de jatropha, s’imbriquent diverses espèces végétales. Çà et là, des agrumes (goyaviers, papayers, tamariniers, anacarde, citronniers…), des paratonnerres, de l’arténésia. Et surtout des arbres fertilitaires constitués entre autres d’albizia Saman ou arbre à pluie, de leucena leucocephala, de l’acacia albida et de gliricidia sepium. La ferme est également envahie par l’andropogon, une plante fourragère très prisée des animaux. Le champ est bien compartimenté en plusieurs zones. Par-ci, c’est un site de compostage, des pépinières, une parcelle de démonstration des techniques du zaï et des demi-lunes. Par-là, une ruche, de l’agroforesterie (combinaison d’arbres avec des cultures).

Juste à l’entrée, un poulailler et un enclos. La ferme est dressée devant un vaste espace vide et sablonneux, visiblement à l’abandon. Une fois à l’intérieur, difficile de se frayer un chemin parmi cette végétation dense. La température change brusquement. L’air frais qui se manifeste à l’ombre donne une folle envie de rester. Ce champ agroécologique abrite également des infrastructures socio-économiques. On y découvre deux maisonnettes pour l’accueil des stagiaires et des visiteurs, une unité de transformation, une boutique de vente et un hangar pour les formations. « Ici, on a presque du tout », lâche tout sourire, Tokoro Sam Bacyé, formateur en agroécologie, en économie sociale et solidaire. Il est par ailleurs président de l’Association pour la promotion d’une agriculture durable (APAD) dans le Sanguié. Peintre de profession, sa passion pour la nature le pousse à se former aux techniques agroécologiques. Avec le soutien des membres de son association, il crée une ferme et réussit, en moins de 10 ans, à reconstituer une forêt.

La culture entre les haies dans un champ agroécologique à Cassou

Il souligne en revanche que certaines espèces ont poussé naturellement, grâce à la Régénération naturelle assistée (RNA). La mémoire fraîche, M. Bacyé se souvient que le terrain légué à l’association était pauvre et sablonneux, fortement dégradé par l’érosion et les intrants chimiques. L’objectif était selon lui, de démontrer à partir de cet exemple, la pertinence de l’agroécologie, une approche qui inverse le processus de dégradation des sols. « L’essentiel pour nous, c’est de faire en sorte que la population arrive à avoir des produits sains qui garantissent sa santé tout en préservant l’environnement dans la production agricole », relève Tokoro Bacyé.

Aucun recours aux intrants chimiques

L’agriculture biologique est également une approche défendue par l’Association pour la promotion de l’agroforesterie et la foresterie au Burkina Faso (APAF-BF) qui capitalise 15 années d’expérience en la matière. Certains de ses membres sont devenus des consultants. Ahmed Stéphane Ouédraogo, conseillé technique en agroécologie au sein de l’APAF-BF, confie : « Nous plantons des arbres fertilisants qui permettent de récupérer les terres dégradées. Leurs racines captent l’azote atmosphérique pour la fixer au sol, avec l’aide des bactéries ». Se départir d’une agriculture bâtie sur la chimie, tel est le combat que mènent ces deux organisations. Ici, pas de produits chimiques. Les intrants biologiques plus respectueux de l’environnement sont produits sur place. Sur le site de compostage de l’APAD, des matières organiques sont en pleine décomposition dans un récipient en plastique. Elles sont constituées d’un mélange de la bouse de vache avec des pâtes issues des feuilles écrasées de neems, de chamacrita négrican (tabac) et de papayers.

Au terme du processus, on obtient un pesticide biologique qui est un produit naturel et très efficace contre les ravageurs. Tout près de là, un tas de fumier associé aux feuilles d’arbres et recouvert d’une bâche noire dégage une odeur nauséabonde. Au bout de quelques jours, on y recueillera du compost. Le processus est assez long et varie entre 45 et 60 jours. La réussite en agro écologie dépend de la capacité du producteur à constituer son propre cheptel. Dans la ferme de l’APAD, des poulets picorent des grains de mil. On y rencontre des chèvres et des moutons aussi. Pas de traces d’aliments conventionnels et produits vétérinaires sur les lieux.

Pour Tokoro Sam Bacyé, l’agroécologie est rentable, économique et viable

Jusque-là, le traitement par les plantes est privilégié et il a toujours fait ses preuves, tant au niveau de la volaille (poulets locaux essentiellement) que des petits ruminants. Au nombre de ces plantes, M. Bacyé cite l’acacia siberiana, le coclostermo ou le sécrudiaca. « Depuis que nous pratiquons l’élevage, c’est zéro intrant de synthèse, zéro comprimé, zéro vaccin. Pourtant, on n’a pas de souci avec nos animaux », s’enthousiasme Tokoro Bacyé. A l’entendre, l’élevage des espèces locales est rentable, mais à une condition. « Il faut bien s’occuper d’eux, c’est-à-dire les nourrir et les soigner convenablement et veiller à l’hygiène. Il suffit de les mettre dans les mêmes conditions que l’élevage conventionnel et on obtient les mêmes résultats », avance-t-il.

27 ha de terres récupérées à Cassou

La ferme de Koroley n’est pas un cas isolé dans le Centre-Ouest. A Cassou dans le Ziro, un champ agro écologique s’étendant sur 27 ha arbore une végétation luxuriante. Le gazouillement des oiseaux perce le calme olympien qui règne en ces lieux. Djibril Diasso, responsable d’une entreprise arboricole, en est le propriétaire. Il y produit le maïs, le niébé et le manioc. A côté, il pratique l’élevage et dispose de 7 vaches et de 2 deux taureaux. Leurs déjections contribuent à enrichir son sol. Aujourd’hui, les techniques combinées d’agroécologie et de Régénération naturelle assistée (RNA) ont redonné vie à sa terre. M. Diasso en est fier. Mis en place en 2011 avec l’appui de l’APAF, ce champ met en évidence les nombreux avantages qu’offre l’agro écologie. La terre étant devenue fertile, tout ce qu’on y dépose réussit. Pour pallier le manque d’eau en saison sèche, le promoteur a tenté de réaliser deux forages.

Malheureusement, les résultats se sont révélés négatifs. Une troisième tentative a permis de construire un forage mais la faiblesse du débit le contraint à chercher des alternatives pour mieux assurer l’entretien de la ferme. « Nous l’avons accompagné à mettre en place un système d’arrosage constitué de mini-goutteurs fabriqués avec des bidons d’eau laafi. En installant un bidon au pied de chaque arbre, on arrive à arroser pendant deux semaines », indique Claver Wendinmanégdo Yaméogo, coordonnateur de l’APAF. En ce qui concerne le traitement phytosanitaire des plantes et des cultures, l’association a mis à sa disposition un répulsif naturel à base de piment, d’huile de neem, de bouse de vache et de l’ail. Durant les trois dernières années, M. Diasso a décidé de produire rien que du bio. Un choix qui le met peu à peu à l’abri de la dépendance vis-à-vis des intrants importés. « Nous avons remarqué que nos sols s’appauvrissent de jour en jour à cause de l’érosion, l’utilisation des produits chimiques, les effets négatifs du changement climatique. C’est pourquoi j’ai opté pour l’agro écologie, espérant pouvoir récupérer mes terres devenues impropre à la production et en plus reconquérir mon autonomie dans la production agricole tout en préservant l’environnement », résume Djibril Diasso.

Fabrication d’un pesticide à la ferme de l’APAD

Réconforté par les résultats positifs engrangés, il crée une association forte de nos jours de 47 membres. Composée majoritairement de femmes, elle vise à promouvoir les techniques agro écologiques au sein de la communauté. Djibril Diasso s’active actuellement, à travers les mêmes techniques, à restaurer le couvert végétal d’un autre champ de 30 ha. « J’ai commencé à planter des arbres fertilisants tout en cultivant parmi ces arbres », martèle-t-il. A Sakoinsé sur l’axe Ouaga-Bobo, à quelques encablures du bitume, la verdure nargue le sol latéritique. Diverses espèces végétales jonchent une partie de ce terrain de 10 ha. Les travaux dirigés par le génie militaire sont présentement à l’arrêt à cause d’une panne mécanique. Au centre de la ferme, de bonnes choses se donnent à voir. Entre autres, se mêlent les tangelos, les citronniers, les papayers, l’oignon, la tomate, la pastèque, le sorgho, le maïs. Et ce n’est pas fini. Comme la plupart des fermes agro écologiques, l’élevage occupe une place de choix.

Des porcs épics, des canards, des bœufs et des moutons sont déjà visibles sur le site dédié à cette activité. Pour assurer l’entretien de la ferme, trois forages équipés de plaques solaires et des châteaux d’eau ont été réalisés. 3 bassins de rétention d’eau sont également en cours de construction. L’association prévoit une dizaine d’ouvrages de ce type d’ici la fin des travaux pour d’une part stocker suffisamment d’eau pour l’arrosage et de l’autre pratiquer la pisciculture. Ce terrain jadis mis sur le banc de touche par les villageois fait aujourd’hui l’objet de convoitise. Un peu plus en profondeur, le niébé fleurit sous les pieds des plants de sorgho. Des diguettes anti-érosion sont élevées au bas d’un grillage de protection. En attendant la construction d’un mur plus solide, ce dispositif permet de bloquer les eaux de ruissellement provenant des champs voisins où les produits chimiques continuent de les inonder. De toutes les fermes visitées, le constat qui se dégage est que l’agro foresterie accompagne la mise en route des champs agro écologiques. A entendre Claver Yaméogo, les techniques de création de ces fermes sont au nombre de 3.

La première consiste à cultiver sous l’ombrage léger des arbres fertilisants espacés de 10 à 15 mètres au début puis avec le temps, 20 à 40 mètres. C’est une pratique ancestrale réactualisée, note M. Yaméogo. La deuxième consiste à cultiver entre les pieds d’arbres fertilisants distants de 10 mètres l’un de l’autre et émondés régulièrement. La troisième et dernière technique, fait-il savoir, comprend la culture en couloir entre des haies d’arbres fertilisants plantés tous les mètres dans des haies espacées de 8 mètres. Toutefois, précise-t-il, il faut émonder régulièrement ces arbres.

Vers la reconquête de leur autonomie

La ferme agro écologique de l’APAD est un cas d’école. Au sein de la communauté, plusieurs s’en sont inspiré, après leurs formations, pour réinventer l’agriculture de demain. D’après M. Bacyé, beaucoup sont maintenant convaincus de la nécessité d’abandonner l’agriculture conventionnelle au profit de l’agriculture durable. Ce qui n’était pas le cas au début de la création de la ferme en 2013. « C’était l’un des villages les plus réticents à l’agro écologie. On a demandé aux habitants de nous octroyer un espace où nous pourrons démontrer que l’agro écologie est viable, rentable et économique », indique-t-il. Pas moins de 500 villageois se sont formés aux techniques d’agro écologie. Boubié Badolo, producteur à Koroley, est l’un deux.

Autour de sa concession, les plants de sorgho s’élèvent dans le ciel. A quelques mètres de sa cour, se dresse un jardin dans lequel il produit la menthe et le persil. M. Badolo affirme ne plus avoir affaire aux intrants chimiques. Comme quoi, le compost qu’il fabrique lui-même le suffit. « C’est rentable et ça nous permet d’économiser de l’argent », se réjouit-il. De ce fait, il se dit persuadé que l’agro écologie est une nécessité absolue. « Imaginez si je devais acheter des intrants cette année. Où allais-je trouver l’argent pour m’en procurer ? », s’interroge-t-il, l’air désabusé. Osouna Bationo a lui aussi pris ses distances vis-à-vis des intrants de synthèse. Il ne jure que par les intrants naturels. « On utilise le compost. On n’a même pas à manger à fortiori acheter des engrais », peste-t-il.  A côté de son champ de sorgho, il entretient un jardin potager où il cultive la tomate. A son avis, sa tomate ne pourrit pas vite comme celle issue de l’agriculture conventionnelle.

Osourou Badolo a décidé de produire la tomate bio

A Goundi, autre village de la commune de Réo, des producteurs séduits par le champ agro écologique de l’APAD, se sont engagés à créer une ferme similaire. Regroupés au sein de l’association Gnidwignè, ils ont démarré les activités sur un terrain de 0,25 ha situé à proximité d’un bas-fond. Les agro écologistes lisent l’avenir avec beaucoup d’optimisme. Pour Akim Nébié, directeur provincial en charge de l’environnement du Boulkiemdé, assurant l’intérim de la direction régionale du centre-Ouest, les problèmes fonciers qui se posent de nos jours empêchent certains producteurs de mettre leurs champs en jachère. Fort de ce constat, ils s’accrochent à l’agro écologie, en plantant des espèces ligneuses qui enrichissent le sol. « L’acacia albida perd ses feuilles en saison pluvieuse et les renouvelle en saison sèche. C’est l’espèce par excellence qui est utilisé en agroforesterie parce qu’elle est bien adaptée aux conditions climatiques et n’entravent pas les espèces céréalières de se développer », révèle-t-il. Alors que les producteurs burkinabè plaident pour la mise à leur disposition des intrants importés de bonne qualité et à des coûts abordables, les agro écologistes ne comptent que sur eux-mêmes.

Aux personnes qui estiment que l’agroécologie ne peut pas nourrir le Burkina Faso, M. Bacyé réplique en ces termes : « Qu’elles nous montrent avec des preuves scientifiques à l’appui, que l’agriculture conventionnelle a pu nourrir le Burkina Faso ». De son for intérieur, si quelque chose ne marche pas, il faut le changer. D’où son appel pressant aux autorités d’opter pour l’agro écologie au lieu de vouloir ruser, juste pour attirer les financements. « On ne peut pas avoir un pied dedans, un pied dehors et espérer avoir de bons résultats », tranche Tokoro Bacyé.

Ahmed Stéphane Ouédraogo estime que l’agroécologie permet de restaurer les sols dégradés

Akim Nébié va plus loin en disant que l’agroécologie est une condition pour la survie des Burkinabè. Et les premiers à le comprendre, fait-il remarquer, ce sont les populations du Nord. « La production intensive n’est pas forcément contraire aux techniques agro écologiques. Parce que l’intensification, sous-entend, apporter la matière organique au sol pour optimiser le rendement à l’hectare et non augmenter les superficies des champs », soutient-il.

En somme, admet Akim Nébié, l’agro écologie est une alternative crédible. Des conseils à l’endroit des producteurs, il n’en manque pas. « En agroforesterie, lorsque vous récoltez, vous laissez les tiges. Vous pouvez avoir un contrat avec votre voisin qui a des animaux qui viendront les brouter sur place.

Au même moment, ils défèquent sur le site, les microorganismes rentrent dans le sol et la décomposition de cette déjection est plus facile que la décomposition de la tige », éclaire-t-il. De la reconquête de leur autonomie, d’une agriculture saine et sans danger pour les humains et l’environnement, les agro écologistes se disent déterminés à relever ces défis.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

omichel20@gmail.com