Art plastique : Adjaratou Ouédraogo, une icône de la peinture burkinabè

Adjaratou Ouédraogo est l’une des rares femmes peintres du Burkina Faso.

La peinture paraît comme un art réservé aux hommes au Burkina Faso. Rares sont les femmes qui s’y aventurent. Mais Adjaratou Ouédraogo en fait l’exception. Artiste peintre et sculptrice burkinabè, elle a su se faire une place dans le domaine. Ses toiles s’arrachent à des millions de F CFA à l’extérieur où elle fait la fierté de son pays. Zoom sur cette jeune battante dans la jungle masculine.

 Du 11 au 16 octobre prochain, aura lieu la 2e édition de « Ma ville en peinture ». Des carrefours de Ouagadougou tels que le Rond-point de la Patte d’Oie, ceux des artistes et de la jeunesse…, seront transformés en ateliers de peinture. Passants, artistes, enfants, jeunes comme adultes, tous ceux qui le désirent peuvent gratuitement glisser le pinceau sur la toile. L’initiatrice de cette activité est Adjaratou Ouédraogo, artiste peintre, sculptrice burkinabè de renommée internationale. « C’est pour susciter des talents de peinture chez des jeunes », justifie-t-elle. C’est également une façon de se faire découvrir par ses compatriotes. « Je suis connue à l’international. Par contre chez moi au Burkina Faso, je ne le suis pas. On ne connait pas ce que je fais. Je pense que c’est à moi d’aller vers les gens, de montrer mon travail », souligne l’artiste. L’idée est aussi de rendre populaire ce qu’elle fait, faire comprendre aux gens que la peinture n’est pas une histoire de Blanc.

Celle qui force l’admiration de ses collègues aujourd’hui s’est très tôt intéressée au dessin. « J’ai commencé depuis le jeune âge. Je suis de nature timide et je passais tout mon temps à dessiner.  Je m’exprimais plus dans les dessins, non pas que je voulais être peintre, mais pour griffonner quelque chose », révèle-t-elle. Tout en poursuivant ses études en comptabilité, elle se donnait du temps pour s’exprimer à travers des figurines. Après le BAC G2 et le BEP en poche, le choix de se consacrer à cette activité finit par s’imposer. « Au début de l’année 2000, je faisais de petits dessins, surtout en décembre, que j’arrivais à vendre. Je me promenais dans la ville de Ouagadougou pour dessiner sur les vitrines des boutiques et sur des murs pour exprimer mes émotions », confie-t-elle.

Adjaratou Ouédraogo : « La particularité de mes personnages est due à leurs formes bizarres ».

En 2007, les premiers encouragements viennent de Lucien Humbert, un français tenancier d’une maison d’exposition à Ouagadougou. Autodidacte et à force de travail, elle est aujourd’hui une icône de cet art. « Pour moi, la peinture, c’est ma vie. Je ne peux pas imaginer autre chose que de peindre. Je me sens soulagée quand je prends un pinceau pour dénoncer, peindre ce qui est dans mon cœur », indique la peintre. De ce fait, elle donne tort à ceux qui croient que la peinture est un domaine de prédilection des hommes seulement. Toutefois, elle reconnait que c’est compliqué pour une femme, surtout mariée, compte tenu des contraintes familiales. Les absences dues aux déplacements répétés ne sont souvent pas tolérées par certains conjoints. Selon elle, ce n’est pas que l’activité est physiquement éprouvante que les femmes n’osent pas s’y lancer.  Mais c’est par rapport à la disponibilité.

Un métier florissant

« J’y gagne ma vie. Seulement il faut s’armer de courage et de patience. On peut peindre pendant des années sans pouvoir vendre un seul tableau. Mais quand ça prend, c’est parti. A force de travailler, le succès finira par arriver », affirme-t-elle. Aujourd’hui les œuvres de Ajaratou se vendent à des millions de F CFA à l’international. C’est le cas d’une de ses œuvres, arrachée une fois à 27 millions F CFA.

De sa première exposition en 2009, la femme battante fait le tour du monde pour exposer ses chefs-d’œuvre. Sur la liste de ses expositions personnelles, on peut citer en 2022, Résidence de création à l’espace d’Art de l’école des filles en Bretagne, Résidence de création à la Fondation Blachère à Apt en France, Exposition 1-54 contemporain Africain Art Fair à Paris. Le public a pu admirer ses œuvres à l’Institut français, l’Institut Goethe ou Villa Yiri Suma à Ouagadougou, au Burkina Faso.

Le prix de l’excellence de l’entrepreneuriat et du mérite burkinabè 2022.

Elle utilise plusieurs médiums qui incluent la peinture, le dessin et la sculpture. Ses œuvres ont pour principaux thèmes la non scolarisation des filles, l’excision, la mère et l’enfant, les enfants de la rue, etc. Ses sources d’inspiration sont, entre autres, son vécu, son quotidien, l’actualité. Les œuvres de Adjaratou Ouédraogo sont facilement reconnaissables. Elle explique : « Mes personnages sont particuliers. Ils sont de teints noir et marron avec des têtes et des mains bizarres. Cependant ils sont habillés avec des couleurs gaies. Malgré la tristesse du personnage, l’habillement est gai. Il y a contraste entre l’espoir et le désespoir, la tristesse et la gaieté ». A l’entendre, c’est pour dire qu’il y a toujours de l’espoir dans toute situation. Et c’est ce qui rend attrayantes ses toiles. Elle dit être attachée à toutes ses œuvres et est incapable de faire un choix de préférence.  « Toutes mes œuvres me tiennent à cœur. Il y en a par exemple que je refuse de vendre. Certaines sont tellement expressives que je préfère les garder avec moi pour le moment ».

Des distinctions qu’elle a reçues, on peut citer le prix spécial de la créativité et de l’innovation de l’artiste peintre en 2021 et le prix de l’excellence de l’entrepreneuriat et du mérite burkinabè en 2022.

Comme dans toute autre activité, des difficultés existent. Adjaratou Ouédraogo pense qu’une femme artiste peintre, doit redoubler d’efforts à cause des préjugés. Celle-ci a pourtant des choses à dire et possède un énorme potentiel à exploiter. Bien qu’elle rayonne sur le plan international, elle éprouve des difficultés à se faire accompagner dans son pays. Elle en donne pour preuve le manque d’appui financier dans ses activités, notamment « Ma ville en peinture ». J’ai mené l’activité avec mes propres moyens. C’est pareil pour cette année. J’ai déposé plus de 80 dossiers et à quelques jours (8 septembre) de la date je n’ai reçu que 5 retours.

L’engouement des plus jeunes pour la peinture.

L’année dernière, Adjaratou a fait une exposition, « La résilience » au profit des femmes de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) et des Personnes déplacées internes (PDI). J’ai cassé les prix des tableaux pour que les nationaux puissent les acheter. Mais ce sont les étrangers qui les ont pris.

Notre artiste encourage les jeunes et surtout les filles à s’intéresser à la peinture. C’est pourquoi, à l’édition de cette année, il y aura une innovation, un espace dédié aux enfants. A l’entendre, une invitée spéciale, une ambassadrice jeune talent viendra de Dakar (Sénégal).

Est inscrite également à l’agenda, une caravane qui ira vers les PDI, les blessés de guerre, les orphelins des Forces de défense et de sécurité (FDS) afin qu’ils expriment leur vécu à travers l’art.

« Ma ville en peinture », donne l’occasion aux amateurs de manipuler à souhait le pinceau.

Après Ouagadougou, « Ma ville en peinture » se dépotera en mars prochain à Lomé, au Togo. Suivront Abidjan en Côte d’Ivoire, la France et les Etats-Unis d’Amérique. L’artiste peintre est aussi réalisatrice de film d’animation. Son premier essai est intitulé « Le Crayon », un court métrage réalisé en 2016 et sélectionné au Cinéma numérique ambulant du FESPACO 2017. L’œuvre a reçu le titre de meilleur film d’animation aux Africa Movie Academy Awards à Lagos, au Nigeria.

 

Habibata WARA