Gestion du matériel agricole : Des coopératives du Yatenga en quête de repères

Les producteurs du Yatenga plaident pour l’augmentation du nombre de tracteurs à leur profit.

Les Coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA) du Yatenga manquent encore d’expérience dans leur fonctionnement. Mises en place il y a à peine deux ans dans le cadre de la mécanisation agricole, beaucoup tentent, tant bien que mal, de trouver la bonne formule pour gérer les tracteurs qu’elles ont acquis grâce à la subvention de l’Etat.  

L’hivernage bat son plein dans la province du Yatenga, région du Nord. En cette matinée du jeudi 14 juillet 2022, des producteurs, en majorité des femmes, sont en plein sarclage dans un champ collectif de niébé, à Somyaga, à la périphérie-sud de Ouahigouya. En rang serré, ils s’évertuent à l’aide de dabas à détruire les espèces adventices qui croissent dans cette exploitation d’un demi-hectare de légumineuses. Quant au labour, il avait été assuré par un tracteur. Cette ferme agricole est la propriété de la coopérative Wend Panga dont ils sont membres. Créée en 2020, elle est forte d’environ 300 membres, issus des 37 villages de la commune de Ouahigouya. Selon son président, Souleymane Savadogo, la mise en place de la structure fait suite à l’initiative du ministère en charge de l’agriculture d’organiser les producteurs en Coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA), dans le cadre de la mécanisation. C’est ainsi que la même année, dit-il, l’Etat a mis à leur disposition un tracteur de 40 chevaux à prix subventionné, en vue d’accroître leurs rendements agricoles. « Notre contribution s’élève à un peu plus de 200 mille francs CFA. Sinon, le tracteur coûte huit millions francs CFA », se réjouit M. Savadogo.

L’acquisition de la machine a été un ouf de soulagement pour les membres de sa coopérative. Pour une utilisation rationnelle, ils ont créé à l’interne un comité de gestion. Auprès de celui-ci, les membres désirant labourer leurs champs s’inscrivent et le service rendu se fait par ordre d’arrivée. A entendre Souleymane Savadogo, il était question au départ de labourer l’hectare (ha) à 40 mille F CFA pour les hommes et 25 mille F CFA pour les femmes. « Seulement, chez nous, il n’est pas donné à tout le monde d’avoir un champ d’un ha. C’est pourquoi, nous avons suggéré de labourer par heure à 20 000 F CFA pour tous les membres », explique-t-il. Mais, avec l’augmentation du prix du carburant, précise-t-il, l’heure est passée à 25 mille F CFA pour compter de la présente campagne agricole.

Les membres de la coopérative Wend Panga en plein sarclage de leur champ de Niébé à Somyaga.

Malgré tout, le président de la coopérative Wend Panga indique que l’engouement des membres ne faiblit pas, à tel point que le comité n’arrive pas à satisfaire toutes les demandes. La difficulté, selon lui, est que les demandes de labour se font à la même période. Alors que la coopérative ne dispose que d’un seul tracteur. En outre, celui-ci est utilisé pour des prestations dans les champs d’autres producteurs, dans le but de renflouer les caisses de la CUMA.

Des CUMA embryonnaires

Une pression qui n’est pas souvent sans désagréments. C’est pourquoi M. Savadogo demande la clémence et la compréhension de ses coéquipiers. Néanmoins, il estime que le tracteur a contribué à renforcer les liens entre les membres et à augmenter leurs capacités de production. « Pour cela, beaucoup de gens veulent intégrer notre coopérative », se satisfait-il.

Hamidou Guiro est le Secrétaire général (SG) de la coopérative Neb La Naam, une autre CUMA basée dans la commune de Oula. Tout comme celle de Ouahigouya, elle n’a que deux ans d’existence avec plus de 80 adhérents. Bénéficiaire également d’un tracteur de 40 chevaux à prix subventionné, on y rencontre à peu près le même type de fonctionnement et les mêmes soucis. A écouter M. Guiro, nonobstant le nombre peu élevé des membres de sa coopérative, la forte demande de labour donne du fil à retordre au comité de gestion du tracteur. Par contre, le prix du labour a connu une légère hausse, soit 22 500 F CFA l’heure. La coopérative Neb La Naam compte aussi expérimenter un champ collectif d’un ha de niébé pour cette campagne agricole. Hamidou Savadogo, l’un des membres de la CUMA de Oula, dit avoir déjà bénéficié de la prestation du tracteur dans son exploitation de 3 ha environ. Et c’est avec sourire aux lèvres qu’il loue l’initiative de l’Etat de doter les producteurs d’équipements agricoles modernes.

Pour le président de la coopérative Wend Panga, Souleymane Savadogo, un tracteur pour 37 villages est insignifiant.

A l’image de ces deux coopératives, elles sont au total 11 CUMA qui ont été mises en place dans la région du Nord dont sept dans la province du Yatenga. Pour le SG de la Chambre régionale d’agriculture (CRA) du Nord, Oumarou Kindo, elles sont toujours à l’étape embryonnaire. A l’entendre, pendant que certaines coopératives viennent de voir le jour, d’autres peinent encore à décoller. Il y en a qui ne disposent même pas de tracteurs pour le moment. De l’avis de M. Kindo, il est difficile pour un producteur de se procurer à lui seul un tracteur pour travailler. D’où la mise en place des CUMA pour résoudre ce problème d’accès au matériel agricole moderne. « On s’est rendu compte que les producteurs avaient un sérieux problème d’acquisition de matériel agricole. Cela est dû à son coût élevé sur le marché ainsi que sa qualité douteuse. Pour ceux qui en avaient, il y avait des soucis liés à l’utilisation. Il a fallu les organiser pour mieux les encadrer », justifie, pour sa part, la Directrice provinciale (DP) en charge de l’agriculture du Yatenga, Anne Tapsoba. Dans sa province, fait-elle savoir, cinq CUMA sur les sept sont fonctionnelles pour le moment.

Toutefois, la gestion des équipements reçus n’est pas toujours aisée pour les bénéficiaires. Le président de la CUMA de Ouahigouya, Souleymane Savadogo, estime qu’un tracteur pour 300 personnes s’apparente à une goutte d’eau dans une mer. Sans oublier les prestations hors de la coopérative. Pour lui, les grincements de dents sont fréquents, car la machine n’arrive pas à couvrir les besoins de tout le monde. « On ne peut pas atteindre l’autosuffisance alimentaire en utilisant la daba. Il faut donc augmenter le nombre des tracteurs au profit des producteurs », plaide-t-il. M. Savadogo déplore également les pannes fréquentes de la charrue de leur tracteur, de sorte que l’argent des prestations se volatilise dans les réparations. Pour pallier ces insuffisances, la coopérative Wend Panga a opté d’acheter un deuxième tracteur mais le projet n’a pas encore abouti. A Oula, les mêmes pannes de tracteur sont signalées.

La DP en charge de l’agriculture du Yatenga, Anne Tapsoba : « Même si ce n’est pas suffisant, je pense que l’Etat fait des efforts ».

Des voyages d’études en vue

En vue d’aider les CUMA du Nord, dont les bases sont encore chancelantes, à se consolider, la CRA prévoit des actions. Il s’agit, aux dires du SG Kindo, de les rencontrer afin de répertorier les difficultés qu’elles traversent. « Il est aussi prévu des voyages à Bobo-Dioulasso pour s’imprégner du mode de fonctionnement des CUMA des Hauts-Bassins, parce qu’elles sont plus expérimentées », annonce-t-il.

Le niveau de mécanisation agricole dans la région du Nord, Oumarou Kindo l’estime pour l’instant bas. Cela est dû en partie, selon lui, aux techniques culturales utilisées dans la région. « Nous sommes plus dans le zaï et les demi-lunes. Ces pratiques sont toujours faites à la daba et aux pioches et c’est fastidieux. On souhaiterait avoir du matériel moderne qui puisse creuser les poquets », relève-t-il. Pour le cas spécifique du Yatenga, la DP en charge de l’agriculture note un niveau de mécanisation moyen.

Les pannes des tracteurs sont souvent signalées au niveau de leurs charrues.

Pour Anne Tapsoba, la subvention de l’Etat a permis à nombre de producteurs de sa zone d’abandonner la daba au profit d’outils adaptés. « Outre les grands équipements tels que les tracteurs et les motoculteurs, l’Etat offre de petits matériels, notamment des charrues, des semoirs, etc. », informe-t-elle. Les petits outils, ajoute-t-elle, sont acquis de façon individuelle par Agri-voucher comme les intrants tandis que les grands sont destinés aux producteurs organisés en coopératives et qui en font la demande. Par rapport à la qualité des équipements, la DP dit ne pas en douter car, martèle-t-elle, des techniciens procèdent d’abord à des vérifications  avant leur mise à disposition.

Pour la dotation 2022, Mme Tapsoba révèle que la région du Nord a bénéficié de cinq tracteurs dont un a déjà été pris par une CUMA du Yatenga qui était financièrement prête. Plusieurs autres dossiers sont en attente. Des demandes qui dépassent largement les offres en tracteurs. En attendant, les CUMA du Yatenga sont en quête d’expérience pour mieux grandir.

La plupart des CUMA du Yatenga mettent l’accent sur le niébé dans leurs champs collectifs.

Mady KABRE