Législatives au Sénégal : Test indicateur pour Macky Sall

Les résultats des dernières législatives au Sénégal ont confirmé la montée en puissance de l’opposition, emmenée par Ousmane Sanko

Les résultats des législatives du 31 juillet dernier au Sénégal ont consacré un net recul de la coalition présidentielle qui a obtenu, in extremis,  la majorité absolue. La faute à une percée de l’opposition réunie en alliance pour la circonstance. A traves ces résultats,  les sénégalais semblent dire également au chef de l’Etat d’enterrer un éventuel désir de briguer un troisième mandat si ce projet était dans les tuyaux…

Fini le temps  où les députés du camp présidentiel dominaient à outrance l’Assemblée nationale. En effet, Il y a cinq ans, aux  législatives de 2017, la coalition présidentielle se retrouvait  avec 127 députés sur 165 sièges et, en ce moment, la question de la majorité ne souffrait d’aucun débat. Avec celles de 2022, il va falloir compter avec l’opposition qui réalise  une percée remarquable.

Car les résultats fournis par  la Commission nationale de recensement des votes (CNRV) ont donné au finish,  un coude-à coude,  entre pouvoir et opposition. Le camp du président Macky Sall, regroupé au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar (Être ensemble et partager le même espoir en langue wolof), a obtenu 82 sièges, à une longueur de la majorité absolue.

En face, les coalitions Yewwi Askan Wi (Libérer le peuple) autour des leaders emblématiques que sont Ousmane Sonko, Khalifa Sall et Barthélémy Dias, et Wallu Sénégal (Sauver le Sénégal) avec comme chef de file, l’ancien président  Abdoulaye Wade, élu député à 96 ans, ont obtenu respectivement 56 et 24 sièges. Ce qui leur donne un total de 80 sièges, à deux longueurs du score du camp présidentiel et à trois de la majorité absolue dans un scrutin où le taux de participation a été de 46,64 %. Des résultats obtenus malgré l’invalidation  par le conseil constitutionnel en juin dernier, de la liste nationale des titulaires (mais pas des suppléants) de la coalition Yewwi Askan Wi pour les législatives, ce qui a écarté du scrutin certaines figures de l’opposition dont Ousmane Sonko.

Entre ces deux ensembles antagonistes, il y a trois sièges de trois autres coalitions : celui d’AAR Sénégal (Alliance pour une Assemblée de rupture mais aussi Soigner le Sénégal en wolof) avec Thierno Alassane Sall, Bokk Gis Gis (Avoir ensemble une même vision en wolof) avec Pape Diop, et Les Serviteurs-MPR avec Pape Djibril Fall. De ce fait, chacune de ces coalitions pouvait  permettre de sauver la mise au camp présidentiel.  Mais réunies,  elles pouvaient  aussi  permettre à l’opposition sénégalaise d’imposer une cohabitation au président Macky Sall.

Scénario inédit

Situation inédite donc. Car, c’est la  première fois depuis l’indépendance de ce pays d’Afrique de l’Ouest, en 1960, que la formation au pouvoir perd la majorité absolue et se voit obligé de chercher et de s’appuyer sur d’autres forces politiques.

 

Finalement, des trois députés restants et qui faisaient  office de faiseurs de roi, c’est l’ancien maire de Dakar, Pape Diop, avec sa coalition Bokk Gis Gis, qui a rallié le camp présidentiel permettant à celui-ci d’obtenir la majorité absolue, certes courte, avec 83 députés,  mais nécessaire pour éviter les blocages. Le nouveau venu dans le camp présidentiel a d’ailleurs justifié sa décision. Il estime qu’au regard de la nature présidentialiste du système politique sénégalais, une Assemblée nationale placée sous le contrôle de l’opposition débouchera forcément sur une crise institutionnelle porteuse de tous les dangers.

L’acte posé par  Pape Diop  a  sans doute été un ouf de soulagement pour le camp présidentiel, car les trois coalitions restantes  se réclamaient de l’opposition avant le début de la campagne. Ce ralliement « salvateur » devrait permettre  effectivement   au Président Sall d’avoir une stabilité gouvernementale et  de poursuivre la mise en œuvre de son programme.

L’on n’est donc pas passé loin d’une cohabitation que l’opposition aurait imposée au camp du président, si les coalitions  emmenées par Ousmane Sonko, Abdoulaye Wade et les trois autres,  étaient tous restées ensemble.

Ces  résultats de l’opposition confirment la dynamique impulsée par les élections locales de janvier, où elle est sortie victorieuse dans les grandes villes comme Dakar, Thiès, Ziguinchor que dirige désormais  Ousmane Sonko, déjà déclaré candidat pour la présidentielle de 2024  et très populaire auprès des jeunes.

Si leur montée en puissance peut s’expliquer, à première vue, par un mécontentement grandissant marqué par la cherté des denrées, le renchérissement du prix de l’eau, les pratiques autoritaires autour des manifestations suivies de morts, les résultats du scrutin législatif apparaissent aussi comme un  vote-sanction contre le président, par une partie de la population.

Référendum de fait

Un vote-sanction  que l’on peut considérer comme  un référendum de fait, car  les partisans de l’opposition adressent un message sans ambiguïté au président Macky Sall quant à une volonté de briguer un troisième mandat. Elu pour un premier mandat de sept ans en 2012  et réélu pour cinq ans en 2019, ce dernier devrait quitter la présidence en 2024, mais certaines de ses sorties laissent planer le doute sur d’éventuelles envies de se représenter.

Pour quiconque suit l’actualité politique au Sénégal, ces vingt dernières années,  l’on est tenté de se demander si Macky Sall ou ses partisans qui le poussent à rempiler, n’ont pas la mémoire courte. Son prédécesseur, Me Abdoulaye Wade, le chantre du Sopi (changement en Wolof), a pourtant voulu s’offrir un troisième  mandat extrêmement contesté,  au terme de ceux autorisés par la Constitution sénégalaise. Mais le peuple ne lui a pas offert ce « cadeau », à travers un cuisant échec lors de la présidentielle de 2012, remporté par le même Macky Sall. Et en 2000, Abdoulaye Wade a réalisé l’alternance tant souhaitée en battant Abdou Diouf dans les urnes,  après 19 ans de pouvoir de celui-ci et qui voulait aussi rebeloter.

Une fois de plus, le Sénégal vient de montrer, à travers ces législatives,  sa maturité politique au reste de l’Afrique, dans un contexte où l’on commençait à désespérer de la démocratie dans ce continent. N’est-il pas d’ailleurs jusqu’à ce jour, le seul pays d’Afrique de l’ouest francophone, à n’avoir pas encore connu de coup d’Etat ?

Gabriel SAMA.