Distribution électronique des intrants : Des paysans à l’épreuve de la technologie

Jules Botoni estime que la distribution électronique des intrants est perfectible

La plateforme E-voucher poursuit son petit bonhomme de chemin au Burkina Faso. Lancée en 2018 par le ministère en charge de l’agriculture, elle avait pour objectif de faciliter la distribution des intrants agricoles aux producteurs vulnérables. Cette belle initiative rencontre cependant quelques difficultés parmi lesquelles la mauvaise qualité du réseau de téléphonie mobile et l’analphabétisme des producteurs. Dans le Boulkiemdé et les Balé, les tentatives de sauver le mécanisme commencent à porter des fruits. Reportage.  

En cette matinée du vendredi 15 juillet 2022, les producteurs du Boulkiemdé sont à l’ouvrage dans leurs fermes. De part et d’autre de la voie reliant Koudougou à Sabou, les champs de sorgho offrent une belle vue et donnent des raisons d’espérer si le rythme des pluies se maintient jusqu’en octobre. Dans la commune de Sabou, nombreux sont ceux qui attendent leurs intrants agricoles. Au service d’agriculture, les producteurs faufilent. Deux agents en service les accueillent sous un arbre dressé en face du bâtiment abritant les bureaux. Une chaise et un banc sur lequel trône un registre, c’est ce qui tient lieu de bureau pour les deux agents de l’Etat. Ceux-ci procèdent à l’enregistrement des producteurs et recueillent leurs préoccupations. Certains sont venus chercher leurs dotations, d’autres des renseignements.

Gilbert Raogo Kologo, producteur vulnérable de Sabou, est l’un des bénéficiaires. Muni de sa Carte nationale d’identité burkinabè (CNIB), il s’inscrit sur la liste des candidats aux intrants agricoles. Au bout du processus, l’agent recenseur lui remet un papillon indiquant le type et la quantité d’intrants qu’il doit recevoir. Ce document s’appelle le code Bon ou Bon aléatoire. Il permet au producteur d’obtenir ses intrants sans passer par le système de messagerie. Le visage rayonnant de joie, Gilbert Kologo se précipite dans une boutique de l’Association des grossistes et détaillants d’intrants agricoles (AGRODIA). Il repart avec dix sacs d’engrais. Il procède ensuite à l’enlèvement immédiat de sa dotation. Le tout, en l’espace de quelques minutes. Ce système de distribution fonctionne à merveille. Il est fluide et rapide, rappelle Adama Boro, directeur régional en charge de l’agriculture du Centre-Ouest. A l’entendre, les Bons aléatoires ont été initiés en vue de pallier les insuffisances du système de messagerie.

Adama Boro, DR agriculture du Centre-Ouest : « Notre ambition, ce n’est pas de couvrir tous les besoins des producteurs »

Au nombre des failles de cette dernière, il y a l’incapacité des destinataires des messages à les lire, la mauvaise qualité du réseau Orange et de la connexion internet, l’arrivée tardive des messages. Les codes Bons constituent, aux yeux des producteurs, une panacée. Le système est bien apprécié des différents maillons de la chaîne.

Salam Tiendrébéogo, producteur à Nariou dans la commune de Sabou, est heureux de constater cet effort d’amélioration. Rencontré le vendredi 15 juillet au service d’agriculture de Sabou, il trépigne d’impatience pour entrer en possession de sa dotation. « C’était la croix et la bannière pour nous de lire les messages», se souvient-il amèrement. Les encadreurs agricoles ne diront pas le contraire. Ils affichent leur entière adhésion au système. «L’idée est bonne, mais le diable se trouve dans les moindres détails », ironise Jules Botoni, chef d’Unité d’animation technique (UAT) de Toné dans la commune de Fara, province des Balé.

« Chacun doit faire l’effort de son côté »

Pour Aristide Zonou, les bons aléatoires rendent le travail plus fluide et rapide

Gilbert Kologo et Salam Tiendrébéogo n’ont pas fait les bancs. Pour identifier le contact d’un proche dans leurs cellulaires, ils se servent des symboles. Si afficher un simple numéro de téléphone leur cause autant d’ennuis, qu’adviendrait-il de la lecture d’un message?  En tout cas, c’est la question que beaucoup se posent, étant donné que les producteurs burkinabè sont majoritairement des illettrés. L’information étant au cœur du système, Gilbert Kologo a pris attache avec les agents d’agriculture de Sabou.

En multipliant les appels téléphoniques, il est sûr qu’aucune information à destination du monde rural ne peut lui échapper. « Ils m’ont rassuré au téléphone que les intrants sont arrivés, raison pour laquelle je suis venu récupérer ma dotation », relève M. Kologo, sourire aux lèvres. Salam Tiendrébéogo est logé à la même enseigne. Ce sont les agents d’agriculture qui lui ont mis la puce à l’oreille que ses intrants sont arrivés. Les engrais sont venus avec un léger retard. Mais pour lui, mieux vaut tard que jamais. « Beaucoup ratent leurs intrants à cause de la messagerie », déplore-t-il.

M. Tiendrébéogo veut cinq sacs d’engrais notamment 3 sacs de NPK et 2 sacs d’urée. Cependant, le dernier mot, souffle-t-il, revient aux agents d’agriculture. Dans le principe de la distribution électronique des intrants, le bénéficiaire n’a pas à imposer son choix. Tout ce qu’on lui donne, il prend sans broncher. C’est du moins l’avis de Daouda Zoungrana, chef d’Unité d’animation technique (UAT) de Poura dans les Balé. « Concernant les engrais chimiques, il n’appartient pas au producteur de désigner le type d’engrais qu’il veut. Les quantités étant insuffisantes, c’est mieux de prendre un peu, quitte à compléter le manquant avec ses propres moyens. Chacun doit faire l’effort de son côté », argumente-t-il.

Enlèvement d’engrais chimiques au magasin

A l’évidence, les producteurs sont confrontés aux mêmes difficultés. Qu’ils s’agissent ceux du Boulkiemdé dans le Centre-Ouest ou des Balé dans la Boucle du Mouhoun, les problèmes restent les mêmes. Ouéguédo Coulibaly, producteur à Fara dans les Balé, dit se perdre dans les dédales de la distribution électronique des intrants agricoles. Rencontré le jeudi 14 juillet 2022, il affirme avoir reçu ses semences au cours de la campagne 2020-2021 via le système de messagerie. Mais apparemment, il a eu toutes les peines du monde à retrouver le message dans sa boîte de réception tant ils se sont empilés au fil du temps. « Je n’ai pas su à quel moment le message m’a été envoyé.

Comme chaque jour les réseaux de téléphonie nous envoient aussi des messages, il fallait maintenant trouver quelqu’un pour fouiller dans la messagerie de mon appareil afin de retrouver le message recherché », raconte-t-il. La mise à disposition des codes Bons au profit des producteurs sonne comme une victoire d’étape pour lui. La plateforme E-voucher, lancée par le ministère en charge de l’agriculture en 2018 à Dourou dans le Passoré, visait en effet à faciliter les opérations de distribution des intrants agricoles aux producteurs. Mais ce mécanisme donne du fil à retordre aux producteurs. Conscient de ces insuffisances, le ministère en charge de l’agriculture n’a pas hésité à rectifier le tir. C’est à ce titre que les codes Bons ou Bons aléatoires ont vu le jour. Ils sont destinés aux producteurs vulnérables n’ayant pas reçu de message dans leur téléphone portable. Dans les localités visitées, l’unanimité semble se dégager sur l’efficacité de cette mesure. Jules Botoni est fier des résultats engrangés dans sa zone de couverture où on dénombre déjà 200 bénéficiaires des bons. « La distribution des bons facilite les choses», indique-t-il. Adama Boro ne manque pas de faire les éloges de cette initiative qui soulage aussi bien les producteurs que les agents d’agriculture.

Ce magasin d’intrants de Sabou a été vidé en un laps de temps par les producteurs

La distribution électronique des intrants, signale-t-il, est censée remédier aux imperfections de la plateforme E-voucher telles que les pertes de message, de réseau et la lenteur de l’opération. « Pour le moment, elle se déroule assez bien », se réjouit-il. La preuve, poursuit M. Boro, est que dans le cadre de l’opération d’appui en engrais, 273 tonnes (t) ont été mises à la disposition des producteurs. « En moins d’une semaine, nous sommes entre 80 et 90% de taux d’enlèvement », détaille-t-il. De plus, ajoute-t-il, la distribution électronique réduit les risques liés à la manipulation de l’argent liquide par les agents d’agriculture. Dans les Balé, on observe la même célérité et une parfaite maîtrise du mécanisme. A en croire Aristide Zonou, directeur provincial en charge de l’agriculture des Balé, plus de 100 tonnes de semences et 1000 tonnes d’engrais ont été distribuées aux producteurs. Selon lui, si un problème apparaît, les agents se tournent vers les producteurs concernés pour trouver des solutions. « Lorsque la personne fait une journée ou deux journées sans passer récupérer sa dotation, les agents l’appellent au téléphone pour savoir les raisons et lui demander de passer au cas où elle est toujours intéressée», affirme M. Zonou.

Boureima Zongo, employé à AGRODIA: « Cette année tous les acteurs sont contents ».

Boureima Zongo, employé d’AGRODIA à Sabou, note avec une pointe de satisfaction une évolution positive en matière de distribution électronique d’intrants agricoles cette année. « Le message causait des soucis aux producteurs parce que la plupart ne savent pas lire et sont assis avec », témoigne-t-il. Dans sa boutique, on trouve des semences de maïs, de sorgho, de mil, d’arachide et de soja mais aussi quelques sacs d’engrais chimique. « Avec l’aide des agents d’agriculture, nous avons pu évacuer les semences. Nous sollicitons également leur soutien pour distribuer les engrais chimiques », souligne M. Zongo. La plateforme continue de séduire mais, soutient Jules Botoni, elle reste tout de même perfectible. « Beaucoup de producteurs ne savent pas lire, certains perdent leurs portables et d’autres n’en ont même pas, donc il faut en tenir compte », suggère-t-il. La finalité de cette aide publique à l’endroit des producteurs, selon Adama Boro, c’est de leur permettre d’être autonome en finançant eux-mêmes leurs productions. En la matière, les nouvelles sont rassurantes.

Grâce à cette aide, Ouéguédo Coulibaly a franchi un palier. Il ne fait plus partie des producteurs vulnérables et s’en tire à bon compte. Aujourd’hui, il est dans la production cotonnière et bénéficie des intrants de la Société des fibres et textiles (SOFITEX). Claver Banzourou, producteur à Poura, a déjà bénéficié de l’appui de l’Etat en intrants agricoles à travers le système de messagerie. De nos jours, il vole de ses propres ailes. Il exploite un champ de 5 ha. Les herbicides, les pesticides, les engrais chimiques et les semences améliorées sont à sa charge. Et il ne se plaint pas.

Gilbert Kologo a préféré maintenir le contact avec les agents d’agriculture que d’attendre des messages

Des producteurs toujours à la traine

Par ailleurs, le recours aux intrants subventionnés par l’Etat n’est pas encore ancré dans les mœurs de tous les producteurs burkinabè. La daba flanquée à l’épaule gauche, Paul Sandaogo Nikièma, producteur à Loaga dans la commune rurale de Poa, s’évertue à désherber son champ de sorgho. Les habits trempés de sueur, il n’a que sa daba comme outil de travail. Il est assisté de son épouse et son Benjamin. Ce mercredi 13 juillet, la chaleur est accablante. Le sol retentit au moindre contact avec la daba, soulevant la poussière. Le ciel est dégagé. La terre aride de Loaga complique davantage la tâche. La commune de Poa dont il relève enregistre des poches de sécheresse. Des plants de sorgho aux feuillages fanés font les frais de ces caprices pluviométriques. Les semences améliorées, censées résister à la sécheresse, sont aux abonnés absents dans la ferme de M. Nikièma. Il fait toujours confiance à ses variétés traditionnelles. Les nouvelles variétés de sorgho mises au point par la station de recherche de Saria située à quelques encablures de son village ne sont pas encore tombées dans son escarcelle. La nature du sol ne permet pas non plus d’obtenir de bons rendements. Paul Nikièma n’utilise pas non plus de fertilisants.

Salam Tiendrébéogo, producteur illettré de Nariou : « Envoyer un message est bien, mais ça nous fait beaucoup souffrir »

Même pas un gramme d’engrais chimique dans son champ. « Je veux les intrants mais mes moyens sont limités», se justifie-t-il. Il ne compte désormais que sur la providence divine pour avoir de bonnes récoltes. « L’agriculture, c’est notre seule porte de sortie », fulmine-t-il. D’où la nécessité pour lui de s’adapter à l’évolution du secteur afin de profiter des opportunités qu’il offre.

 Ouamtinga Michel ILBOUDO

omichel20@gmail.com