Soudan : deux généraux pour un fauteuil

Les généraux Dagalo et Al-Burhan veulent chacun avoir le contrôle du pays.

Khartoum, la capitale du Soudan, connait depuis le 15 avril 2023, une spirale de violence, ayant occasionné des centaines de morts et des milliers de blessés. En toile de fond, la rivalité entre les deux généraux, pourtant alliés, qui se disputent le pouvoir.

Ni les messages de cessez-le-feu, ni la détresse de la population, pas même la fête de Ramadan, n’ont empêché les belligérants de s’affronter en plein Khartoum, la capitale soudanaise. L’escalade de la violence a été telle que plusieurs ambassades étrangères ont procédé à l’évacuation de leurs personnels et de leurs ressortissants. Des pays comme la France ont purement et simplement fermé leurs ambassades.

Des soudanais, craignant pour leur sécurité, ont commencé à quitter la capitale vers d’autres régions et dans les pays voisins comme le Tchad ou l’Egypte. L’eau, l’électricité et les produits de première nécessité ont commencé à se raréfier. Les agences des Nations unies ont suspendu leurs activités dans le pays et cinq humanitaires ont été tués. Selon les médecins soudanais, près de trois quart des hôpitaux sont hors service.

Cette crise humanitaire qui se dessine est venue s’ajouter aux plus de 400 morts et 3 700 blessés, selon l’ONU, à la date du 24 avril 2023. Finalement et après d’intenses négociations menées sous l’égide des Etats-Unis, un cessez-le-feu de 72 h a été obtenu le 24 avril et accepté par les deux parties, pour favoriser les dispositions humanitaires.

C’est déjà un pas de gagné. Mais plus qu’un cessez-le-feu, c’est d’une cessation permanente des hostilités que les Soudanais ont besoin. Les deux généraux dont les éléments se livrent une guerre sans merci le comprendront-ils ? Car, les deux protagonistes semblent avoir des positions irréconciliables.

Choc des ambitions

En effet, le général Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’armée régulière et président de facto du Soudan et le général Mohamed Hamdan Dagalo, alias Heimidti, chef des Forces de soutien rapide (FSR), son numéro deux et allié, ne parlent plus le même langage. Chacun voulant avoir le contrôle du pays. A l’origine, un achoppement sur les modalités d’intégration au sein des troupes régulières des très redoutées FSR, composées en bonne partie d’ex-miliciens.

Ces fameux djandjawids, soutenus par le pouvoir de Khartoum à l’époque, ont fait parler d’eux lors de la guerre civile au Darfour, en faisant un sale boulot. Faute de compromis, leurs hommes ont fini par s’affronter violemment dans les rues de la capitale, causant désolation au sein des populations civiles innocentes qui paient le prix le plus lourd. En plus de cela, le général Heimidti s’aligne désormais sur les civils pour dénoncer l’armée et se réclamer des «acquis de la révolution» de 2019.

Pourtant, à la faveur de cette révolution de 2019, marquée par de grandes manifestations contre le pouvoir d’alors, ce sont les deux généraux qui ont destitué et emprisonné l’ancien Président Omar El Béchir. S’étant engagés avec les civils dans une Transition de trois ans, ils devraient remettre progressivement le pouvoir à ces derniers. Mais déjà, peu d’observateurs accordaient du crédit à ces militaires quant à leur réelle volonté de céder le pouvoir. C’est encore de concert qu’ils ont opéré un coup d’Etat, le 25 octobre 2021, en mettant aux arrêts certaines personnalités civiles dont le premier ministre Abdallah Hamdock.

Réinstallé un mois plus tard à son poste, il finira par démissionner en début janvier 2022. En réalité, la conservation du pouvoir a toujours guidé ces deux généraux au pouvoir et les différentes manifestations pour un retour du pouvoir aux civils sont toujours restées lettre morte. Et comme, il n’y a jamais deux « capitaines dans un bateau », le choc des ambitions a amené l’escalade de la violence chez deux généraux ambitieux. Et à l’allure où vont les choses, il est à craindre que ces affrontements ne se muent en guerre civile, si un cessez-le-feu définitif n’est pas conclu.

Déjà confronté à une situation économique difficile, un tel scénario pourrait une fois de plus amener le pays vers le chaos. Et il ne serait pas à sa première guerre civile. On est mémoratif de celle qui a engendré la scission du pays en deux, avec la création du Soudan du Sud en 2011 et celle du Darfour avec ses lots de morts.Avec deux généraux, chacun avec son armée, dans un même pays, le pire n’est jamais loin.

Gabriel SAMA