Accès des femmes au foncier: une situation mi-figue mi-raisin dans les Cascades

Plus de 400 femmes sont propriétaires de parcelles sur la plaine de la Léraba.

L’accès des femmes à la terre reste problématique au Burkina Faso, même si la situation diffère d’une région ou d’une communauté à une autre. Dans les Cascades, les coutumes semblent plus souples à l’égard du « sexe faible » qui a aussi droit au foncier. Mais le hic est que, généralement, ce sont les bas-fonds qui lui sont cédés, les hommes demeurant maîtres des hautes terres. Une donne qui tend à changer de nos jours avec l’avènement des périmètres aménagés de l’Etat où on prône l’égalité des genres.

La campagne humide tire à sa fin sur la plaine aménagée de la Léraba, dans la commune de Douna, région des Cascades, en ce début du mois de décembre 2023. La plupart des 1 200 producteurs qui occupent ce périmètre irrigué de 410 hectares (ha) ont déjà récolté leur riz, la spéculation-phare de la plaine.

Les retardataires dont la majorité sont des femmes, s’activent toujours à boucler les derniers travaux afin de repartir de plus belle pour la campagne sèche. Une véritable course contre la montre, puisque les producteurs les plus prompts ont déjà entamé la nouvelle campagne. Pendant que certaines s’échinent à tondre les tiges de riz, d’autres sont au battage ou au vannage. La tâche est ardue. Elle est exécutée à l’aide d’outils archaïques, notamment des faucilles, des bâtons et des vans. Sorikè Soura, la cinquantaine, fait partie de ce lot de productrices qui sont encore à la traîne.

Sous un soleil ardent, ce jeudi 7 décembre, elle s’évertue à multiplier les coups de bâton dans un tas de tiges de riz, à l’effet de les séparer de leurs grains. Trempée de sueur, Sorikè garde malgré tout le sourire, convaincue que ses efforts ne seront pas vains. Elle espère obtenir, après vannage, une dizaine de sacs de 100 kg de riz paddy. Une production qui lui permettra de prendre en charge une famille de six enfants. Sa parcelle de production d’une superficie de 0,15 ha, Sorikè Soura dit l’avoir héritée de sa défunte mère qui l’a acquise depuis 1987, date de l’aménagement du périmètre irrigué.

Une succession de mère à fille

A l’entendre, depuis cette époque jusqu’à nos jours, la parcelle demeure leur propriété, elle et sa maman. Après elle, souligne Sorikè, ce bien reviendra de droit à sa fille et ainsi de suite. A un jet de pierre de là, une autre dame s’active dans la récolte de son riz. Seule dans sa parcelle, Salimata Yé, aux pas pressés, entasse le riz déjà fauché sur une bâche qu’elle bat de toutes ses forces. Le soleil est presqu’au zénith.

Sorikè Soura dit avoir hérité de la parcelle
de sa mère.

Les dards qu’il envoie au sol sont difficiles à supporter. Mais cela n’entame en rien la détermination de cette mère de sept gosses à terminer sa besogne. Il lui reste encore une petite portion à récolter. Le visage perlé de sueur, Salimata révèle qu’elle attend environ 20 sacs de 100 kg de riz paddy sur son terrain de 0,20 ha. « C’est parfois à cause des inondations, sinon en campagne sèche, je peux récolter environ 30 sacs de 100 kg », précise la quadragénaire, visiblement satisfaite.

Elle aussi travaille sur une parcelle héritée de sa génitrice qui, aujourd’hui, s’est retirée du fait de son âge avancé. Ce n’est pas seulement sur la plaine aménagée que sa mère détient des parcelles de production, aux dires de Salimata. Elle en a d’autres à Sindou, chef-lieu de la province de la Léraba et à Manéna, un village voisin de Douna. « Chez nous, les Turka, les femmes ont droit à la terre. Elles sont nombreuses à posséder des parcelles de production. Et personne ne peut nous les retirer », clame Salimata Yé.

Toutefois, elle mentionne que toutes les parcelles qui lui ont été léguées hors de la plaine sont des bas-fonds, destinés uniquement à la production de riz. Koalé Soura, mère de quatre enfants, exploite la parcelle contigüe à celle de Salimata. Malgré le poids de l’âge, plus de la soixantaine, elle se montre habile dans la fauche. Tout comme les deux autres, elle aussi a hérité son périmètre de 0,25 ha de sa maman. Elle en a également hors de la plaine, dans un bas-fond pour la riziculture. Outre ces trois dames, elles sont environ 480 productrices à disposer de parcelles de culture sur la plaine aménagée de la Léraba. «

Actuellement, nous avons 410 hectares aménagés sur la plaine qui sont exploités par 1 200 producteurs dont 39,58% de femmes », informe Eguima Egnomo Kantiono, la chargée des questions genre et nutrition du Projet d’aménagement et de valorisation de la plaine de la Léraba (PAVAL). Selon elle, la question du genre occupe une place de choix dans le plan d’action du projet qui veille à l’autonomisation économique des femmes et des jeunes et surtout à l’égalité des genres.

50% des périmètres aménagés aux femmes

La Directrice régionale (DR) de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques des Cascades, Haoua Yaro, rappelle que cela fait suite à une disposition de la loi 034 sur le foncier rural qui recommande que dans un domaine aménagé par l’Etat, au moins 30% des superficies soient occupés par les femmes. Mais dans ses prévisions, le PAVAL veut aller au-delà, en accordant plus de place à la femme. En effet, dans son plan d’action genre, il est prévu d’attribuer 50% des périmètres aménagés aux femmes.

Salimata Yé, productrice de riz à Douna :
« Je suis veuve et je me bats seule pour nourrir mes sept enfants ».

Une ambition qui sera aisément atteinte grâce à l’aménagement en cours de 1 000 autres hectares sur la plaine. L’accès des femmes aux terres aménagées à Douna est aussi facilité par les pratiques coutumières de la localité dont les Turka sont les autochtones. Avant l’aménagement, beaucoup y pratiquaient déjà la riziculture. « La réalité de cette localité, voire même de la région des Cascades, est que les femmes s’investissent énormément dans la production de riz. Sur les plaines non aménagées, on constate que plus de 60% des exploitants sont des femmes », fait savoir la responsable des questions genre et nutrition du PAVAL. Un constat confirmé par la DR Yaro.

« Dans la région des cascades, les bas-fonds sont beaucoup occupés par les femmes pour la production de riz. Il semble que c’est culturel. A ce niveau, elles n’ont pas assez de problèmes pour accéder à la terre », témoigne-t-elle. Ses propos sont corroborés par le chef du village de Douna, Mondion Soura, qui indique que chez les Turka, la coutume permet que la femme ait sa portion de terre pour travailler. Ces terres, précise-t-il, sont généralement les bas-fonds qui sont propices à la production rizicole. « La parcelle est cédée d’office à la femme. Il n’est pas question de la lui retirer par la suite », insiste l’octogénaire.

A écouter le responsable coutumier, les usages ne sont plus les mêmes dans sa communauté. Avec l’avènement des périmètres aménagés, note-t-il, les hommes s’adonnent maintenant à la riziculture qui était autrefois réservée à la gent féminine. Selon le chef de Douna, la cession des bas-fonds aux femmes pour la production de riz est aussi une pratique courante chez les Karaboro, qui sont de la même famille que les Turka, et partant, dans toute la région des Cascades. C’est ainsi, avance-t-il, que les terres sont transmises de mère à fille dans cette localité. Des explications de Mondion Soura, lorsqu’une femme propriétaire d’une portion de terre prend de l’âge ou décède, c’est sa fille qui la remplace ou à défaut, son fils.

Accès mitigé en hors plaine

Sur la plaine aménagée de la Léraba, toutes les femmes interrogées confirment avoir hérité leurs parcelles de leurs génitrices. Toutefois, leur accès aux hautes terres reste un idéal. Eguima Egnomo Kantiono du PAVAL tient à relativiser ce droit des femmes à la terre. « Nous avons mené une étude, un diagnostic social, dans la zone qui a révélé que l’accès des femmes à la terre ferme dans les espaces non aménagés reste problématique.

Dans notre jargon, nous parlons d’accès et de contrôle de la terre. L’accès veut dire que la femme a la possibilité d’exploiter la terre qu’on lui emprunte, parce qu’elle relève d’un ménage ou d’une famille. Mais elle n’a pas le contrôle, le droit de propriété, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas disposer de cette terre comme elle veut », nuance-t-elle. La DR en charge de l’agriculture des Cascades abonde dans le même sens en relevant que, généralement dans la région, les hautes terres sont détenues par les hommes. Autrement dit, les hommes demeurent les nus-propriétaires et les femmes les usufruitières.

Qu’à cela ne tienne, les femmes occupent une place prépondérante dans les activités agricoles. Elles sont au four et au moulin dans tous les maillons de la chaîne de production. Et sur la plaine de la Léraba, des mesures sont prises pour leur permettre de disposer de la terre et de booster leurs rendements. Il s’agit également de les aider à sécuriser leurs parcelles de production. A cet effet, Mme Kantiono informe que des baux emphytéotiques sont prévus pour accompagner l’ensemble des exploitants de la plaine.

Mondion Soura, chef du village de Douna :
« chez nous, les femmes accèdent à la terre au même titre que les hommes ».

L’article 66 de la loi 034 portant Régime foncier rural définit le bail emphytéotique de terres rurales comme un bail conclu entre d’une part, l’emphytéote ou le bailleur de terres et d’autre part, le preneur ou locataire de terres, pour une durée comprise entre 18 ans au minimum et 99 ans au maximum et donnant lieu au paiement d’un loyer périodique.

« Nous avons un consultant qui nous accompagne dans ce sens pour faire l’état des lieux actuel et voir ce qu’on pourrait proposer dans ces documents afin que les femmes ou les producteurs d’une façon générale puissent exploiter le plus longtemps possible les parcelles qui leur ont été attribuées », détaille-t-elle. En attendant, ce sont des carnets d’attribution de parcelles que détiennent les producteurs et qui attestent qu’ils en sont les exploitants officiels.

Travailler à un changement de mentalités

Au-delà de la sécurisation foncière, Egnomo Kantiono estime qu’il faut travailler à un changement de comportement en faveur de l’égalité des genres. A ce niveau, souligne-t-elle, le PAVAL est en train de mettre en œuvre des actions de communication en partenariat avec la direction régionale en charge du genre des Cascades en vue de parvenir aux résultats escomptés. Ces communications qui, selon elle, s’adressent à l’ensemble des acteurs et surtout aux personnes influentes et aux responsables coutumiers, visent à rappeler les droits humains de façon générale et ceux de la femme en particulier.

« Ensemble, nous allons décortiquer les contraintes d’accès des femmes au foncier qui handicapent la production et y trouver des solutions consensuelles », espère la responsable des questions genre et nutrition du PAVAL. Pour Mme Kantiono, les actions du PAVAL en faveur des femmes peuvent inspirer d’autres projets ou structures de développement à lui emboîter le pas. Car, signale-t-elle, même si des femmes ont pu obtenir des attestations de possession foncière dans certains milieux, il est encore plus facile pour elles d’accéder à la terre dans les périmètres aménagés par l’Etat.

Celles qui sont déjà sur la plaine de la Léraba ne diront pas le contraire. « Cette parcelle que ma mère a acquise depuis plus de 30 ans me permet de subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille. Je suis contente d’en être la propriétaire et je suis convaincue qu’on ne va pas me la retirer un jour », se réjouit Sorikè Soura. En vue d’améliorer leurs rendements agricoles, les femmes plaident pour l’obtention d’équipements modernes de production, tels que les motoculteurs et les moissonneuses batteuses.

Mady KABRE

dykabre@yahoo.fr


Ce que dit la loi 034 sur le genre

Pour la prise en compte du genre, l’article 7 de la loi 034 portant Régime foncier rural de 2009 stipule que : – l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour favoriser la reconnaissance et la protection des droits de propriété, de jouissance, de possessions foncières et des droits d’usages de l’ensemble des acteurs sur les terres rurales. – l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour favoriser l’accès équitable de l’ensemble des acteurs ruraux aux terres rurales, sans distinction d’origine ethnique, de sexe, de religion, de nationalité et d’appartenance politique.

M.K.

Source : Loi n°034-2009/AN