Le Laboratoire médias et communication organisationnelle (LAMCO) organise, du 14 au 16 novembre prochain à Ouagadougou, un colloque international dont le thème est : « Les pratiques de l’information et de la communication dans une société en mutations ». Dans cet entretien réalisé, lundi 4 novembre 2024, le responsable du laboratoire de recherche, le professeur Firmin Gouba, enseignant chercheur à l’université Joseph-Ki-Zerbo nous donne l’intérêt du thème et les objectifs recherchés à travers ce colloque.
Sidwaya (S): Vous organisez, du 14 au 16 octobre prochain, un colloque international dont le thème est intitulé : « Les pratiques de l’information et de la communication dans une société en mutations ». Qu’est-ce qui justifie le choix de ce thème ?
Firmin Gouba (F.G.) : Au regard de l’évolution de l’environnement, nous nous sommes dits qu’il est vrai que nous formons des professionnels dans le domaine de l’information et de la communication. Dans nos universités et instituts, il y a des canevas, c’est-à-dire des éléments fondamentaux sur lesquels, l’on s’accorde pour enseigner. Mais quand l’environnement évolue, est-ce que la démarche de formation, le contenu des formations peut toujours rester en l’état ? Pouvons-nous enseigner la même chose aux professionnels que nous mettons sur le marché ?
Il y a les questions de la déontologie et de l’éthique qui se posent. Quand le contexte change, est-ce que cela doit évoluer ou rester en l’état ? Nous avons aussi la problématique de l’indépendance du journaliste, etc. Voilà autant de problématiques qui nous interpellent, sans oublier aussi les moyens de communication, les moyens de production. Aujourd’hui, nous avons Internet et nous ne pouvons pas faire autrement que de l’exploiter. Nous avons aussi l’arrivée de l’intelligence artificielle, le changement de mentalité des personnes. Le Burkinabè d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier.
Si l’on regarde juste à côté, depuis l’insurrection populaire, le Burkinabè a fondamentalement changé. Les rapports aux autres citoyens, les rapports à l’autorité, etc., tout cela aussi a changé. Quelle place le journaliste, le communicateur doit occuper dans cet environnement ? Comment doit-il se positionner ? Quels types d’aspects doit-il prendre en compte ? Voilà des éléments qui nous ont amené à réfléchir sur les contributions que nous pouvons apporter de façon significative pour faire évoluer les choses.
S : Quelles sont les grandes thématiques qui seront abordés pendant le colloque ?
F.G. : Nous avons décidé d’aborder les grands thèmes à travers quatre axes. Le premier axe aborde les nouvelles formes de productivité, de circulation et de consommation de l’information. La production de l’information, la diffusion de l’information et la consommation de l’information ne se font plus comme de façon classique. La production journal papier a évolué, beaucoup de médias sont dans la production papier, mais sont aussi sur le net.
Aujourd’hui, le public a besoin d’avoir l’information aussi en temps réel. Il faut rappeler que quelques médias ont eu des soucis avec ce changement de besoin. C’est-à-dire le fait que l’on veut traiter l’information de façon rapide et de manière instantanée. Il y a aussi la question des « Fake news » qui s’invite. Tout cela, nous amène à nous questionner. Le deuxième axe est en rapport avec les nouveaux modes d’expression citoyenne, facteur de promotion de la démocratie ou de la parole publique.
Aujourd’hui, il n’y a pas que les journalistes, les professionnels de l’information et de la communication qui peuvent produire et diffuser l’information. Le citoyen aujourd’hui, qui a un smartphone, est capable de produire du contenu et de le diffuser. C’est aussi un moyen pour le citoyen d’interpeller les pouvoirs publics. Le citoyen qui, normalement, est invité au débat à l’occasion des élections ou des référendums, n’attend plus ces moments précis, mais à tout moment, peut maintenant interagir et prendre la parole à tout moment. Il y a donc une autre forme de communication parallèle qui se développe.
Cette forme n’est pas forcément prise en charge par des professionnels de l’information et de la communication. Comment le professionnel se positionne par rapport à cette réalité ? Quelle attitude faut-t-il développer chez nos jeunes diplômés qui seront sur le terrain et qui vont travailler de façon concurrente avec ces pratiques citoyennes ? Nous souhaitons mener la réflexion sur cet axe parce qu’on a aussi ce qu’on appelle le journalisme citoyen. Le journalisme citoyen est le fait aussi que le monopole de la production, de la diffusion, ne soit plus simplement concentré au milieu professionnel.
Mais les citoyens qui sont à la base, qui vivent les réalités du terrain, les réalités locales, puissent en même temps aussi pouvoir trouver les moyens, utiliser les moyens qui sont à leur disposition pour produire et diffuser de l’information. Le troisième axe concerne le défi de la gouvernance des entreprises et des organisations face aux réseaux sociaux numériques. Le management des organisations, le management des publics nécessite l’exploitation des ressources de la communication.
Ce n’est pas pour rien que vous avez des chargés de communication, vous avez des directeurs de la communication. Pour ce qui concerne les institutions publiques, vous avez les Directeurs de la communication et des relations presses (DCRP) dans les ministères et les institutions. Alors comment est-ce que justement on peut manager effectivement les entreprises, les institutions publiques à l’ère des réseaux sociaux numériques ? Il y a le discours institutionnel produit par l’institution, par les entreprises et par les communicants de la maison. Mais parallèlement à cela aussi, vous ne pouvez pas empêcher les autres citoyens d’avoir une réaction, une prise de parole.
Comment on peut concrètement réussir ce management en sachant très bien que ce sont des moyens qui sont disponibles à la portée de tout le monde. Comment faire pour que l’image de l’institution, l’image de l’entreprise, les intérêts de l’entreprise soient sauvegardés dans la diversité des acteurs de la communication. Et enfin, le dernier axe est relatif au contexte de crise et l’appel à une réinvention des métiers de l’information et de la communication. Est-ce qu’il faut des journalistes accompagnants ou est-ce que les journalistes doivent prendre leur distance par rapport à l’autorité publique ?
L’on parle d’une situation de crise où toutes les énergies doivent être mobilisées. Si, le journaliste veut s’associer, veut prendre position avec l’autorité publique, il ne fait plus de journalistes, il fait de la communication. Ce qui est totalement différent de ce que la théorie recommande. Une situation de crise est une situation exceptionnelle. Par rapport à ce contexte, les professionnels doivent-ils garder la même posture ou avoir les mêmes éléments de formation ? Voilà les quatre axes sur lesquels nous comptons réfléchir.
S : Le colloque va certainement déboucher sur des conclusions. Qu’est-ce qui sera fait pour pérenniser les acquis de ce colloque ?
F.G. : A la fin du colloque, nous allons produire un document qui va justement faire le point de toutes les communications qui ont été présentées. Généralement, à l’université, nous sélectionnons les documents qui sont bien faits. Ils seront publiés et mis à la disposition des communautés universitaires de façon générale, mais aussi à la disposition des décideurs et toutes les personnes qui sont intéressées par les résultats de la recherche. La question est intéressante, car l’on a l’impression que les universitaires font des recherches, mais ils ne trouvent rien. La réalité, c’est que beaucoup ne s’intéressent pas toujours à nos productions. Sinon, bien des cas, dans tous les domaines, le monde universitaire organise des colloques, des journées scientifiques, réalise des productions qui sont publiées, mais malheureusement, elles ne sont toujours pas portées à la connaissance du plus grand nombre de personnes.
S : Y a-t-il un profil spécifique pour les participants ?
F.G. : Non. Le colloque est ouvert. Le public premier, ce sont donc les anciens chercheurs qui relèvent du domaine des sciences de l’information et de la communication, les étudiants doctoraux qui sont dans le domaine des sciences de l’information et de la communication et aussi les professionnels qui ont une expérience de terrains, qui peuvent être associés pour partager leurs expériences avec nous. Nous pensons aussi aux collègues des autres disciplines parce que le champ des sciences de l’information et de la communication est un champ transversal. Vous trouvez à l’intérieur des sociologues, des psychologues, des linguistes, etc. Toutes ces personnes peuvent développer et présenter un sujet s’il est inscrit dans le cadre que nous avons défini.
S : Quelle invite vous faites à l’endroit des différents acteurs intéressés par ce colloque ?
F.G. : Il est vrai que dans l’organisation d’un colloque, il y a ceux qui manifestent un intérêt et qui viennent pour des présentations, mais il est ouvert au public à ceux qui sont intéressés aux discussions. Nous invitons tout le public à venir poser des questions, apporter aussi sa contribution pour enrichir le colloque.
Interview réalisée par Abdoulaye BALBONE