Compostage à Karangasso-Vigué : immersion dans l’unité de Alizèta Rouamba

Grâce aux partenaires, une broyeuse acquise facilite la fabrication de l’engrais organique chez Mme Rouamba.

La fabrication du compost n’a plus de secret pour Alizèta Rouamba, née Kaboré. Productrice à casquettes multiples, elle allie aussi bien les activités d’agriculture que d’élevage. A Kourémangafesso (province du Houet), sa ferme agricole, où est implantée son unité de compostage, est un cas d’école pour les chercheurs et de nombreux autres producteurs.

Des rafales de vent soufflent sur la commune rurale de Karangasso-Vigué, dans la province du Houet, région des Hauts-Bassins. Nous sommes au mois de février 2023, en pleine campagne sèche. En attendant la reprise des activités de la campagne humide, beaucoup de producteurs agricoles sont réduits au chômage technique. Il y en a, en revanche, qui sont sur d’autres fronts.

C’est le cas de Alizèta Rouamba, l’une des femmes battantes de la localité. Elle s’illustre aussi bien dans la transformation des arachides, la production du miel, l’élevage de la volaille et de petits ruminants que dans la fabrication du compost. Cette productrice hors pair, installée dans le village de Kourémangafesso, à une cinquantaine de kilomètres de Bobo-Dioulasso, se distingue surtout dans la fabrication des engrais organiques.

Elle est d’ailleurs la seule, aux dires du chef de service départemental en charge de l’agriculture de Karangasso-Vigué, Germain Neya, à disposer d’une unité semi-moderne de production du compost en continu et en grande quantité dans la commune. Cela fait sept ans que l’unité est sur pied, au cœur de la ferme agricole de Mme Rouamba. De ses explications, il ressort que l’idée du compostage est née à la suite d’un constat amer. Celui de la circulation d’engrais minéraux de mauvaise qualité sur le marché et des méfaits des produits chimiques sur la santé humaine.

Depuis que ces produits ont coûté la vie à son oncle, Alizèta Rouamba a décidé de se lancer dans la production purement biologique. La fabrication des engrais organiques était devenue un impératif pour elle. Mais cela passe d’abord par une formation en la matière. A

De la matière organique en décomposition sous des polyéthylènes.

cet effet, elle relève que sa première formation à la production du compost a été financée par son époux à hauteur de 400 mille FCFA CFA.

Une formation qu’elle a dû compléter par d’autres afin de renforcer ses capacités et être opérationnelle. C’est nantie de ces connaissances qu’elle va débuter ce qui va devenir plus tard sa passion, c’est-à-dire le compostage. Aujourd’hui, la production des engrais organiques n’a plus de secret pour Alizèta Rouamba. Elle s’est même muée en formatrice dans le domaine.

Pas de mévente

Avec le soutien des partenaires, son unité dispose d’un broyeur et plusieurs autres équipements. Dix-neuf personnes, notamment des membres de la Coopérative des entrepreneurs agricoles de Kourémangafesso (CEAK) dont elle est la présidente, y travaillent au grand bonheur des clients. Ce 14 février 2023, de la poudre de compost non encore prête est étalée sous un des hangars de l’unité.

Cette poudre, issue de la décomposition des matières organiques, doit encore être remuée pendant quelques jours avant qu’elle ne soit mature. Selon la présidente de la CEAK, les éléments entrant dans la fabrication du compost sont tous des matériaux locaux. Entre autres, la fiente des animaux sauf pour l’âne, les herbes, la balle de riz, la mélasse, la levure de canne à sucre, la terre argileuse (termitière), le charbon et le son des céréales.

Selon le type de compost voulu, souligne-t-elle, l’engrais peut être prêt en deux semaines ou 60 jours. Quant à l’engrais foliaire, qui est liquide, il s’obtient en 21 jours. Sur le site, des tas de terre argileuse, de bouse de vache, de paille… sont en attente d’être introduits dans la chaîne de production. Sous un arbre (néré), gisent d’autres tas de mélasse en décomposition et couverts de polyéthylène noire. Ici, on produit sous commande.

Conditionné dans des sacs de 50 kg, l’engrais organique de Mme Rouamba ne connait pas de problème d’écoulement. Très prisé par les producteurs agricoles, il va même au-delà des frontières burkinabè. « Depuis que nous avons commencé, nous n’avons jamais eu de stock restant. Notre engrais va jusqu’au Mali. Nous n’arrivons même pas à satisfaire toutes les commandes », se réjouit-elle.

Dans une maisonnette, des sacs de compost sont empilés les uns sur les autres. Il s’agit d’une commande d’un client qui attend d’être livrée, nous renseigne la productrice-modèle. Le sac d’engrais se négocie au prix de 8 000 F CFA. Ce prix a été révisé cette année sinon, il était de 5 000 F CFA les années antérieures. A écouter la responsable de l’unité, cette révision est consécutive à la hausse des prix de toutes les matières premières. Elle en veut pour preuve, le coût du sac de la fiente qui passe de 1 250 à 2 500 F CFA, le carton de la levure de canne à sucre de 19 000 à près de 30 000 F CFA ou la main-d’œuvre qui passe de 1 000 à 1 500 F CFA, sans oublier le transport et les autres charges.

Ces sacs d’engrais organiques sont déjà achetés par un client.

Toutefois, des faveurs sont accordées aux membres de la coopérative et aux habitants du village à qui le sac de compost est cédé à 6 000 F CFA. En l’espace de deux semaines, l’unité peut se retrouver avec 20 tonnes environ d’engrais produites. « Parfois, par campagne, on peut produire 163 tonnes d’engrais. De temps en temps, la fiente fait défaut, sinon les autres éléments sont disponibles à toutes les périodes de l’année », informe Alizèta.

De l’engouement autour du compost

Concernant la qualité de son engrais, elle dit ne pas en douter. Puisque le produit a été testé pendant trois ans sur des parcelles-témoins avant d’être mis sur le marché. De nos jours, l’engouement des producteurs autour du compost est de plus en plus visible. A Karangasso-Vigué, informe M. Neya, beaucoup sont revenus au compost à travers des fosses fumières, après que les prix des engrais minéraux ont connu une hausse vertigineuse ces deux dernières années.

Au-delà de ces fosses, les agents d’agriculture conseillent le compostage en tas, une technique qui consiste à recouvrir les matières organiques au sol avec des bâches et qu’on mélange pour obtenir le compost. Ce produit est conditionné dans des sacs pour être utilisé en campagne humide. Germain Neya reconnait la pénibilité de la production des engrais organiques qui nécessite la disponibilité permanente de l’eau.

D’ailleurs, c’est là où le bât blesse dans l’unité de Mme Rouamba. A défaut du forage tant souhaité, elle se contente pour le moment d’un puits à margelle. Les bienfaits des engrais

Un tas de compost presque prêt dans l’unité de Alizèta Rouamba.

organiques sur le sol et les cultures ne sont plus à démontrer. M. Neya estime qu’un sol sans compost n’est pas viable. « Si on applique de l’engrais minéral (NPK ou urée) sur un sol sans matière organique, il va être lessivé et emporté ailleurs par les eaux de pluie. Le compost est la base de tout dans la production agricole », se convainc-t-il.

 

Et Mme Rouamba de renchérir que les engrais organiques contribuent efficacement à restaurer les sols. Pour étayer ses propos, elle témoigne : « Depuis que nous avons commencé à appliquer le compost dans notre champ, beaucoup de plantes ont réapparu et des femmes viennent cueillir les feuilles pour la sauce. En outre, nos rendements ont connu une augmentation ». Dans les jours à venir, la production du compost sera fortement appuyée dans la commune de Karangasso-Vigué. Car, selon Germain Neya, des partenaires envisagent d’installer des micro- unités de compostage dans d’autres villages pour une production sans discontinuer.

Mady KABRE