Marché de bétail de Léo : prise de bec avec un producteur autour de la défécation

Les usagers du marché n’ont aucun respect sur les règles d’hygiène.

Un producteur modèle installé au secteur 5 de Léo, dans la Sissili, région du Centre-Ouest, est en conflit avec les acteurs du marché de bétail. A l’origine de leur discorde, une affaire de défécation dans une ferme agricole mettant en cause les usagers du marché. Des dégâts enregistrés par le fermier à la suite d’un constat du ministère en charge de l’agriculture ont été évalués à plus de 4 millions F CFA. Nous y avons fait le tour un jour de marché pour mieux appréhender l’ampleur du phénomène. Reportage.

Au secteur 5 de la ville de Léo, sur l’axe menant à la frontière du Ghana, une infrastructure marchande, flambant neuve, attire le regard. L’espace qui l’abrite est délimité par des barres de fer avec des enclos, des bureaux et des hangars à l’intérieur. Deux latrines, l’une à deux portes et l’autre à quatre, se trouvent à l’arrière de la clôture. C’est le marché de bétail de Léo, un joyau mis en service en mars 2021.

Des parkings érigés à la sauvette sous les arbres servent à sécuriser les engins. Des mobylettes, des tricycles et des camions y sont garés pêle-mêle. Eleveurs, acheteurs et intermédiaires, venus de divers horizons, ont investi très tôt les lieux. Les gérants de gargotes et les tabliers ne sont pas également en reste. Aujourd’hui, 10 mars 2023, c’est un rendez-vous d’affaires. Volaille, petits et gros ruminants y sont convoyés par dizaines dans des tricycles, des camions ou par des bergers à travers la brousse.

Pas la moindre compassion à l’égard de ces bêtes. Les pattes attachées avec des cordes, des chèvres se débattent, se tordent de douleur, sous le regard indifférent de leurs propriétaires. Les bêlements, les beuglements et les braiments se mêlent au brouhaha des marchandages. Les hommes et les animaux se disputent l’espace, se côtoient, s’affrontent souvent. Un taureau attaché à un tronc d’arbre se déchaine contre son propriétaire.

Alassane Sawadogo, agent d’agriculture : « En plus de la défécation, le champ d’Anasse Yago est devenu une piste
à bétail ».

La foule agglutinée à son chevet parvient à le maîtriser. Ce qui semble être le quotidien des marchands donne parfois des sueurs froides. Les affaires se nouent à la cadence des coups de sabots et de cornes. Les cris des animaux retentissent aussi forts que la colère qui les anime. La chaleur est brûlante. Les marchands tiennent le coup. Dans les restaurants, les bonnes odeurs des repas chatouillent les narines du visiteur.Les uns dégustent leurs plats sur place, les autres emportent les leurs dans des sachets plastiques qu’ils vont consommer sous les arbres.

Contraints de ramasser leurs cacas

L’accès au marché est libre. Aucun contrôle à l’entrée. Les policiers municipaux qui assuraient la sécurité ont été priés de partir. Mais les contrôles inopinés se poursuivent toujours. Ilias Diasso est le président du Comité de gestion (COGES) du marché. Il ne souhaite plus les voir sur les lieux.

« Certains usagers du marché ne sont pas habitués aux hommes de tenue et une fois qu’ils les voient, ils sont paniqués », soutient-il. Derrière le parc, des sachets plastiques qui ont servi à emballer les repas jonchent le sol. Pourvu qu’ils ne se retrouvent pas dans la panse des animaux. Leur indigestion peut entrainer des morts. Pas très loin de là, un homme ayant escaladé le mur du parc déboutonne son pantalon et se soulage dans les herbes. De cette manière, il peut économiser dans la journée 50 F CFA, le montant requis pour avoir accès aux toilettes.

Juste devant, une exploitation agricole aiguise les appétits des usagers du marché. C’est là-bas que la plupart font leurs besoins, leurs ablutions ou les deux à la fois, à l’abri des regards indiscrets. La ferme est devenue par la force des choses un lieu d’aisance. Les gens y défilent. Un homme accourt vers cet endroit idéal pour « se libérer ». Il trouve un bon coin sous un anacardier. Anasse Yago, le propriétaire de la ferme qui a tout suivi, le surprend dans le feu de l’action.

D’un air déplaisant, il se leva précipitamment et enfila son pantalon. A ses pieds, gît un tas d’excréments frais. Les odeurs fétides qu’ils dégagent rendent l’air irrespirable. Les mouches s’offrent un bon festin tandis que l’auteur est soumis à un interrogatoire. Un autre tente de se dérober du regard du fermier. Lui aussi est venu pour la même cause. Il avait apporté un sachet d’eau pour se rincer mais le temps et les circonstances ne lui ont pas permis. Il est obligé de l’utiliser pour étancher sa soif.

Le producteur Yago assimile son acte à de la provocation. Juste à côté, les plantes de manioc et les herbes sont en train de bouger. L’hypothèse du vent est vite écartée, puisque le mouvement est confiné à un endroit bien donné. Le producteur garde un œil en ce lieu tout en continuant à questionner le fautif pour savoir les mobiles déterminants de son acte. Le suspect responsable des mouvements des plantes et des herbes se dévoile enfin. Un homme en culotte, surgit de la broussaille, avec une bouilloire à la main droite, le pantalon et les chaussures à la main gauche.

Bonnet blanc bien coiffé sur la tête, l’homme se comporte en terrain conquis. Pour être vraiment à l’aise, il a ôté les vêtements qu’il juge encombrants. Les « patrouilles » à l’intérieur de la ferme se poursuivent néanmoins dans l’espoir de dénicher d’autres contrevenants. Un homme planqué sous un anacardier est repéré. Il se nomme Boukari Tiendrébéogo, un commerçant de bétail venu de Ouagadougou.

Boukari Tiendrébéogo est en train de déféquer
à l’air libre, dans la ferme de M. Yago.

Le pantalon abaissé jusqu’aux genoux, il est pris en embuscade par le fermier pendant que son anus est en train de « cracher » des selles saumâtres. Il se releva brusquement, redressa son pantalon et implora la clémence du producteur. « Pardonne-moi, pardonne-moi, je ne vais plus recommencer », supplie-t-il. Tout naturellement, Anasse Yago accepte le laisser partir, mais pas avant qu’il n’ait ramassé son caca. Boukari s’exécute sans broncher.

A l’aide de ses deux mains, il recueille les excréments dans un sachet noir et disparaît avec. Jusque-là, nous n’avons rencontré que des hommes. Ils battent le record en la matière. Mais les femmes sont bel et bien présentes. Deux d’entre elles ont été prises la main dans le sac. La plus jeune du nom de Wendinmi, est surprise dans le champ du manioc. Elle se fit remonter les bretelles par le responsable de la ferme avant d’être sommée de ramasser ses excréments.

L’expérience a tourné à l’humiliation pour la jeune dame qui se mit à recueillir les excréments dans ses mains. Puis après, elle détale sans demander ses restes. « Allez-y les jeter dans les toilettes », recommande le producteur à ses hôtes. Un autre homme est trahi par le bruit d’un pet alors qu’il était camouflé dans les herbes de la ferme. Il est vite extirpé de sa cachette et renvoyé chez les siens, les excréments avec. La tête baissée, il grommela, toute honte bue. « Je voulais aller dans les toilettes mais je n’ai pas d’argent », se justifie-t-il.

La Sissili est la première province au Burkina à célébrer la fin de la défécation à l’air libre. Il est vrai que le chef-lieu de province n’a pas été pris en compte dans la mise en œuvre de ce projet. Mais curieux que cela puisse paraître que cette pratique soit l’élément déclencheur d’un conflit entre un agriculteur et des éleveurs à Léo. Mahamoudou Sankara est quant à lui, venu de Bia, une commune rurale de la Sissili qui a réussi à vaincre la défécation à l’air libre.

Le président du COGES, Ilias Diasso : « Si on avait les moyens,on allait l’aider avec un grillage ».

Son acte a encore interrogé le producteur sur les acquis de ce projet célébré en grande pompe à Léo. Cette pratique le détourne peu à peu de son objectif, car il n’arrive plus à travailler le jour du marché. M. Yago affirme avoir grandi dans cette ferme au sein de laquelle il a construit sa vie au prix d’énormes sacrifices. Son domaine s’étend sur 25 ha dont 12 sont clôturés avec des barbelés, lesquels ont été détruits par les usagers du marché. Deux châteaux d’eau alimentés par des plaques solaires y ont été réalisés.

Ce sont au total 9 spéculations qui y sont produites chaque année, informe Alassane Sawadogo, chef de service des productions et des aménagements, assurant l’intérim du directeur provincial en charge de l’agriculture de la Sissili. Dans le cadre de leurs travaux, des chercheurs, des stagiaires et des étudiants se rendent régulièrement dans ce site.

2 ha de manioc passés par pertes et profits

L’impact négatif de la défécation sur les cultures est visible. Des pieds de manioc se meurent. Quelques-uns résistent encore. Le champ, visiblement à l’abandon et envahi par de hautes herbes, est devenu un refuge pour les adeptes de la défécation. « J’ai perdu deux hectares de manioc à cause de cette mauvaise pratique », soutient Anasse Yago. De nos jours, il envisage de raser complètement ce champ de tubercules afin de libérer de l’espace pour d’autres spéculations.

Des experts révèlent que le manioc est un tubercule très exigeant quant aux respects des règles d’hygiène. « C’est une spéculation qui n’aime pas les saletés. Un tubercule souillé par les excréments se lignifie, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de chair et il devient dur et impropre à la consommation », déclare M. Sawadogo. En faisant le tour de la ferme, le visiteur est intrigué par des restes de volaille morte, disséminés un peu partout. Le producteur parle d’une centaine de pintades, 80 poulets, 4 oies et des canards. Anasse Yago pointe du doigt la défécation.

« Ce sont les effets néfastes de cette pratique qui sont à la base de ces morts », lâche-t-il. De ses explications, les pertes de volaille ont commencé lorsque la ferme a été prise en étau entre défécation humaine et divagation d’animaux. Les relations de bon voisinage ont été entamées. Les deux parties se regardent désormais en chiens de faïence. « La cohabitation avec le marché est très mauvaise. Je fais tout pour être un bon voisin mais le comportement des usagers du marché démontre le contraire.

Ils ont détruit ma clôture, se couchent dans ma ferme, y parquent leurs engins et défèquent », résume Anasse Yago, amer. En quête de pâturage, les animaux qui s’échappent du marché s’introduisent dans sa ferme et causent des dégâts. « Le champ est devenu une piste à bétail. Le producteur ne dort même plus la nuit », martèle Alassane Sawadogo. Le président du COGES, Ilias Diasso, déplore cette situation tout en se défendant que les usagers du marché ne l’ont pas fait à dessein.

A l’écouter, les animaux ne sont pas habitués à voir du monde, ce qui peut les révolter. Si bien que ceux qui arrivent à s’échapper pénètrent dans le champ avoisinant. « Il ne veut pas qu’on traverse son champ pour attraper nos animaux. Si on avait les moyens, on allait l’aider avec un grillage », souligne-t-il. A en croire Alassane Sawadogo, le producteur doit désormais mener le combat sur deux fronts, à savoir d’une part, lutter contre la divagation des animaux et de l’autre, empêcher la défécation humaine.

Des démarches entreprises pour rencontrer le comité de gestion n’ont pas abouti. « Le comité ne veut pas me recevoir. C’est un manque de respect à mon égard », déplore Anasse Yago. Bon an mal an, le COGES s’est saisi du dossier. Son président, Ilias Diasso, dit avoir initié des actions de sensibilisation à l’endroit des usagers du marché. L’objectif selon lui, étant de promouvoir les bonnes pratiques d’hygiène en vue de mettre fin à la défécation à l’air libre. « Nous avons des toilettes qui fonctionnent. Il n’y pas de raison que des gens les contournent pour aller déféquer dans la nature.

C’est pourquoi nous leur avons demandé d’abandonner cette pratique car, cela y va de la préservation de leur santé et de celle de la communauté », dit-il. Les actions de sensibilisation n’ayant pas produit les effets escomptés, le COGES est une fois de plus interpellé. Pour ce faire, il s’est attaché les services des koglwéogo de Léo pour restaurer l’ordre et la discipline. Des amendes ont été imposées aux contrevenants. Après une année d’activité, la milice locale n’est pas parvenue à endiguer le phénomène.

De ces échecs répétés, le chef de canton de Léo, Paul Yago ,en tire des leçons. D’après lui, deux raisons expliquent la persistance du phénomène. La première est que le marché est généralement fréquenté par de nouvelles personnes qui ne sont pas censées connaître ses règles de fonctionnement. La deuxième raison est que certains usagers ne sont pas habitués aux toilettes. « Ces individus estiment que déféquer dans des toilettes c’est dégueulasse, c’est emmerdant », rapporte le chef coutumier. Embouchant la même trompette, Ilias Diasso ajoute qu’il n’y a pas d’alternative en dehors de la clôture.

Le Haut-commissaire propose que les taxes collectées au marché soient utilisées pour dédommager le producteur.

Un point de vue largement partagé par Alassane Sawadogo qui affirme : « La solution, c’est la clôture. Il faut sécuriser son exploitation. J’ai écrit l’un de ses projets. Si ça marche, on pourrait clôturer son champ ». Le comité de gestion a déjà fait un geste dans ce sens en lui remettant une enveloppe de 100 000 F CFA. « Il est parti montrer l’argent à la mairie en se demandant ce qu’il va faire avec cette somme, alors qu’il a subi des dégâts qui ont été évalués à coup de millions F CFA.

Nous lui avons fait savoir que ce n’est pas un dédommagement mais un simple soutien », précise M. Diasso. Qu’à cela ne tienne, le climat n’est plus serein. Djadié Barry, également membre du comité de gestion, exhorte les deux parties à privilégier le dialogue dans le règlement de ce conflit. « Nous reconnaissons nos torts et demandons pardon au producteur », note-t-il.

Des dégâts évalués à plus de 4 millions F CFA

Des dégâts ont été causés aussi bien par l’action anthropique que par les animaux. Par manque d’aliments pour bétail sur le site, reconnait Ilias Diasso, les propriétaires des animaux sont obligés de les laisser en pâture en brousse. Au cours du mois d’avril 2021, soit quelques semaines après l’inauguration du marché, Anasse Yago enregistrait ses premières pertes à la suite de l’intrusion des animaux dans sa ferme. Il avait déposé une plainte et exigé un constat. Le processus suivait son cours normal lorsqu’il a été interrompu par le préfet de Léo qui proposait un règlement à l’amiable.

Anasse dit avoir accepté de retirer sa plainte, sauf que ce règlement n’a jamais eu lieu. Le dossier étant bien connu au ministère en charge de l’agriculture, le Secrétaire général (SG), après réception des rapports y relatifs, exige une évaluation. Retour donc à la case départ. « Je suis reparti à nouveau prendre la réquisition qui m’a coûté encore 25 000 F CFA », rappelle Anasse Yago.

Pour des dégâts causés en avril, ce n’est que le 21 août 2021 que le constat a été fait. Certains indices avaient déjà disparu. L’équipe technique les a ignorés dans l’évaluation. Cette équipe était composée de Souleymane Congo, chef de Zone d’appui technique (ZAT), Nabaka Da, chef de Zone d’appui technique de l’élevage (ZATE) et de Mamadou Zoungrana, chef de service départemental en charge de l’environnement.

Détruit par la défécation, ce champ de manioc sert de refuge aux adeptes de cette pratique.

L’évaluation a été faite sur la base des prix actuels sur le marché local. Le procès-verbal de constat établi le 7 septembre 2021 fait ressortir un montant de 4 185 000 F CFA, y compris les frais de carburant (22500F CFA) payés par le plaignant. Anasse Yago estime que ses pertes ont été sous-évaluées. Mais le véritable problème qui se pose est qu’aucune structure ne veut endosser la responsabilité du dédommagement. Le directeur provincial en charge des ressources animales, Roger Zoungrana, conseille au plaignant de saisir la justice.

« A cause de ce champ, on a fermé la porte du marché qui se situe au côté nord. Si avec le comité de gestion, le règlement n’est pas clair, la voie judiciaire serait encouragée », avance-t-il. Le marché de bétail rapporte environ 6 millions F CFA par an à la commune. Pour le haut-commissaire de la province de la Sissili, Tewendé Isaac Sia, une partie de ces fonds peut être utilisée pour dédommager le producteur. Le président de la délégation spéciale de Léo, Kassoum Koalaga, dit ne pas être au courant de cette affaire.

Affaire donc à suivre.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

Omichel20@gmail.com