Offensive agropastorale: le pain à base du blé burkinabè, bientôt une réalité

Le chercheur, Dr Jacob Sanou, faisant découvrir deux types de blé : tendre pour la fabrication du pain et dur pour le couscous.

Dans le cadre de l’offensive agropastorale et halieutique 2023-2025, le ministère en charge de l’agriculture ambitionne relancer la production du blé à grande échelle au Burkina Faso. L’objectif étant de combler les besoins de consommation des populations et de lever la dépendance du pays vis-à-vis de l’importation de cette céréale.

Ce jeudi 19 octobre 2023, la salle de réunion de l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA) de Farako-Bâ, à Bobo-Dioulasso, région des Hauts-Bassins, est archicomble. Sur l’initiative de la structure de recherches, des acteurs du monde agricole, issus de divers horizons du Burkina Faso, sont venus acquérir et ou renforcer leurs connaissances en matière de production de blé.

Pour le sélectionneur de plantes, Dr Abdallah Dao, cette formation est la suite d’une série d’activités déjà menées par l’INERA dans le cadre de la production du blé dans le pays. A cet effet, dix tonnes de semences de base de blé sont déjà produites par les chercheurs durant la campagne 2022-2023, à la suite d’un accord signé avec le ministère en charge de l’agriculture. Par cette production de semences et ce renforcement de capacités, l’INERA/Farako-Bâ est en plein dans les préparatifs de l’offensive agropastorale et halieutique 2023-2025, pilotée par le ministère de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques.

Parmi les huit filières stratégiques retenues pour aller à cette offensive, figure en bonne

Du blé en expérimentation dans des pots à la station de l’INERA/Farako-Bâ.

place le blé. Spéculation dont la production est toujours au stade embryonnaire au Burkina, le ministère ambitionne en emblaver 1 500 hectares sur les périmètres irrigués de Samendéni, dans la province du Houet. Pour y arriver, l’implication de tous les acteurs s’avère une condition sine qua non. Les chercheurs, eux, ont déjà mis le pied à l’étrier. A écouter le responsable de la section maïs-blé-plantes émergentes de l’INERA/Farako-Bâ, Dr Jacob Sanou, qui a passé près de 40 ans à travailler sur la semence de blé, personne ne croyait à la réussite de la production de cette spéculation dans un pays sahélien comme le Burkina.

Des débuts difficiles

Puisque, selon lui, les premières tentatives de production intervenues entre 1975 et 1980 se sont soldées par un échec. Cela n’a pas, pour autant, émoussé la détermination du maître de recherche en agronomie, génétique et amélioration des plantes, qui rebelote en 1986 dans cette production. Mais que nenni ! «De 1986 à 1992, les efforts que nous avons faits n’ont pas porté, parce que produire du blé au sahel, personne n’y croyait. Beaucoup se disaient que c’est une culture pour les pays riches et que nous n’avons pas les moyens », relate Dr Sanou.

Ses efforts vont finalement payer en 1992 où, profitant du programme maïs, il y intègre le blé. Car, à l’entendre, ces deux plantes sont assez complémentaires. « Le maïs est allogame. On fait beaucoup d’efforts pour l’améliorer, alors que le blé est autogame, pouvant s’autoféconder. Quand on fait le croisement, le reste devient facile », détaille le chercheur de l’INERA. Il indique par ailleurs qu’en collaboration avec la FAO et le Maroc, son programme de recherche variétale sur le blé a pu introduire cinq variétés de cette culture au Burkina.

Et d’ajouter qu’une sixième variété a été trouvée par la suite, au fil de la recherche. Pour réussir la production du blé, Dr Jacob Sanou déconseille la saison pluvieuse qui n’est pas propice mais plutôt la période fraîche allant de novembre à février. « Pendant l’hivernage, la production du blé ne marche pas. Autrement dit, il fait juste de la paille », tranche-t-il. Pour ce qui concerne les lieux de production, il assure que le blé peut être emblavé sur tout type de terrain.

Toutefois, prévient le généticien, certains terrains très hydromorphes et très argileux où l’eau stagne, vont nécessiter un léger aménagement. « Pour les terrains très argileux, il faut apporter du sable et pour les sols très sableux, il faut de l’argile. Nous avons la chance d’avoir tous ces types de terrains au Burkina, mais la majeure partie des sols sont des endroits où on peut cultiver le blé. Pour simplifier, un terrain où vous pouvez cultiver du maïs, vous pouvez aussi y cultiver du blé », explique le sélectionneur du blé. Quant aux rendements du blé, Dr Sanou soutient qu’ils vont de 4 à 7 tonnes à l’hectare, avec un cycle variant de 80 à 90 jours.

Deux variétés en multiplication

Avec ces variétés de blé, le Burkina compte réduire sa dépendance
vis-à-vis de l’importation.

Wader, Kanz, Ntestigo, Achtar et Nadi sont, entre autres, les variétés de blé retenues pour la production à grande échelle au Burkina Faso. Car, de l’avis de Dr Jacob Sanou, elles sont celles dont les semences sont accessibles. Parmi ces variétés, deux, à savoir Kanz (90 jours) et Achtar (80 jours), ont fait l’objet de multiplication cette année sur quelques hectares à Farako-Bâ.

« Les semences de ces deux variétés sont disponibles et c’est sur elles qu’on va lancer la production du blé au Burkina », informe le maître de recherche en agronomie. Toutes ces actions entrent en droite ligne des objectifs fixés par l’offensive agropastorale et halieutique. En la matière, Dr Sanou relève que le ministère en charge de l’agriculture a déjà doté les chercheurs de moyens pour la multiplication des semences de blé en 2023. « Effectivement, on a mis les variétés Achtar et Kanz en multiplication, non seulement dans nos stations pour les semences de pré-base, mais auprès de certains multiplicateurs pour produire les semences de base », affirme-t-il.

C’est pourquoi, la formation du 19 octobre a été initiée à l’intention des producteurs de blé de consommation et des semences. «Toutes ces personnes en salle sont intéressées à faire la production de consommation et aussi la production de semences. Ce n’est qu’un échantillon, sinon beaucoup sont intéressés par la culture du blé », confie Dr Abdallah Dao, au regard de l’engouement des participants pour la formation. Honoré Tankoano fait partie de ces passionnés de la culture du blé, venus renforcer leurs capacités en la matière à Farako-Bâ.

Promoteur de l’entreprise agricole Sala monde rural (SMR), basée au secteur 5 de Bobo-Dioulasso, il est spécialisé dans la production des semences de maïs (hybride comme composite), de riz, des légumineuses, etc. Et depuis 2020, il a décidé d’ajouter une autre corde à son arc à travers la production de blé. M. Tankoano dit avoir déjà quelques notions sur le blé et cette formation qui, pour lui, vient à point nommé, va l’aider à être davantage performant.

Tout en s’estimant prêt pour accompagner l’offensive agropastorale, il salue cette initiative qui va permettre au Burkina Faso de se soustraire de sa forte dépendance du blé importé. Sa coparticipante, Djamila Zagré/Guiré, est dans la même dynamique de soutien à la production du blé. Gérante de l’Agence pour la promotion des produits agricoles, elle compte développer la culture du blé de consommation et de la semence dans les communes rurales de Pabré, Koubri, Tanghin-Dassouri et Bagré.

L’écoulement, une préoccupation

Le promoteur de SMR, Honoré Tankoano, souhaite la création d’un fonds de soutien à la culture du blé.

préoccupation A l’entendre, les superficies à emblaver vont dépendre de la disponibilité de la semence de blé. « Si la semence est disponible, nous pouvons emblaver entre 200 et 500 hectares comme nous le faisons déjà pour le riz », promet Mme Zagré. Dès le retour à son agence, elle promet aussi de partager les connaissances acquises avec les autres membres en vue de leur implémentation.

Déjà, les futurs producteurs de blé pensent à la création d’une filière pour mieux s’organiser. « Avec les autres participants, nous allons mener la réflexion dans le sens de créer une structure formelle avec laquelle l’Etat peut échanger », informe Honoré Tankoano. Même si les acteurs se disent prêts à s’engager pour la production du blé, des appréhensions demeurent malgré tout. Beaucoup s’inquiètent déjà pour l’écoulement de leurs produits. « En fait, c’est là-bas le vrai problème.

Mobiliser les gens, les former, les doter de compétences, c’est facile. Mais, il faut toujours commencer par le marché, car c’est lui qui doit tirer la production vers le haut », suggère le promoteur de SMR. C’est pourquoi, il souhaite l’implication du politique en vue d’inciter les transformateurs à accorder la priorité au blé local. A ce niveau, le Directeur régional (DR) en charge de l’agriculture des Hauts-Bassins, Eric Pascal Adanabou, rassure que son ministère ne ménagera aucun effort pour accompagner les producteurs dans la mise en œuvre de l’offensive agropastorale et halieutique.

Mieux, indique-t-il, l’offensive est déjà en marche dans toute la région des Hauts-Bassins, à travers des actions de sensibilisation, d’aménagement ou de production. Pour le cas spécifique du blé, M. Adanabou rappelle que sa région a déjà une petite expérience, parce que cette culture s’y pratiquait, même si ce n’est pas à grande échelle. Ce qui est un atout, selon lui. A cet effet, il dit compter sur les périmètres irrigués de Samendéni où 1 500 hectares sont prévus pour la production du blé, dans le cadre de l’offensive agropastorale. L’accompagnement des acteurs privés n’est pas non plus en reste. Plus de 24 milliards F CFA seront mobilisés pour cette production à l’horizon 2025.

Mady KABRE

dykabre@yahoo.fr