Le Centre national de presse Norbert- Zongo (CNP-NZ) a organisé, le vendredi 25 février 2022 à Ouagadougou, une conférence publique sur le thème : « L’état de la corruption, la situation nationale et le débat sur la constitutionnalité du nouveau pouvoir ». Cette communication a été faite à l’occasion de la première session de l’année du « Club de presse » initié depuis 2020.
L’ancien Contrôleur général d’Etat, Luc Marius Ibriga, craint que les évolutions récentes de la situation nationale ne replongent le Burkina Faso dans une succession de coups d’Etat. L’ex-chef de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) l’a affirmé, le vendredi 25 février 2022 à Ouagadougou, au cours d’une conférence publique sur le thème : « L’état de la corruption, la situation nationale et le débat sur la constitutionnalité du nouveau pouvoir ».
Cette communication faite dans le cadre de la première session de l’année du « Club de presse » initiée par le Centre national de presse Norbert-Zongo (CNP-NZ) a concerné deux grandes thématiques : la situation nationale et la corruption au pays des Hommes intègres. Concernant l’avènement du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) dont les animateurs disent avoir pris leur responsabilité en mettant fin au régime de Roch Marc Christian Kaboré, M. Ibriga a, à l’entame de ses propos sur la situation nationale, relevé que la responsabilité des militaires n’est pas de conquérir le pouvoir d’Etat mais plutôt de défendre l’intégrité du territoire national et d’empêcher les putschs au Burkina.
L’ancien Contrôleur général d’Etat a aussi indiqué que la prestation de serment du président du MPSR, Paul-Henri Sandaogo Damiba, n’avait pas sa raison d’être sur le plan juridique, car la prestation de serment n’est pas une cérémonie à part. « La Constitution ne connait que l’investiture du chef de l’Etat. Au cours de l’investiture, il y a plusieurs phases dont la prestation de serment et la remise de la déclaration de biens », a-t-il précisé. A son avis, le président qui a prêté serment est arrivé en la faveur d’un coup d’Etat qui n’existe pas dans la loi fondamentale comme mode d’accession au pouvoir.
La Constitution suspendue étant établie, a-t-il poursuivi, il appartenait au Conseil constitutionnel de considérer qu’il n’avait pas la possibilité de consacrer cette prestation de serment, mais de constater la vacance du pouvoir. Pour M. Ibriga, après cette étape et compte tenu de l’état de nécessité de la continuité de l’Etat, les juges constitutionnels devraient par la suite prendre acte du pouvoir de fait et appeler les forces vives à doter le pays d’une charte transitoire.
« Une fois cette charte adoptée, on pourrait avoir une investiture. Etant donné qu’il a déjà prêté serment de respecter la Constitution et l’acte fondamental, va-t-il encore prêter serment au moment de l’investiture ? Sinon, il prendra des libertés vis-à-vis de la charte », a expliqué l’homme de droit. A écouter M. Ibriga, cette prestation de serment a été l’occasion pour le MPSR de diviser son crédit confiance par deux.
« Les populations qui étaient dans une situation d’attentisme vigilant sont passées à une attitude critique lorsque les membres du MPSR ont été présentés à la cérémonie. Elles ont commencé à dire que ce n’est pas par exaspération que les gens ont pris le pouvoir, mais il s’agit bel et bien d’un complot préparé », a-t-il confié puis de conclure que le risque est de voir le pays replonger dans la « complotite avec une succession de coups d’Etat ».
Une corruption systémique
Concernant le second point de sa communication, Luc Marius Ibriga a expliqué que les défis qui se présentent au MPSR sont, non seulement la question de l’insécurité, mais aussi la problématique de la bonne gouvernance, car les deux sont liées. A ce propos, il a indiqué que la corruption au Burkina Faso est à un niveau systémique.
A en croire l’ex-patron de l’ASCE-LC, au regard de l’évolution du phénomène, sans l’opération mains propres annoncée, elle aurait peut-être débouché sur une corruption institutionnalisée (où la culture de la corruption est installée) comme c’est le cas présentement au Cameroun. Pour M. Ibriga, il y a un paradoxe au Burkina dans la mesure où l’on constate une évolution de la corruption alors que le pays dispose d’infrastructures juridico-institutionnelles les plus en pointe.
« Le Burkina est cité en exemple par rapport aux structures institutionnelles publiques, mais aussi à cause de la force des organisations de la société civile dans le cadre de la lutte contre la corruption », a-t-il soutenu. Selon le conférencier, la loi 04 élaborée avec la persévérance du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) est une des lois les plus avancées même sur la Convention des Nations unies dans la mesure où elle introduit des concepts tels que l’introduction du délit d’apparence, le fait que les organisations de la société civile peuvent ester en justice et se constituer partie civile dans des affaires de corruption et la reconnaissance du statut d’officier judiciaire à l’ASCE-LC.
Malheureusement malgré ces avancées, l’homme de droit a regretté une efflorescence de la corruption. Les rapports du RENLAC et de Free-Afrik, a-t-il justifié, montrent qu’il y a une baisse de la corruption à partir de l’insurrection d’octobre 2014 jusqu’en 2016. Mais à partir de 2017, nous assistons à une montée progressive de la corruption qui atteint le niveau de ce qu’on avait au plus fort du régime Compaoré, a fait savoir M. Ibriga.
Pour lui, cette situation s’explique par l’impunité. Il en veut pour preuve l’exemple des fonctionnaires poursuivis pour corruption par la justice et qui continuaient d’occuper leurs fonctions au sein de l’administration comme c’est le cas du directeur adjoint de la Douane et du directeur de cabinet du chef de l’Etat. « Les dispositions de l’article 166 de la loi 081 sont très claires. Si un fonctionnaire est poursuivi en justice, il est obligatoirement suspendu », a-t-il martelé.
Pour lutter efficacement contre la corruption au Burkina Faso, l’ancien Contrôleur général d’Etat invite les autorités a affiché une réelle volonté politique en s’attaquant au fléau. La lutte contre la corruption suppose que les acteurs aient les moyens pour lutter contre le phénomène. « La corruption étant une infraction dissimulée, il est difficile de trouver les preuves sur la place publique, il faut des investigations pour remettre au juge des éléments probants qui permettent de condamner.
Les structures publiques ou privées de lutte contre la corruption n’ont pas les ressources nécessaires pour fonctionner », a-t-il confié. Il a aussi invité les gouvernants à prendre des décrets d’application pour résoudre la question de l’incomplétude des textes. « Les premiers décrets relatifs à la loi anti-corruption ont été adoptés en 2020 alors que la loi organique donnait un an au plus tard en février 2017 au gouvernement pour leur adoption. Si vous voulez anesthésier une loi, il suffit de ne pas adopter son décret d’application », a relevé Luc Marius Ibriga.
Abdoulaye BALBONE