Barrage hydro-agricole de Wavèssan : embrouillamini autour d’un aménagement de 20 ha

Ce barrage construit en 2013 n’est pas encore réceptionné.

Le Projet d’amélioration de la productivité agricole et de la sécurité alimentaire (PAPSA) avait entrepris, en 2019, d’aménager 20 ha de périmètres irrigués en aval du barrage de Wavèssan au secteur 5 de Léo, chef-lieu de la province de la Sissili. Mais sur le terrain, c’est la confusion totale. Certaines sources révèlent que les travaux ont été exécutés tandis que d’autres avancent le contraire. A notre passage, il n’y avait aucune trace d’aménagement sur le site. Constat.

La saison des pluies s’installe lentement mais sûrement dans la commune de Léo, chef-lieu de la province de la Sissili, région du Centre-Ouest. De part et d’autre de la route principale reliant cette ville frontalière du Ghana à la capitale Ouagadougou, la verdure reprend ses droits. Une pluie bienfaisante l’a arrosée la veille. Ce mardi 13 juin 2023, les agriculteurs apprêtent leurs tracteurs pour les travaux champêtres. Après avoir passé 9 mois au garage, ils sont conduits chez le mécano pour des réparations.

Quelques coups de marteau par-ci, un écrou par-là, et les voilà remis sur pied. Mais pour d’autres, des pièces de rechange s’imposent. Chez les jardiniers qui produisent généralement dans les basfonds, ce n’est pas la bonne ambiance. Il y en a qui font la grise mine de peur qu’une grosse pluie ne vienne inonder leurs champs. Au secteur 5 de la ville plus précisément au quartier Wavèssan, c’est une autre vie qui se mène autour du barrage. Cet ouvrage hydraulique construit en 2013 à hauteur d’un milliard F CFA se trouve dans un état de dégradation qui inquiète les producteurs.

La digue et le déversoir se portent mal. Çà et là, des fissures, voire des trous sont constatés. Pourtant, l’ouvrage n’a pas encore été réceptionné. Ce barrage de 2,5 millions de m3 d’eau est indispensable pour les activités agricoles de contre-saison. Ce poumon économique devrait être consolidé par l’aménagement en aval d’un périmètre irrigué de 20 ha à la faveur de la mise en œuvre du Projet d’amélioration de la productivité agricole et de la sécurité alimentaire (PAPSA). La maîtrise d’ouvrage déléguée est assurée par la Société nationale de l’aménagement des terres et de l’équipement rural (SONATER).

Aujourd’hui, ce projet est dans l’impasse, faute d’actions concrètes sur le terrain. Des exploitants agricoles, appâtés par les terres fertiles aux alentours de l’ouvrage, ont investi les lieux. Certains, désireux d’être plus proches de l’eau, la traquent jusqu’à son dernier retranchement. De cette manière, ils se sont finalement retrouvés dans le lit du barrage. La bande de servitude n’y échappe pas. Ces pratiques qui mettent en péril la survie de l’ouvrage en raison des risques liés à son ensablement sont certes, illégales mais tolérées. On peut y apercevoir des champs de maïs, de tubercules et autres cultures maraîchères.

21 ans avec 7 enfants en charge

Boureima Nignan, président du CUE de Wavèssan : « L’aménagement du périmètre irrigué est un échec ».

Joachin Ouédraogo, déplacé interne venu de Barsalogho, dans la région du Centre-Nord, transpire après un dur labeur. Profitant de l’eau du barrage, il a produit le maïs en campagne sèche. Le champ est arrosé à l’aide d’une motopompe installée au bord de l’eau. Il n’a reçu aucune dose d’engrais chimique car M. Ouédraogo n’en possède pas. Pour pallier cette difficulté, il s’est lancé à l’assaut des déjections d’animaux à travers la brousse.

Leurs effets dans la ferme sont visibles car la physionomie des plantes est relativement bonne. Ce champ de maïs a grignoté une partie de la bande de servitude mais notre producteur dit n’avoir pas le choix. Les premières pluies qui annoncent la campagne humide sont déjà au rendez-vous. Le producteur Ouédraogo l’affronte avec beaucoup de courage, vu qu’il n’a pas les reins solides pour financer sa production.

Les cultures ne nécessitant pas l’usage d’engrais chimiques sont prioritaires. Il s’active ainsi à élever des buttes, l’étape la plus difficile à franchir dans la mise en place d’un champ de patate douce. Il souhaite vivement être pris en compte dans la distribution des intrants agricoles. « J’ai des difficultés parce que les moyens font défaut », se lamente-t-il. Polygame et père de sept enfants avec en plus une fille adoptive qui gonfle davantage leur nombre, ce jeune producteur de 21 ans se voit porter sur ses frêles épaules, une lourde charge familiale.

A un jet de pierre de là, un autre producteur suffoque sous l’effet de la pénibilité des travaux champêtres. Il se nomme Nassouri Yago. Muni de sa houe, il aligne les buttes les unes après les autres. Ce travail harassant destiné à installer un champ de patate implique la force des muscles. Chose que ce « gros bras » ne semble pas manquer au regard de sa forte corpulence. Derrière lui, se dresse un champ de manioc déjà en maturité. L’échec d’un aménagement de 20 ha Des rares informations récoltées sur le dossier de Wavèssan, il nous revient que l’on n’est pas loin d’un échec.

C’est du moins la conviction du président du Comité des usagers de l’eau (CUE), Boureima Nignan. « L’aménagement des 20 ha est un échec », affirme-t-il. Dans les dédales de l’administration, pas la moindre trace du dossier Wavèssan. Des témoignages recueillis sur place, il est ressorti que la SONATER n’a pas daigné associer certains acteurs dans l’élaboration et la mise en œuvre du projet. Fabrice Kondé est le directeur provincial par intérim en charge de l’eau de la Sissili.

Il n’était pas à Léo au moment de la construction du barrage. Mieux, il explique que cet ouvrage hydraulique a été réalisé avant que la Sissili ne soit dotée d’une direction provinciale en charge de l’eau. M. Kondé estime néanmoins que les autorités locales et les bénéficiaires devaient être impliqués tout au long du processus afin de garantir une mise en œuvre réussie du projet. Même son de cloche à la direction provinciale en charge de l’agriculture de la Sissili.

Une partie de ce champ de maïs se retrouve dans la bande de servitude.

Alassane Sawadogo, chef de service des aménagements, assurant par ailleurs l’intérim du directeur provincial, laisse entendre qu’il n’est pas au courant de l’aménagement. « Je ne sais même pas quelle entreprise devait exécuter les travaux », lâche-t-il. Il rapporte en revanche que selon certaines indiscrétions, l’aménagement a été fait. Cependant, il s’interroge sur la qualité des travaux qui pourraient ne pas répondre aux attentes des bénéficiaires.

Le chef de Zone d’appui technique (ZAT) de Léo, Souleymane Congo, que l’on présente comme l’agent le plus renseigné du projet, abonde dans le même sens que M. Sawadogo. Il va plus loin en disant que l’aménagement des 20 ha est intervenu dans le cadre de la mise en œuvre du PAPSA. « L’entreprise avait commencé à terrasser les arbres puis après, elle a disparu », soutient-il. La population a également fait cas d’un autre aménagement qui ne figurait pas dans le plan initial et qui porte sur une superficie de 10 ha en amont du barrage.

C’est justement cet espace qui abrite les champs de Joachim Ouédraogo et de Nassouri Yago. Des propos également confirmés par le chef ZAT de Léo qui révèle que des travaux d’aménagement y avaient été entrepris, entre-temps, par la Direction des aménagements et du développement de l’irrigation (DADI). Cependant, à notre passage, aucune trace d’aménagement n’était visible sur le site. L’espace dédié à ce projet est occupé par des arbres et des herbes. Pas de système d’irrigation gravitaire, ni de parcelles de production, encore moins d’exploitants installés par le projet.

Dans le cadre de cet aménagement, deux groupes électrogènes dont le rôle était de pomper l’eau pour ramener dans les champs ont été installés au pied de la digue. Cerise sur le gâteau, ils n’ont jamais fonctionné et donnent l’impression d’être dans un état d’abandon total. « Quel gâchis !», s’exclame le président des usagers de l’eau, Boureima Nignan, à la vue de ces groupes couverts de poussière et rongés par la rouille.

« Nous avons été mis devant le fait accompli », s’agace Souleymane Congo. Et de poursuivre : « On ne sait pas pourquoi après la construction du barrage, les travaux se sont arrêtés ». Ce projet avait suscité au départ beaucoup d’espoir au sein de la population. Le moins que l’on puisse dire est que très peu d’informations le concernant sont accessibles. Boureima Nignan exhibe l’unique document du projet en sa possession. Il s’agit d’une copie d’un avis d’appel d’offres paru dans le journal « Le Quotidien » n°2482 du 7 janvier 2019.

Le document donne un aperçu global des réalisations prévues par le PAPSA dans plusieurs régions. De ce document, l’on apprend que les aménagements portent sur une superficie totale de 318 ha répartis dans sept régions et scindés en quatre lots. Le projet Wavèssan est donc une de ses composantes et est logé dans le premier lot qui regroupe également d’autres localités du Centre-Ouest, à savoir Lallé, Bogré et Lawenda. Le délai d’exécution des travaux est de cinq mois pour tous les lots. La SONATER qui assure la maîtrise d’ouvrage délégué s’est murée dans le silence. Les noms des entreprises qui ont obtenu le marché n’ont pas été dévoilés.

De la déception dans les rangs

Boukary Napon, habitant de Wavèssan, plaide pour le démarrage des travaux d’aménagement.

Pour le cas de Wavèssan, Souleymane Congo informe que « le marché aurait été attribué à l’Agence d’exécution des travaux eau et équipement rural (AGETER) ». En tout état de cause, l’aménagement des 20 ha reste une tache noire dans ce projet qui sème la confusion dans les esprits. Les bénéficiaires persistent et signent que les travaux n’ont pas été exécutés. Saïdou Bénao, habitant de Wavèssan et exploitant agricole autour du barrage, est sans voix.

La déception se lit également sur le visage des jeunes qui, en l’absence de terres aménagées à leur profit, s’adonnent à des pratiques qui mettent en péril la survie du barrage. « Nous n’avons aucun moyen de pression sur qui que ce soit pour le contraindre à quitter la bande de servitude. Si ces jeunes qui se débrouillent dans leurs activités deviennent subitement des désœuvrés, nous aurons toutes les peines du monde à respirer à cause de la recrudescence du vol », insiste Saïdou Bénao. Et d’ajouter : « Je reconnais qu’il est formellement interdit d’occuper la bande de servitude ou la cuvette, mais les gens n’ont pas le choix ».

Certains jeunes, soucieux de leur avenir, ont opté pour l’aventure. « Ils sont à la recherche d’un mieux-être au Ghana ou en Côte d’Ivoire », soutient Saïdou Bénao. Assis à même le sol, l’oreille bien tendue, Boukary Napon feint de ne rien entendre de nos conversations. Cet habitant de Wavèssan et propriétaire terrien, semble dépassé par les évènements. Il dit être impacté par le projet qui non seulement lui a retiré ses champs et ses vergers mais refuse de le dédommager. « J’ai tout perdu. Je suis sans force.

Je confie mon sort au bon Dieu », se lamente Boukary Napon. Amadou Bénao, autre habitant de Wavèssan, plaide pour la concrétisation de ce projet qui tient à cœur les populations de Léo. Un cri du cœur qui n’est peut-être pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Le Président de la délégation spéciale (PDS) de Léo, Kassoum Koalga, compte en effet organiser dans les prochains jours, une sortie de terrain avec des techniciens afin de mieux s’imprégner des réalités.

De retour au bureau, il verra dans quelle mesure on pourrait proposer des solutions appropriées. M. Koalga est plein d’initiatives car il a déjà résolu des équations similaires en réussissant, à la surprise générale, à mettre en marche des infrastructures communales jadis en souffrance. En s’inspirant de ce bel exemple, il est fort possible que le dossier Wavèssan connaisse une issue heureuse. Le service de l’agriculture a aussi pris les choses en main puisque le même dossier a été transmis au Projet d’appui régional pour l’irrigation au Sahel (PARIS). Le souhait de tous est qu’il aboutisse. Ce sera alors la fin du calvaire des habitants de Léo.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

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