Lutte contre les aflatoxines au Burkina : la recherche décontamine le maïs

De l’extérieur, le maïs est joli à voir mais bourré d’aflatoxine à l’intérieur.

Le maïs produit au Burkina Faso est souvent fortement contaminé par l’aflatoxine, une toxine produite par un groupe de champignons microscopiques (moisissures) appelés les Aspergillus de la section flavi dont Aspergillus flavus est la moisissure la plus fréquemment incriminée lorsqu’il y a contamination des céréales par l’aflatoxine.Dans ce groupe de moisissures, on retrouve aussi Aspergillus parasiticus, Aspergillus nomius… La prolifération des Aspergillus de la section flavi ainsi que la production des aflatoxines sont plus favorisées dans les pays aux conditions climatiques chaudes et humides (Pays africains, Asie du Sud et Amérique du Sud).

L’aflatoxine est source de cancer de foie, d’affaiblissement du système immunitaire, de retard de croissance chez l’enfant… Il est cependant possible de nos jours de produire du maïs sans aflatoxine ou de décontaminer le maïs déjà infesté grâce aux efforts de la recherche.

L’aflatoxine est produite par un groupe de champignons microscopiques appelés les Aspergillus dont l’espèce la plus fréquemment retrouvée dans les aliments est Aspergillus flavus qui secrète les toxines. On en dénombre une vingtaine dont quatre sont les plus dangereuses. Il s’agit des l’aflatoxines B1 et celle B2 produites par l’Aspergillus flavus et des aflatoxines G1 et celle G2 produites par l’Aspergillus parasiticus.

La B1 est la plus cancérigène selon les chercheurs. Les aflatoxines M1 et M2 sont présentes dans le lait et les produits à base de lait. Elles sont dérivées respectivement de l’aflatoxine B1 et de l’aflatoxine B2. Certains ont pensé depuis un moment que l’aflatoxine est venue d’ailleurs via les semences ou les aliments importés. Mais non, rétorque Dr Adama Néya, chercheur à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA) de Bobo-Dioulasso.

Il indique que le champignon sévit de manière naturelle à la surface ou dans le sol dans les zones tropicales situées entre le 35° Nord et le 35° Sud de part et d’autre de l’équateur. Le changement climatique accentue les effets de l’aflatoxine dans ces zones y compris les régions tempérées qui étaient épargnées, fait observer Dr Néya. Des produits contaminés au Burkina Faso, le maïs occupe la deuxième position après l’arachide et la première au niveau des céréales. Le hic est que vue de l’extérieur, la graine de maïs ne présente aucun signe visible de contamination.

« La graine contaminée à l’aflatoxine n’a pas de saveur, pas d’odeur et pas de couleur particulière », affirme Adama Néya. De plus, révèle-t-il, la contamination débute dans les champs dès la formation des graines et se poursuit durant la récolte et la période post-récolte si les bonnes pratiques ne sont pas appliquées. Plus inquiétant encore que cela puisse paraître, l’aflatoxine n’est pas thermolabile, c’est-à-dire que la chaleur utilisée pour la cuisson des aliments ne peut pas dégrader complètement la molécule.

« Pour y parvenir, il faut qu’elle soit chauffée jusqu’à environ 269 degrés Celsius. Or à cette température, on obtient du charbon », se désole Adama Néya, par ailleurs phytopathologiste et spécialiste des maladies des plantes. Du coup, la plupart des aliments à base de maïs sont contaminés par l’aflatoxine et exposent ainsi le consommateur à de nombreuses maladies parfois mortelles.

Dr Néya cite, à cet effet, le cancer de foie, l’affaiblissement du système immunitaire de l’homme ou de l’animal, la baisse de la production avicole, la réduction de la taille de l’enfant sans oublier que son développement psycho-mental peut être affecté. Pr Ollo Roland Somé, chirurgien-cancérologue au Centre hospitalier universitaire Souro Sanon (CHU-SS) de Bobo-Dioulasso, précise de son côté que si le stock d’aflatoxine cohabite avec l’hépatite B dans l’organisme, cela peut précipiter le cancer.

Fulbert Nikièma, directeur du contrôle des aliments et de la nutrition appliquée à l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’environnement, de l’alimentation et du travail (ANSSEAT), dit traquer le risque au maximum lors des contrôles. Pour lui, les analyses toxicologiques effectuées sur le maïs ne se limitent pas à la recherche de l’aflatoxine mais aussi l’ochratoxine qui attaque les reins avec une possibilité d’évoluer en insuffisance rénale.

En somme, il est avéré que l’aflatoxine met en danger la santé du consommateur. La conviction du Pr Ollo Roland Somé est que l’aflatoxine tue beaucoup de personnes en silence. Il signale qu’il existe deux types d’intoxication que sont l’intoxication aigüe et l’intoxication chronique. « Il arrive que nous mangeons des aliments à base de céréales ou de l’arachide et ayons mal au ventre.

C’est de l’intoxication aigüe d’aflatoxine que l’organisme arrive à gérer », dévoile-t-il. En revanche, poursuit-il, l’intoxication chronique repose sur une consommation régulière et à des doses faibles et biaisées, d’aliments contaminés par l’aflatoxine entrainant à la longue des troubles aigus. « L’organisme entretient cette toxine qui va occasionner des dégâts à long terme et c’est en ce moment qu’on parle de cancer et c’est celui de foie qui est surtout incriminé », lâche le Pr Somé.

Sur le plan économique, l’aflatoxine est un frein à l’exportation. Les produits incriminés sont systématiquement rejetés lors des achats institutionnels sur le plan national, sous régional et international. Souleymane Soudré, cadre du ministère en charge du commerce, est le coordonnateur de l’Unité nationale de mise en œuvre du cadre intégré (UNMO-CIR), un programme piloté par plusieurs organismes internationaux qui assistent les pays les moins avancés à identifier les secteurs à fortes potentialités d’exportation.

Le maïs burkinabè étant exporté dans la sous-région, il fallait nécessairement se pencher

sur cette question afin de donner l’opportunité aux producteurs, aux commerçants et aux transformateurs de continuer à faire de bonnes affaires dans leur espace communautaire. « Les acteurs qui sont au niveau de la commercialisation et de la transformation relèvent qu’ils ont des difficultés parce que le maïs produit au Burkina Faso ne respecte pas les normes de qualité », informe M. Soudré.

De la mise au point de l’aflasafe BF01

Dr Adama Néya, chercheur à l’INERA/Bobo-Dioulasso : « Nous avons beaucoup de contaminations sans symptômes extérieurs ».

Au regard de son impact négatif sur la santé humaine et animale ainsi que sur l’économie, l’aflatoxine a suscité un intérêt pour la recherche. Des instituts du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST), notamment l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA) et l’Institut de recherche en sciences appliquées et technologies (IRSAT) se sont mis en branle.

Grâce à leurs travaux, il est désormais possible de nos jours de produire au Burkina Faso du maïs sans aflatoxine ou de décontaminer un maïs déjà infesté. Dr Adama Néya explique que tout est parti d’un appel à projet compétitif lancé en 2009 par l’Institut international d’agriculture tropicale ou International institute of tropical agriculture en anglais (IITA) dont cinq pays étaient éligibles à savoir le Nigéria qui abrite le siège, le Kenya, le Mozambique, le Sénégal et le Burkina Faso.

En collaboration avec cet institut, il entame ses travaux au cours de la même année. L’IITA s’est inspiré d’une expérience américaine consacrée à la lutte biologique contre la présence de l’aflatoxine dans le coton graine et l’arachide. Des explications du Dr Adama Néya, les chercheurs de l’université d’Arizona aux USA ont découvert que le champignon Aspergillus est composé de deux types de souches : des souches qui se développent en grande quantité en secrétant la toxine (l’aflatoxine) et d’autres souches qui se développent également en grande quantité sans avoir la capacité de secréter la toxine.

A l’œil nu ou sous un microscope ordinaire, les deux souches se ressemblent. Plus loin, les chercheurs ont analysé la carte génétique de ces deux types de souches. Là, ils ont trouvé un détail important dans l’une des souches. En effet, les souches qui produisent la toxine ont dans leur ADN, un bras qui commande la sécrétion de la toxine.

En revanche, les souches qui ne produisent pas la toxine n’ont pas ce bras. Partant de là, les chercheurs américains ont réussi à utiliser la bonne souche pour combattre la mauvaise. L’IITA, basé au Nigeria, a alors adopté cette technologie et l’a ensuite améliorée et adaptée aux réalités africaines. Dr Adama Néya se lance dans la collecte des échantillons à travers le territoire national. Avec l’aide d’un chercheur venu de l’IITA-Nigéria, il arrive à collecter 256 échantillons (sol, graines de maïs et d’arachide) qui sont envoyés à l’IITA au Nigéria pour conduire des analyses très pointues.

« La cartographie du Burkina Faso était de voir si les souches qui ne produisent pas la toxine sont présentes ou pas ? Le principe de la lutte biologique étant qu’on fabrique le produit du Burkina Faso avec les souches locales présentes dans le pays. Donc un produit biologique n’est homologué pour un pays que si les souches utilisées sont présentes dans ce pays », martèle Adama Néya.

L’étude ayant montré que les souches atoxinogènes (les souches qui ne produisent pas de toxines) sont présentes au Burkina Faso, l’IITA procède donc à la sélection des meilleures souches avant de passer à leur multiplication en grand volume. Ces souches sont incorporées dans un support de nature à faciliter leur utilisation sur le terrain.

Cette phase aussi appelée formulation a consisté à choisir comme support les graines de sorgho blanc. Pour les empêcher de pousser comme des semences, elles ont été stérilisées à 120°C de sorte à tuer leurs germes. Les souches ainsi sélectionnées sont enrobées aux graines de sorgho stérilisées avec un liant dont le rôle est de permettre aux souches de bien se coller aux graines.

A ce mélange, on y a ajouté également un colorant bleu naturel afin de séparer la couleur du produit final obtenu de celle de sorgho destiné à la consommation. Dr Néya explique pourquoi les graines de sorgho se sont imposées dans le choix du support. «C’est l’ingrédient le moins cher en Afrique, disponible à tout moment, accessible à tous et produit en grande quantité dans de nombreux pays en Afrique.

L’IITA a conduit les tests avec les grains de blé, de mil, de maïs, mais il est ressorti que l’ingrédient sur lequel le champignon se développe bien, c’est le sorgho et le blé. Mais comme le blé n’est pas produit sur de grandes superficies en Afrique, et à cause des problèmes d’accessibilité et de disponibilité, le choix a été porté sur le sorgho», éclaire-t-il. Ce long processus a donc abouti en 2011 à la mise au point d’un produit dénommé « aflasafe BF01 ».

Les premiers tests d’efficacité de ce biopesticide ont été conduits en 2011 et 2012 puis en 2016 dans des champs de producteurs de maïs et d’arachide sur des sites représentatifs des zones agro-écologiques du Burkina Faso. Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec plusieurs organisations paysannes dont l’Union provinciale des professionnels agricoles (UPPA) du Houet et la Fédération nian zwe (FNZ) dans la Sissili.

Ce biopesticide a été finalement homologué lors de la session du Comité sahélien des pesticides du Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le sahel (CILSS) de juin 2017. Depuis lors, aflasafe BF01 fait son petit bonhomme de chemin.

Il était au départ fabriqué par l’unité aflasafe de l’IITA au Nigéria mais depuis 2020, une autre unité de production d’aflasafe (sous licence IITA) est fonctionnelle au Sénégal. Au Burkina Faso, la distribution de ce produit est assurée par la Société africaine de produits phytosanitaires et d’insecticides (SAPHYTO).

Comment ça fonctionne sur le terrain ?

Agroserv dispose d’un équipement de pointe et d’un personnel qualifié pour vérifier la qualité de sa matière première et ses produits finis.

Dr Adama Néya indique cependant que l’utilisation d’aflasafe requiert au préalable un minimum de connaissances sur le mode de contamination, une contamination qui commence au champ pendant la fécondation. De ce fait, il recommande que le produit aflasafe soit appliqué avant cette phase de développement de la plante.

Pour cela, conseille-t-il, le producteur doit bien désherber son champ, avoir un sol humide avant de répandre à la volée les grains d’aflasafe sur sa parcelle. La quantité recommandée est de 10 kg par hectare. Que se passe-t-il une fois que les grains d’aflasafe sont appliqués dans le champ ?

Dr Néya dévoile que ces grains vont rencontrer deux types de souches dans le sol, à savoir leurs cousins qui sont comme elles, c’est-à-dire qui ne produisent pas la toxine et les autres cousins qui secrètent la toxine. Les deux cousins vont alors rentrer en compétition, une compétition basée sur la nourriture. La première nourriture des souches atoxinogènes, c’est le grain de sorgho enrobé.

Après avoir tout mangé, elles vont se multiplier rapidement et des millions de spores des souches atoxinogènes d’Aspergillus flavus vont étouffer les mauvaises souches. « Or, si elles ne se développent pas, naturellement elles meurent », se convainc Dr Adama Néya. Toutefois, rien n’est gagné d’avance car le producteur doit associer à ce traitement, les bonnes pratiques de récolte et de post-récolte.

C’est-à-dire récolter à la bonne période, bien trier les épis depuis le champ en séparant les épis sains de ceux qui sont infectés et/ou infestés (ne pas ramasser les épis en contact avec le sol), bien sécher son maïs sur des bâches propres et non à même le sol, le conditionner dans des sacs propres et les entreposer dans des magasins propres et aérés tout en évitant les infestations par les insectes et les rongeurs.

Si ces précautions sont respectées, souligne Dr Néya, il n’y a pas de raison que le maïs ne soit pas sain. L’application d’aflasafe dans les champs doit toutefois se répéter chaque année selon lui car les souches toxinogènes restent malgré tout présentes dans le sol. Mieux, elles y sont entrainées à travers les champs voisins non traités par les eaux de ruissellement, le vent, les insectes, les pattes des animaux et même via les chaussures du producteur lui-même.

Les huiles essentielles, l’autre remède

L’aflasafe n’est pas l’unique produit de la recherche qui puisse réduire voire éliminer l’aflatoxine dans le maïs. Au sein de l’IRSAT, les chercheurs ont développé d’autres produits ou techniques visant d’une part, à combattre les souches aflatoxinogènes et de l’autre, à décontaminer totalement le maïs déjà infesté par l’aflatoxine.

C’est le cas au Département substances naturelles (DSN), l’un des quatre départements de l’IRSAT. Le biochimiste-microbiologiste, Dr Ignace Sawadogo, en service dans ce département, a consacré sa thèse de doctorat à la recherche de solutions contre les moisissures aflatoxinogènes et la synthèse de l’aflatoxine.

Depuis qu’il utilise aflasafeBF01 dans son champ, le Secrétaire général de l’UPPA-Houet, Soumaïla Sanon, dit produire chaque année du maïs sans aflatoxine.

Les travaux ont porté essentiellement sur l’utilisation des huiles essentielles des plantes aromatiques qu’on rencontre au Burkina Faso, à savoir la citronnelle, l’eucalyptus, le Cymbopogon schoenanthus (sompiiga en mooré), l’Ocimum gratissimum (yulin-gnuuga en mooré), Lippia multiflora (Wichau).L’objectif était de mettre en évidence l’efficacité de ces huiles essentielles non seulement dans la lutte contre les moisissures qui produisent la toxine mais aussi sur la synthèse de l’aflatoxine.

« Au terme de l’étude, nous avons pu montrer que ces huiles essentielles à des concentrations très faibles, pouvaient inhiber le développement de ces moisissures », affirme-t-il. L’expérience a aussi consisté à associer ces huiles essentielles entre elles afin de rechercher une synergie d’actions. Cette synergie entre les huiles permettra d’utiliser à des doses encore plus faibles pour lutter contre les moisissures qui produisent l’aflatoxine.

« Nous avons trouvé que la plupart des huiles essentielles utilisées agissaient en synergie sur les moisissures productrices d’aflatoxine, notamment Aspergillus flavus et Aspergillus parasiticus », indique Dr Sawadogo. Les huiles essentielles ont également été testées seules ou en association en vue de voir si elles pouvaient inhiber la synthèse de l’aflatoxine.

«Les résultats des tests nous ont enseignés qu’il y avait des huiles essentielles qui agissaient de manière presque indifférente sur le développement de la moisissure mais qui empêchaient cette moisissure de synthétiser l’aflatoxine. C’est le cas des huiles essentielles de Lippia multiflora et de Cymbopogon schoenanthus, qui ont inhibé la synthèse de l’aflatoxine à des doses plus réduites que celles utilisées pour inhiber la croissance de la moisissure », éclaire Ignace Sawadogo.

Ce département a aussi travaillé en étroite collaboration avec le ministère en charge du commerce dans le cadre du projet de Réduction de la contamination du maïs et sous-produits à base de maïs par les aflatoxines au Burkina Faso (ReCMA-BF). Il était question ici de développer à partir des huiles essentielles, une formulation à base des huiles essentielles, utilisable dans la lutte contre la prolifération des moisissures et la décontamination du maïs.

Des résultats très intéressants ont été obtenus au bout de cette étude. « Le principe a consisté à traiter le maïs avec les formulations et à utiliser un lot témoin (non traité) afin de comparer l’évolution de la contamination en fonction du temps. Il est ressorti de cette expérience que six mois après, des taux de rabattement de plus de 80% ont été obtenus.

Ce qui est pour nous un résultat satisfaisant qui nous permet de dire que les huiles essentielles peuvent être utilisées pour faire des formulations et être vulgarisées à grande échelle », relève-t-il. A la question de savoir pourquoi la vulgarisation de ces résultats prend-elle encore du temps, Dr Sawadogo répond sans sourciller que la recherche ne doit pas brûler les étapes.

« L’efficacité de l’huile essentielle ne doit pas être le seul critère déterminant pour autoriser son utilisation dans la lutte contre les moisissures, surtout dans l’agroalimentaire », avance-t-il. Ainsi, dit-il, l’étape suivante a été de démontrer que ces huiles ne sont pas toxiques pour l’homme. Puis après, il y a la phase d’essai en milieu réel pour observer le comportement du produit.

« Ce n’est que lorsque le produit franchira l’ensemble de ces étapes avec succès que le produit peut être validé avant d’autoriser une large utilisation. Tant que ces étapes ne sont pas franchies, il est difficile d’aller dire à un producteur, qu’il peut utiliser sans risque le produit. Il faudra que toutes les précautions soient prises afin d’éviter que les effets néfastes connus avec certains produits de synthèse ne se reproduisent avec les produits naturels que nous voulons développer », avertit Dr Sawadogo.

Les travaux sont restés bloqués à ce stade pour des raisons financières mais il espère qu’avec le concours d’autres bailleurs, l’équipe pourra les conduire à terme pour le bonheur de tous. « L’une des difficultés qui caractérisent la recherche est que vous pouvez bénéficier de financement auprès d’un bailleur pour entamer une recherche, vous aboutissez à des résultats intéressants mais, il faut trouver d’autres bailleurs qui acceptent de vous accompagner pour poursuivre le travail parce que le bailleur initial a atteint son objectif.

Dès lors, c’est la course derrière les bailleurs. C’est l’une des raisons qui pourrait d’ailleurs expliquer pourquoi la plupart des résultats de recherche s’arrêtent au stade de laboratoire », se justifie-t-il. A ceux qui ne croient pas à la décontamination du maïs, Ignace Sawadogo les rassure.

« Le plus souvent, la méconnaissance des résultats qui existent peut faire croire à certaines personnes qu’il n’existe pas de solutions contre ces moisissures et les métaboliques secondaires qu’elles produisent », lâche-t-il. Le Département en technologie alimentaire (DTA) de l’IRSAT a aussi présenté, dans le cadre du projet ReCMA-BF, les résultats de ses travaux.

La décontamination par les microorganismes

Il s’agit de techniques de décontamination du maïs et de lutte contre la souche aflatoxinogène. Dr Hamidou Compaoré, maître de recherches en biochimie-microbiologie-mycologie, évoque un taux de décontamination allant jusqu’à 100%. La technique consiste à isoler à partir d’aliments fermentés comme le soumbala, le bikalga, le fura et le lait caillé, des Bacillus et des Lactobacillus qui sont des microorganismes non toxiques pour l’homme.

L’aflasafe BF01 permet aux producteurs de récolter du maïs sain.

De l’avis du Dr Compaoré, ces micro-organismes sont capables non seulement de combattre la souche de la moisissure qui secrète la toxine mais également de dégrader l’aflatoxine qui se trouve déjà dans le maïs. A la faveur du projet ReCMA-BF, une démonstration de l’efficacité de cette technique a été faite à travers plusieurs tests de décontamination.

La phase pilote a été conduite par des étudiants-stagiaires sur le site de l’INERA-Kamboinsé à la périphérie-nord de Ouagadougou. Les résultats obtenus à cet effet confortent le chercheur qu’il est sur une bonne voie avec des taux de rabattement qui sont compris entre 80 et 100%. « La phase pilote que nous avons réalisée à Kamboinsé, nous l’avons encore reprise avec une quantité importante d’échantillons et nous sommes parvenus au même résultat », assure Dr Hamidou Compaoré.

En clair, il estime qu’il y a des échantillons sur lesquels il n’y a plus d’aflatoxine et de moisissures présentes. Ce qui veut dire, se réjouit-il, que le maïs est devenu 100% sain. C’est aussi la preuve selon lui, que l’on peut faire des formulations en enrobant, par exemple, ces micro-organismes sur les graines de maïs avant de les semer dans le champ. En tous les cas, il estime que la formulation peut être testée directement au champ ou sur le maïs déjà contaminé.

La fin du projet ReCMA-BF en 2022 a porté un coup d’arrêt à ses travaux car les formulations n’ont pas pu être peaufinées. « Il y a quatre masters et deux doctorants qui travaillent sur le maïs contaminé à l’aflatoxine et aussi sur l’arachide. J’ai espoir qu’on va aboutir à de bons résultats », croit-il. Dr Compaoré exhorte les personnes de bonne volonté à apporter leur appui financier pour permettre à l’équipe de finaliser ce projet ambitieux. «

Nous avons obtenu en 2022, un financement de près de 30 millions F CFA sur appel à projet du Fonds national de la recherche et de l’innovation pour le développement (FONRID) mais ce montant ne sera pas suffisant pour peaufiner les formulations et procéder à leur vulgarisation », déplore-t-il. D’ores et déjà, le produit aflasafe fait le bonheur des membres de l’UPPA du Houet.

Il fut accueilli avec beaucoup d’enthousiasme par les membres de la structure qui produisent du maïs sans aflatoxine dont les gros clients sont le Programme alimentaire mondial (PAM), l’unité de transformation Agroserv industrie SA et la Société nationale de gestion des stocks de sécurité alimentaire (SONAGESS). Le secrétaire général de l’UPPA-Houet, Soumaïla Sanon, avance que les membres ont été d’abord sensibilisés aux effets nocifs de l’aflatoxine avant d’être formés à l’utilisation du produit de traitement.

L’union qui s’est vue doter d’un matériel de contrôle par le PAM est très rigoureuse sur la qualité sanitaire du maïs produit par ses membres. Soumaïla Sanon relève que cette rigueur vise aussi à rassurer leurs clients qu’aucun d’entre eux ne produit encore du maïs contaminé. La coopérative des femmes entrepreneures agricoles de Kourémangafesso, dans la commune rurale de Karangasso-Vigué du Houet, a emboîté le pas des professionnels agricoles. Elles ont adopté à leur tour aflasafe comme solution à la contamination de leur maïs et leur arachide par l’aflatoxine.

Leur responsable, Alizéta Rouamba, salue cette œuvre de salubrité publique des chercheurs qui leur permet d’écouler facilement leurs productions. La société privée Agroserv Industrie SA, basée dans la zone industrielle de Kossodo à Ouagadougou, est spécialisée dans la transformation du maïs en farine, en semoule et en son. Mais elle n’achète pas n’importe quelle matière première, relève Siaka Sanon, le Président-directeur général (P-DG) de la société.

Il dit s’approvisionner auprès des coopératives agricoles qui produisent du maïs sans aflatoxine. L’entreprise dispose également d’un laboratoire bien équipé et un personnel qualifié qui vérifie minutieusement la qualité de la matière première utilisée pour la transformation.

Le souhait des chercheurs est que tous les résultats soient vulgarisés le plus vite possible afin de donner l’opportunité aux producteurs de faire leur choix et de mettre à la disposition des consommateurs et des unités de transformation du maïs respectant les normes de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) ou de celles de l’Union européenne (UE).

Les normes admises pour les aflatoxines totales au sein de l’instance communautaire ouest-africaine sont de 15 ppb (parts per billion ou partie par billion) contre 4 ppb pour l’UE. Mais les Brasseries du Burkina Faso (BRAKINA) appliquent une des normes les plus sévères, à savoir 2 ppb. Malheureusement, des analyses ont révélé des taux d’aflatoxine jusqu’à 517 ppb et 277 ppb respectivement sur des échantillons de maïs et d’arachide produits au Burkina et destinés à la consommation.

Les technologies mises au point par les chercheurs permettront enfin aux producteurs d’accroître leurs revenus et d’améliorer leur bien-être en accédant aux marchés exigeants des acheteurs institutionnels (PAM, UNICEF, etc.) sur le plan national, sous régional et international. Et mieux encore, ils pourront eux-mêmes consommer des aliments sains et mettre aussi à la disposition de la population, des produits agricoles de bonne qualité.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

omichel20@gmail.com