Selon Issouf Traoré, le fait de glisser pourtant face au portier n’était pas clair.

Il y a presque 33 ans, lors d’une rencontre de demi-finale de la coupe du Faso entre l’Etoile filante de Ouagadougou (EFO) et le Stade du Yatenga, Issouf Traoré, alors sociétaire des étoilés, a été victime d’un incident qui est resté dans les annales du football burkinabè. Rétrospective sur une affaire mêlant superstition et crédulité avec quelques acteurs de l’époque.

Mardi 31 juillet 1990 au stade du 4-Août de Ouagadougou. La première demi-finale de la IVe édition de la coupe du Faso se dispute entre l’Etoile filante de Ouagadougou (EFO) et le Stade du Yatenga. La rencontre est officiée par le « referee » Bénito Touré. Le temple du football national grouille de monde. Les 22 acteurs déroulent. L’EFO qui joue devant ses supporters prend un petit ascendant sur la partie dès les premiers instants. En toute logique, elle ouvre le score (13e) par André Zackarie Lambo.

Après l’ouverture du score des Stellistes, la fougue et la détermination des Ouahigouyalais crispent un peu le jeu des « Bleu et blanc » de la capitale. C’est ainsi qu’à la 20e, une erreur défensive de l’axe de l’EFO (Gualbert Kaboré et Madi Ouédraogo) profite à Issa Ouédraogo. Ce dernier récupère la balle et la transmet au remuant Salifou Simporé qui remet les pendules à l’heure. Ce but redonne confiance aux éléments du Stade. L’EFO titube, hésite et se fait malmener par les joueurs du Yatenga physiquement au point.

Mais, la plus grosse occasion est « bleu et blanc » avec Issouf Traoré. Parti en solitaire face au portier, il glisse et tombe en voulant shooter la balle. Avant la pause, un fait de jeu venant du même joueur se produit. Comme dans un film hollywoodien, Issouf est pourchassé par les joueurs adversaires qui lui reprochent d’avoir soustrait quelque chose dans les filets du Stade du Yatenga.

Après cet incident, l’EFO corse l’addition toujours par André Zackarie Lambo sur transformation d’un penalty suite à un fauchage d’Alain Nana dans la surface adverse. L’EFO scelle le sort du match en fin de partie par le même Issouf Traoré sur coup franc. Une rencontre tendue et à rebondissements sanctionnée par deux exclusions.

Le Stade du Yatenga tenait à sa première finale

Boukary Barry confesse que l’objet exfiltré dans leur camp
a démoralisé toute l’équipe.

Le geste d’Issouf Traoré, peu avant la pause, en est sans doute la raison. Au-delà de sa banalité, Issouf a longtemps souffert de pépins aussi bien physiques que mentaux. 33 ans après, les acteurs se souviennent comme si c’était hier, surtout le principal concerné. « L’EFO dominait mais n’arrivait pas à scorer. Ce qui m’a paru bizarre, c’est lorsque je suis parti face au portier. En voulant mettre la balle au fond des filets, j’ai glissé et je me suis retrouvé à terre. Je me suis dit que cela n’était pas clair », raconte Issouf Traoré.

Selon lui, le Stade du Yatenga voulait coûte que coûte disputer la finale qui se jouait en cette année-là à Ouahigouya. Pour y arriver, il fallait vaincre par tous les moyens l’EFO. « On avait une très bonne équipe et les gens aimaient le football dans le Yatenga. Arrivés à ce stade de la compétition, c’était une belle occasion de disputer une première finale sur nos bases », justifie le capitaine, en son temps, du Stade du Yatenga, Boukary Barry Godré, sur les raisons de leur motivation.

Pour Madi Ouédraogo, titulaire dans l’axe de la défense avec Gualbert Kaboré, les matches face à l’EFO étaient comme des finales. Et celui face au Stade du Yatenga en était un. « C’était un grand match avec une équipe du Yatenga bien décidée à nous battre », se rappelle-t-il. « Nous avons sous-estimé le Stade du Yatenga à cause de la grande forme de l’EFO à son temps.

Nous disposions pour cette rencontre de demi-finale de la coupe du Faso de tout notre effectif. Nous avions voulu sceller le sort du match dès la première partie. Mais, sur le terrain, les choses étaient tout autre. Nous avons été tenus à la culotte », reconnait le président de l’EFO de l’époque, Georges Raymond Marshall.

Issouf Traoré pourchassé

Selon Gerorges Marshall, le geste d’Issouf Traoré ne l’avait pas surpris à cause de ses pratiques mystiques.

Revenant sur les faits, Issouf Traoré a avoué avoir remarqué que lorsqu’il y avait un corner, le gardien adverse Harouna Compaoré l’empêchait de s’approcher de son poteau droit. C’est d’ailleurs ce qui a attiré, selon lui, son attention. « Lorsque j’ai pu m’approcher, j’ai vu un corps étranger bien collé et ficelé avec un fil noir déposé dans les filets vers le poteau droit. J’ai fait semblant de ne rien voir.

Le jeu se déroulait normalement. Et suite à une sortie de but, le portier est allé pour chercher la balle. C’est là que j’ai profité pour aller prendre l’objet en question et aller le mettre dans un petit trou. Quelques joueurs adverses et même ceux qui étaient sur le banc de touche m’ont pourchassé. Après avoir pu me débarrasser de l’objet, on avait un supporter du nom de Norbert qui m’a jeté des gradins une poudre noire que j’ai sucée », relate-t-il.

Issouf Traoré a informé avoir reçu des menaces de mort de quelques adversaires du soir sur la pelouse. « Etant en défense, l’on ne pouvait pas imaginer qu’il y avait quelque chose dans le camp adverse. La position de Issouf (attaquant) lui a permis de constater cette présence mystique. Quand il a pris l’objet, cela nous a apporté un bonus psychologique, un stimulant. La preuve est qu’immédiatement, nous avons pris l’avantage au score avant de corser l’addition », laisse entendre Madi Ouédraogo, frère ainé de Kassoum Ouédraogo Zico.

Boukary Barry l’avoue, le geste d’Issouf Traoré les a tous démoralisés. « Nous étions tous au courant de l’objet en question. Nous sommes des Africains et c’est une préparation faite par nos supporters et remise à notre gardien pour le déposer dans ses filets. Nous avons tous été démoralisés quand on nous a privés de ce stimulant car, pour vous dire la vérité, on comptait sur ça. Nous avons répété cette pratique 2 à 3 ans et nous sommes restés invincibles à Ouahigouya », confesse-t-il.

Un geste aux multiples conséquences

Madi Ouédarogo avoue que la disparition de l’objet leur a apporté un bonus psychologique.

L’EFO a certes gagné, mais, Issouf Traoré allait souffrir des effets de son geste. En effet, quelques jours après cette rencontre, l’attaquant de l’EFO n’arrive plus à trouver le sommeil. Il a des parasomnies. Pire, il souffre aussi de pépins physiques avec une épaule qui se déboite, l’empêchant de bien s’exprimer sur le terrain. Rien n’y change malgré l’apport de la médecine. Finalement, la cause est bien trouvée par les sages de son club. « Je n’imaginais pas que cela était lié au fait que j’ai exfiltré l’objet.

Mais, c’est ce que les sages du club ont révélé », se souvient Issouf. Ainsi, le président du club initie une mission pour Ouahigouya. Objectif : « présenter des excuses et demander pardon suite au geste d’Issouf Traoré lors du match ». Miraculeusement et après le retour de la mission, le joueur, selon Georges Marshall, a retrouvé le sommeil et la santé. Superstition ou l’effet wack ? La question a hanté la famille « bleu-blanc ».

Ce qui est sûr, le geste d’Issouf Traoré n’a pas surpris son président Georges Raymond Marshall. « De tous les joueurs de l’EFO, Issouf était celui-là qui croyait plus au wack. Gualbert Kaboré, M’Bemba Touré par exemples n’y croyaient pas. Il y avait certains joueurs comme André Zackarie, feu Alfred Nikièma qui y croyaient en plus d’Issouf Traoré. Avant chaque match, il fallait venir leur prouver que le match a été préparé », informe le président Marshall. Une information confirmée par l’intéressé.

« Comme tout bon Africain, je crois au wack. Mais, je le faisais pour me protéger, car, je sais que le wack ne peut jamais venir mettre le ballon dans les filets. Quand il y avait des potions à frotter avant un match, je le faisais », réagit l’ex-feu follet de l’EFO des années 90. Depuis ce match à rebondissements, Issouf est devenu « persona non grata » à Ouahigouya. Même la finale de la coupe du Faso qui y a été disputée et remportée par son équipe (2-1 face à la rivale ASFA-Y), l’a été sans lui.

« Le matin de la finale, le président Georges Marshall est venu pour me chercher chez moi au quartier Bilbalogho qui est le fief de notre adversaire du jour, l’ASFA-Y, pour le déplacement de Ouahigouya. L’équipe était déjà partie. Quand j’ai pris mon sac, mon frère cadet qui logeait avec moi m’a dit de ne pas y aller et a commencé à couler des larmes. C’est ainsi que j’ai dit au président que je n’irai plus », explique-t-il. Un très mauvais souvenir pour Issouf Traoré, surtout qu’il a dû déménager manu militari de Bilbalogo après la victoire de l’EFO sur l’ASFA-Y, malgré son absence à cette finale.

Yves OUEDRAOGO


Les confidences « mystiques » du président Georges Marshall

« A l’époque, au vivant du fondateur de l’EFO, Oumarou Kouanda, nous sommes allés dans un village reculé de la province du Boulkiemdé pour préparer un match contre l’ASFA-Y. Le fondateur a exigé ma présence. Nous sommes allés chez le grand féticheur. On a égorgé une dizaine de poulets parce qu’il fallait qu’un poulet retombe sur le dos pour que le wack marche Et c’est le 10e qui a respecté ce rituel.

C’est après qu’il a dit que nous pouvons commencer les choses sérieuses. J’étais obligé de payer un bel âne en pleine forme, saint, comme s’il était prêt à aller labourer. Des jeunes sont venus creuser une tombe. Et quand ils ont fini de creuser, ils ont enterré l’âne vivant. Seule la queue a été coupée. C’était cruel. Et le match a été sanctionné par un nul. Tout cela m’a dissuadé dans la croyance au wack. Après cela, il y a eu cette affaire du bois de Boulogne (NDLR : Zone du bois) où il fallait chercher des crapauds.

On prend un nombre de crapauds correspondant au nombre des joueurs de l’équipe adverse pour aller chez le grand marabout. Il écrit des versets sur des papiers. Et vous ouvrez la gueule de chaque crapaud pour enfoncer le papier avec votre doigt jusque dans son estomac. Et c’est là que j’ai su que le crapaud ne mord pas. Puis vous renversez le crapaud et avec une pointe, vous le plantez au sol ».

Propos recueillis par Yves OUEDRAOGO

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