Tadaano Oyienbiga Oyenboiro Nassoulibiga, porte-parole du roi du Gulmu : « Nous comptons créer un Centre culturel initiatique pour la réhabilitation du patrimoine Gourmantché».

La 3e édition du Mois du patrimoine culturel burkinabè se tient du 18 avril au 18 mai 2025 sur le thème : « Patrimoine culturel et développement économique ». Aussi, le pays des Hommes intègres s’apprête à célébrer, le 15 avril prochain, la Journée des coutumes et traditions. Ce sont deux évènements qui visent à promouvoir les valeurs culturelles endogènes. Dans cet entretien qu’il nous a accordés, jeudi 8 mai 2025, à Fada N’Gourma, sa majesté Tadaano Oyienbiga Oyenboiro Nassoulibiga, porte-parole du roi du Gulmu, a donné sa lecture sur l’initiative gouvernementale et expliqué les enjeux de la préservation du patrimoine culturel.

Sidwaya (S) : Qui est sa Majesté Tadaano Oyienbiga Oyenboiro Nassoulibiga ?

Tadaano Oyienbiga Oyenboiro Nassoulibiga (T.O.O.N.) : Je suis une autorité morale, un homme de culture, un traditionaliste et un environnementaliste. J’ai des prérogatives bien définies au palais royal. J’ai, au total, neuf responsabilités que j’assume à la chefferie. Je suis le porte-parole du roi Untaanba et ministre à la cour royale, entre autres. J’ai été lauréat de deux trophées lors des Trésors du Faso, une cérémonie qui récompense les meilleurs acteurs de la culture, des arts et du tourisme  dans les régions. A la première édition en 2015-2016, j’ai reçu le trophée de la meilleure révélation littéraire de l’Est et à l’édition 2016-2017, j’ai reçu le trophée du meilleur guide de tourisme.

S : Comment êtes-vous parvenus à vous hisser à un tel niveau de responsabilité dans le Gulmu, mais aussi à décrocher tous ces trophées alors qu’à ce qui se dit, vous n’avez pas fait de longues études ?

T.O.O.N. : Dieu, dans sa conception de la chose, a permis à chacun d’avoir des facultés propres à lui et qui lui permettent de s’affirmer dans la communauté. C’est comme ça que je me retrouve avec toutes ces qualités sans pour autant faire de longues études ou aller suivre des formations à l’extérieur. Je n’ai même pas eu la chance d’obtenir le Certificat d’études primaires (CEP), mais comme je l’ai toujours dit, on naît intelligent, on ne le devient pas. En fait, j’ai eu le privilège d’avoir été choisi par nos devanciers, nos ancêtres et nos divinités. Ils sont certainement passés par moi pour exprimer des choses qu’ils n’ont pas eu la possibilité de le faire quand ils étaient encore dans le monde physique. C’est une sorte de réincarnation.

S : Depuis le 18 avril dernier, le Burkina Faso célèbre la 3e édition du Mois du patrimoine culturel, qu’est ce que cela représente pour vous ?

T.O.O.N. : Le patrimoine culturel c’est l’ensemble des valeurs endogènes que nos ancêtres, la nature et Dieu nous ont permis d’avoir. Ce sont des valeurs intrinsèques qui constituent le socle fondamental de toute civilisation. Le patrimoine est matériel et immatériel. Il relève de la nature, de la culture, de l’innovation, de la créativité, de la matérialisation, de la langue… Il englobe beaucoup de choses. La chefferie coutumière est un patrimoine matériel et immatériel. Nous nous retrouvons pleinement donc dans ce mois dédié à la culture. Dans la région de l’Est, nous avons un immense potentiel. Et moi en tant que traditionaliste, je dis que cette initiative gouvernementale est salutaire même si elle intervient un peu tard. Car, beaucoup de patriarches et de traditionalistes ont rejoint le monde invisible avec leurs connaissances. Mais, je m’en réjouis tout de même parce qu’il existe encore des talents de la tradition.

S : Pensez-vous qu’on peut encore réhabiliter tout ce patrimoine culturel ?

T.O.O.N. : Je rappelle que lors du programme du Patrimoine culturel immatériel (PCI) organisé par le ministère en charge de la culture du Burkina Faso, l’Est a battu le record à l’époque en engrangeant 406 éléments. C’est pour dire qu’il y a du potentiel dans cette région. Il est vrai que certains traditionalistes se sont éteints avec leurs connaissances parce que nos traditions sont basées sur l’oralité, mais je pense que nous pouvons colmater les choses auprès de ceux qui sont toujours de ce monde, les matérialiser et les réhabiliter. Nous pouvons sauver ce qui peut l’être encore. Cela passe d’abord par une volonté politique. Et, heureusement, le gouvernement actuel s’est inscrit dans cette dynamique. C’est pourquoi, en tant qu’autorité morale, il est de notre devoir d’accompagner ce mois, de soutenir la dynamique du gouvernement et d’apporter notre touche de sorte que le patrimoine culturel soit sauvegardé et pérennisé pour les générations futures.

S : Des excursions touristiques, des ateliers pédagogiques et des soirées de promotion culturelle constituent le menu du mois du patrimoine culturel. Qu’en pensez-vous ?

T.O.O.N. : Si j’étais près de ceux qui proposent les choses, j’aurais apporter ma touche pour améliorer le fond. Je ne remet pas en cause le travail fait par les acteurs, mais je dis que si nous avions été impliquer véritablement dans l’organisation de l’évènement, nous aurions pu ajouter de la terre à la terre et améliorer les choses. Je m’attendais vraiment à ce que nos autorités de tutelle à l’échelle régionale dans ce mois du patrimoine aillent à la rencontre des traditionalistes pour leur donner l’occasion de parler. Malheureusement, il n’existe pas, pour l’instant, un cadre qui puisse permettre aux acteurs culturels de s’affirmer en tant que trésor vivant.

S : Selon vous, la jeune génération est-elle disposée à incarner les valeurs culturelles gourmantché ?

T.O.O.N. : Les jeunes commencent à s’intéresser à la culture. Depuis un certain temps ils ont compris qu’il faut repartir à la source. Mais, nous avons l’impression que les conditions ne leur permettaient pas de se sentir concerner. Quand je prends l’initiation, par exemple, nous sommes les seuls à la pratiquer de  façon authentique, dans la sous région. Même si depuis le début de l’insécurité, nous l’avons suspendue. Je rappelle qu’au cours du dernier camp en 2017, nous étions à plus de 1800 initiés repartis dans huit camps. Ce sont des pratiques que nous allons reprendre bientôt. En plus, le contexte politique y est favorable et les communautés sont aussi engagées à transmettre les connaissances immatérielles à la jeune génération dès le bas âge. C’est justement en inculquant ces valeurs aux jeunes que nos sociétés auront des modèles et des hommes dignes.

S : En votre qualité de personne morale, avez-vous entrepris des initiatives dans ce Mois du patrimoine culturel ?

T.O.O.N. : Je compte organiser une conférence publique cette semaine pour parler du patrimoine culturel. Nous allons expliquer la notion de patrimoine culturel, nous reviendrons sur les éléments constitutifs du patrimoine de cette région qui a un potentiel culturel énorme. Au-delà, avec le potentiel que je détiens, le savoir et le savoir faire, j’ai en projet d’animer des panels à l’Université sur plusieurs thèmes en lien avec le patrimoine culturel. Je reçois régulièrement à domicile des élèves, des étudiants, des doctorants, des chercheurs, des professeurs pour parler de nos traditions.

 

S : Vous êtes visiblement engagé dans la promotion de la culture gourmantché. Avez-vous, sur le long terme, d’autres projets dans ce sens ?

T.O.O.N. : Je suis porteur d’un projet qui entre dans le cadre de la sauvegarde du patrimoine culturel. Il s’agit de la création d’un centre dénommé Centre culturel initiatique pour la transmission massive et la réhabilitation du patrimoine gourmantché. J’ai soumis le projet à l’appréciation du ministère et j’attends de voir s’il sera validé. L’objectif, c’est de donner la chance à tous les gourmantché de se ressourcer. Aujourd’hui il y a des gourmantché qui ne savent pas comment faire un sacrifice, des jeunes filles qui ne savent pas comment s’habiller, s’entretenir, se coucher, marcher et se comporter devant les gens. Sur cette question de l’initiation féminine, il faut reconnaître que nous avons tout abandonné alors que tout n’était pas mauvais. En son temps, on inculquait des valeurs à la jeune fille avant qu’elle ne se marie. C’est pourquoi il y avait moins de problèmes dans les couples. Mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Que ce soit la jeune fille ou le jeune garçon, nous allons les inciter à s’approprier ces valeurs pour leur permettre de devenir des hommes et des femmes dignes. C’est un projet qui va concerner les jeunes, les enfants, les adultes, les chercheurs, les étudiants, les doctorants, tout le monde. Au-delà de l’ethnie gourmantché, il y a des ethnies qui ont eu l’occasion de côtoyer les gourmantché pendant deux ou trois siècles, notamment les haoussa, les peuls, les djerma, les moba au Togo, les bimoba au Ghana et qui se retrouveront tous dans le projet.

Déjà, j’ai l’avantage de détenir de la documentation sur toute l’histoire anthropologique du gourmantché depuis l’année pré-coloniale jusqu’à nos jours. Je connais la fondation de toutes les dynasties  dans la région de l’Est. Je parle en connaissance de cause.

S : Quel est votre message aux autorités à propos de ce projet?

T.O.O.N. : Lors du centenaire marquant l’arrivée du colon, il y a eu des conférences régionaux dans toutes les région. Et à l’Est, l’invité d’honneur était l’historien Magloire Somé, nous avons insisté sur ce projet, je pense que je me suis libéré de cette charge morale en proposant quelque chose qui entre en droite ligne de la politique actuelle en matière de promotion de nos valeurs endogènes. La balle est dans le camp de l’autorité et nous attendons de voir. Je tiens à féliciter le gouvernement burkinabé qui fait la part belle à la promotion du patrimoine culturel. Nous espérons qu’il continuera sur cette lancée.

S : Quel est votre dernier mot ?

T.O.O.N. : L’Afrique a un potentiel culturel inestimable. Nous sommes dans un continent laïc. Malheureusement les gens portent atteinte au principe de la laïcité, même nos gouvernants qui dirigent sur la base d’une constitution laïque prêtent le flanc. Nous devons comprendre une chose, soyons nous-mêmes, préservons nos traditions, faisons la promotion de nos valeurs. Faisons en sorte de les transmettre intégralement aux jeunes générations. C’est une responsabilité individuelle et collective. Pour ce qui est du cas spécifique du Gulmu, j’appelle tous les acteurs à l’union autour de nos valeurs culturelles. Car, la culture est le socle fondamental de toute civilisation.

Interview réalisée par Joanny SOW

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