Insalubrité urbaine : Ouagadougou perd son lustre d’antan

D’énormes efforts sont consentis pour la propriété de la capitale qui produit environ 1600 tonnes de déchets par jour. Mais petit à petit, ‘’Ouaga la belle’’ est en train de perdre de sa superbe. La cause, l’insalubrité chronique qui enlaidit la plupart des quartiers de la ville. Après la pluie, le spectacle est pestilentiel. Les voies sont encombrées de débris de tout genre transportés par les eaux, des canalisations utilisées comme des poubelles sont obstruées, des eaux stagnantes servent de nid de moustiques. Bref partout, en dehors de certains quartiers du centre-ville, l’insalubrité règne. Constat. 

Entre le cimetière municipal et le mur du Centre émetteur, un dépotoir d’ordures ! Sachets plastiques, habits, plumes de volailles, flaques d’eau, nourriture en putréfaction assiégée par des mouches et moustiques, se disputent l’espace. Impossible de passer sans se boucher le nez, tant les odeurs sont insupportables, en cette matinée du   12 septembre 2018 au quartier Gounghin à Ouagadougou. Plus loin, à  Nonssin,   Rimkiéta,  du côté des rails, les ordures dictent leur loi. Au  canal du Mogho Naaba à Larlé, un air vicié se dégage des légumes et excréments d’animaux pourris. Tout le long du côté Est du mur de l’aéroport, le nord du lycée Vénégré à Pissy existent des plages de déchets.  Comme un effet de mode, les tas d’immondices poussent devant certains services, concessions, marchés, rues, cimetières et domaines publics. Face à cette situation, populations et autorités s’accusent.

Abdoul Koné, fonctionnaire, tout en condamnant l’incivisme de certains qui déversent nuitamment leurs ordures dans les espaces publics, s’insurge contre le laxisme des autorités communales. A son  avis, elles ne font rien de concret pour sensibiliser et réprimer les auteurs de ces actes. Anne Coulibaly, une riveraine, appelle à une prise de conscience de tous les Ouagalais sur la nécessité de contribuer à une meilleure salubrité de la ville. Elle estime que la capitale reflète l’indiscipline, l’incivisme de ses habitants. Une attitude qui, selon elle, amène certains usagers de la route à jeter les sachets, mouchoirs jetables et autres peaux de bananes sur la voie publique.

Amadou Traoré, commerçant, lui s’en prend directement aux autorités de la commune de Ouagadougou. «La ville de Ouaga est abandonnée», révèle-t-il. Quant à Alidou Compaoré, il estime qu’il paye suffisamment de taxes sans bénéficier d’un environnement propre.  Il pense que le dépôt de bacs à ordures dans tous les quartiers est indispensable. Le journaliste Issiaka Dabéré est convaincu que tout s’apprend à partir de la cellule familiale. « Jeter des déchets dans les domaines publics relève d’un manque de sensibilisation familiale », affirme-t-il. Il propose alors l’instauration d’une journée de salubrité.

Des sites favorables à l’éclosion des moustiques

Le lien entre l’insalubrité et le développement de certaines maladies est une évidence.  Après les pluies par exemple,  les voies sont encombrées de débris de tout genre transportés par les eaux. Les caniveaux, transformés en poubelles, sont également obstrués. Les eaux stagnent et servent de repaires aux moustiques, vecteurs du paludisme, la maladie la plus mortelle du pays.

Selon le coordonnateur du programme national de lutte contre le paludisme, Yacouba Sawadogo, dans le mode de transmission de cette maladie, les vecteurs que sont les moustiques se développent à partir des eaux stagnantes. «Les œufs pondus donnent des larves, puis des moustiques adultes qui donnent le paludisme. Tout facteur qui contribue au développement de ces gites constitue un élément favorisant». D’où des conseils prodigués à l’intention de tout citoyen à assainir son milieu de vie et de travail et à faire en sorte que ces gites soient détruits, dans les concessions, les rues, les quartiers, etc.  Selon le ministère de la Santé, le Burkina Faso est confronté depuis deux ans à des cas de dengue, une autre maladie mortelle causée par un virus transmis par des piqûres de moustiques. Les populations sont donc invitées à garder les lieux propres.

L’association d’Oumar Léguélégué ramasse les ordures de 500 à 1 000 FCFA par mois.

Pour prendre part aux efforts de nettoyage de la ville, les populations se sont organisées en association. C’est le cas de l’association des acteurs des ordures ménagères et de vaporisateur de déchets plastiques, créée en 2012. A l’aide de charrettes à traction asine, les membres collectent, de porte à porte, chaque semaine, les ordures dans des arrondissements n°1, 2, 5 et 11, selon son président, Oumar Léguélégué. Ce service est rendu moyennant une modique somme de 500 à 1 000 FCFA par mois, selon les bourses des ménages et le service demandé. Tous les déchets sont acheminés vers un centre de tri ou de pré-collecte, sis à la cité An III. Des entreprises sont chargées de les acheminer au centre de traitement. M. Léguélégué trouve que la première arme contre la prolifération des déchets dans les rues, est la sensibilisation qu’il trouve insuffisante. Son plus grand souhait est que la mairie centrale œuvre à mieux les accompagner en faisant un travail de sensibilisation au profit des citoyens. L’une des difficultés auxquelles ils sont confrontés est le refus de certaines familles de payer après le ramassage. Pour la directrice de l’entreprise SILO, Rachelle Yélémou chargée de la collecte des déchets à Pissy et ses environs, la grosse difficulté rencontrée porte sur la rareté de sites de tri. Par exemple, ses équipes sont obligées d’aller jusqu’à Sondogo (environ 20 km de parcours) pour décharger les ordures. Ce qui joue sur la fréquence d’enlèvement de ces déchets dans les concessions. Sur cette question, un conseiller technique du maire de la ville de Ouagadougou, Sidi Mohamed Cissé, explique : « En 2000, on a identifié 45 sites qui devraient abriter les centres de collecte. Mais ce sont seulement 35 qui ont été créés. Les populations riveraines ont opposé une résistance farouche quant à la construction des 10 autres». Il souligne également que certains centres de collecte de déchets prévus dans le cadre du projet d’assainissement des quartiers périphériques ne sont pas encore achevés  à cause de cette résistance des riverains. «Que les populations sachent que l’exécutif municipal n’est pas là pour travailler contre leurs intérêts», rappelle M. Cissé.

Il existe un schéma directeur de gestion des déchets

Le conseiller technique du maire de la ville de Ouagadougou, Sidi Mohamed Cissé : «Les populations s’opposent à l’installation des centres de collecte dans leur quartier».

Selon Sidi Mohamed Cissé qui a été directeur de la propreté de la commune de Ouagadougou pendant 11 ans, la ville dispose effectivement d’un schéma directeur de gestion des déchets, depuis 2000. « L’objectif principal est l’amélioration de la gestion des déchets solides ménagers de la ville de Ouagadougou. Autour de ce schéma existent quatre objectifs spécifiques à savoir la préservation de l’environnement urbain, l’amélioration du cadre de vie des populations, la lutte contre la pauvreté à travers la création d’emploi et la protection des couches sociales vulnérables que sont les femmes », déclare-t-il. Ce qui a prévalu, à l’entendre, à la création de la Brigade verte, composée de trois mille femmes qui balaient les principales artères de la ville. En 2003, poursuit M. Cissé, un appel a été lancé pour céder la collecte des ordures ménagères à des Groupements d’intérêts économiques (GIE) et à des Petites et moyennes entreprises (PME) dans les 5 arrondissements composés de 30 secteurs dans la commune en son temps. Equipés de charrettes à traction asine, de tracteurs, de camions, leur rôle essentiel est de signer des contrats d‘enlèvement d’ordures auprès des producteurs de déchets. Ces groupements acheminent les déchets au centre de tri où sont déposés des bacs à ordures. Le transport est assuré par les entreprises privées vers les centres de traitement et de valorisation.

La capitale burkinabè compte aujourd’hui 12 arrondissements et 55 secteurs. « La production de déchets est de 600 mille tonnes par an, soit 1600 tonnes par jour », confie le conseiller. Il reconnaît que face à ces réalités, des mesures d’accompagnement ont manqué pour une bonne gestion des ordures. Toutefois, pour lui, les responsabilités sont partagées. «Dans une ville dont la population avoisine 3 millions, s’il n’y a pas une prise de conscience individuelle et collective en matière de gestion de l’environnement urbain, quelle que soit la  volonté politique, il est difficile d’avoir des résultats probants », a-t-il indiqué. M. Cissé dénonce le comportement de certains citoyens qui balancent allégrement des déchets dans les domaines publics, aux abords des voies. «La modicité des moyens fait qu’on a du mal à déployer les moyens techniques nécessaires à des endroits appropriés pour assurer la collecte et le transport. La ville de Ouagadougou ne dispose pas présentement d’un seul camion en bon état qui permet d’enlever les déchets de curage », s’indigne-t-il.

Des efforts sont consentis car en plus de la Brigade verte, la mairie emploie les cantonniers pour balayer les voies bitumées chaque jour pour une paie journalière de 1 500 FCFA chacun. A la faveur du projet HIMO (Haute intensité de main d’œuvre), des jeunes curent les caniveaux. Sans oublier les femmes au niveau du centre de traitement et de valorisation des déchets.

Pour que la ville retrouve sa splendeur

Cissé le dit, des actions sont en train d’être prises pour que la ville change de look. Parmi lesquelles, il y a le projet d’assainissement des quartiers périphériques de la ville avec un budget de 90,500 milliards FCFA financé par la Banque africaine de développement (BAD), l’Agence française de développement (AFD) et la Banque mondiale. A l’écouter, ce projet a déjà permis la construction de 20 nouveaux centres de collecte pour renforcer les 35 déjà existants. A chaque centre de collecte sera annexé un autre de tri au niveau duquel des associations vont procéder au tri sélectif des déchets. « Les déchets ne doivent plus être considérés comme étant des matériaux n’ayant pas de valeur mais plutôt, comme étant des ressources auxquelles on peut donner une seconde vie », affirme le conseiller technique. Dans les confidences de M. Cissé, on peut noter l’existence d’un projet stratégique de réduction des déchets de la ville de Ouaga, mis en œuvre entre 2009 et 2012, qui se pérennise dans les ex-secteurs n°20, 21, 22, 30, par l’initiation au tri à la source.

Un autre projet, « moins de déchets, plus d’opportunités » au profit des petites et moyennes entreprises de la ville de Ouagadougou est en vue. Il sera exécuté dans 11 secteurs. L’objectif vise à susciter un éveil de conscience des populations et les GIE-PME sur une nouvelle stratégie dans la gestion des déchets avec à la clé la collecte, le tri et la valorisation. Les révélations de notre interlocuteur nous renseignent que des travaux d’intérêt commun, l’instauration d’une journée de salubrité où chaque maire avec ses administrés vont choisir un site pour nettoyer, sont autant d’actions qui seront mises à profit pour lutter contre l’insalubrité dans la capitale. Toutefois, pour le conseiller du maire, aucun changement radical n’est possible sans la sensibilisation. «Tout projet à mettre sur pied, est voué à l’échec, si le volet communication est négligé», déclare-t-il. C’est dans cette optique qu’il demande l’accompagnement des médias. D’où une invite à la création de rubriques consacrées à la préservation de l’environnement, de l’hygiène et de l’assainissement.

Habibata WARA


Du respect pour les morts

Ouagadougou, la capitale burkinabè, compte une vingtaine  de cimetières. La  plupart d’entre eux manquent de clôtures et d’entretien. Conséquence, ils n’échappent pas à l’insalubrité grandissante qui gagne la ville.  Ces dernières demeures, jadis, inspirant crainte et respect,  sont devenues aujourd’hui des  dépotoirs.  Ordures ménagères,  sachets plastiques, excréments humains et d’animaux, se rivalisent aux cimetières de  Karpala,   Tabtenga, Dagnoen, Toudbwéogo…  Une cohabitation indigne du respect que le Burkinabè a pour ses disparus.   En plus de l’insalubrité, ces endroits servent de refuge aux bandits et autres trafiquants de stupéfiants. Si les uns y font des abattages clandestins, d’autres se servent de leurs  limites pour faire des maquis. Bref, à Ouagadougou, les cimetières sont un véritable business center. Une situation qui interpelle les autorités municipales à procéder à leur délimitation, clôture et entretien régulier.  Aux individus mal intentionnés, nous disons respect pour nos morts.

 

H.W.