Production en milieu carcéral: Immersion dans les prisons de Bobo et de Boromo

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La prison a longtemps été considérée comme un enfer sur terre. Pourtant, loin d’être des lieux où on ferme à double tour des hors-la-loi, les maisons d’arrêt et de correction au Burkina Faso éduquent et préparent à la réinsertion socio-économique des détenus après l’épuisement de leur peine. L’agriculture, l’élevage, la soudure, la menuiserie, la couture… sont autant de métiers qui sont pratiqués dans les geôles de Boromo et de Bobo-Dioulasso par les pensionnaires.

De nos jours, les prisons burkinabè se sont humanisées et continuent de l’être au grand bonheur des détenus. A l’exception des criminels de haut rang qui sont sous surveillance spéciale, les autres prisonniers et les membres de l’administration pénitentiaire se côtoient au quotidien dans une ambiance bon enfant. Du moins, c’est ce que nous avons constaté pendant quatre jours d’affilé dans les Maisons d’arrêt et de correction (MAC) de Boromo et de Bobo-Dioulasso. Dans ces deux lieux de détention, nous avons vu des prisonniers à la tâche dans des ateliers où ils apprennent des métiers de leur choix. Ainsi, le détenu d’aujourd’hui peut désormais sortir avec le qualificatif de soudeur, menuisier, jardinier, éleveur, couturier, boulanger, blanchisseur, etc.

Des métiers que les prisonniers apprennent durant leur détention sous l’encadrement technique des Gardes de sécurité pénitentiaire (GSP), eux-mêmes, auparavant, formés dans les différents domaines. A l’occasion, certains détenus ont forgé leur vie à travers ces activités.

Selon le directeur adjoint de la MAC de Bobo-Dioulasso, l’inspecteur Paul Kaboré, trois principales raisons expliquent cette initiative à la production en faveur des détenus. Il y a, selon lui, le souci du respect des droits des prisonniers, notamment les  principaux textes qui régissent le travail en milieu carcéral, les changements de mentalité et les avantages de la production au pénitencier, non seulement  pour l’administration mais aussi pour les pensionnaires.

 

Des risques d’évasion minimisés

« Les activités bien administrées renforcent l’ordre, la sûreté, la sécurité et aident à instaurer un environnement meilleur au sein des établissements pénitentiaires », déclare l’inspecteur Kaboré. A l’entendre, cette production génère des ressources financières et matérielles qui profitent bien à l’établissement.

De l’avis du directeur de la MAC de Boromo, l’inspecteur Adama Sanou, le travail en milieu carcéral apporte plus de sécurité, parce que la fatigue va obliger les détenus à dormir la nuit. « Ils n’ont pas le temps de discuter sur des sujets comme les mutineries ou les évasions », justifie-t-il. En outre, note l’inspecteur Sanou, ces activités menées sont une façon d’amener les prisonniers à apprendre quelque chose qui va leur permettre de gagner dignement leur vie après leur libération. Pour lui, l’objectif recherché est d’éviter les récidives.

Une dizaine d’activités sont menées dans les deux prisons. A Boromo par exemple, il y a le jardinage, l’élevage, l’agriculture et la blanchisserie, sans oublier le moulin et une boutique que gèrent les détenus. A Bobo-Dioulasso, les activités sont encore plus nombreuses. En plus de ce que l’on trouve à Boromo, il y a la soudure, la menuiserie (métallique et bois), la saponification, la boulangerie, la couture, le tissage des sacs et la production des jus de fruits. Pour faire fonctionner toutes ces sections, l’administration pénitentiaire a pris le soin de former son personnel d’encadrement.

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A la MAC de Boromo, le principal  handicap de la production est le manque d’eau. Le 29 mars 2022, jour de notre passage dans leurs locaux, les activités étaient au ralenti du fait de cette pénurie d’eau. Au jardin, des plantes aux feuilles fanées sont visibles tandis qu’un troupeau de bœufs et de moutons cherche vainement de quoi étancher leur soif.

 

Cinq forages négatifs

Pourquoi une telle situation alors que le  fleuve Mouhoun est à un jet de pierre de là ? Selon le directeur de l’établissement, cinq forages obtenus grâce à des partenaires se sont révélés négatifs. Aujourd’hui, la prison doit son salut à un vieux forage du Haut-commissariat de la province des Balé. Là aussi, le débit est faible. « Notre cri du cœur est de solliciter le concours des bonnes volontés  pour avoir de nouveaux forages. Il  y a des moments où notre préoccupation est de faire boire uniquement les détenus », plaide le directeur Adama Sanou.

S’agissant du choix pour les  apprentissages dans les ateliers, il indique qu’il y a des critères dont le principal est que le prisonnier purge d’abord la moitié de sa peine. Sur un effectif de  333 détenus pour une capacité de 120 places,  il y avait 290  présents lors de notre passage. Les quarante-trois autres sont en situation de placement à l’extérieur pour des apprentissages ou pour servir de main-d’œuvre chez des particuliers. En effet,  des gens viennent demander les services de certains détenus qui remplissent les conditions contre paiement. Généralement, c’est le SMIG qui est payé au détenu, soit 32 500 F CFA. Cet argent est réparti et le tiers revient à la MAC pour contribuer à la prise en charge alimentaire des autres prisonniers. Quant aux recettes générées par les activités de production, elles sont versées dans un compte ouvert au Trésor public et baptisé étable-péni à hauteur de 75%. Les 25% sont répartis en trois, soit 40% pour tout le personnel,  40% pour les détenus et 20% pour les charges mineures.

A la MAC de Bobo-Dioulasso, la première impression qui se dégage pour tout visiteur est cette ambiance qui y règne. Entre GSP et prisonniers, la collaboration semble parfaite. Avec les bruits de certains ateliers, on se croirait dans un marché. Selon les chiffres, cet établissement est peuplé de 900 détenus environ, à la date du 30 mars 2022. C’est dans cette ambiance que nous avons fait le tour de la dizaine d’ateliers, sous la conduite de l’inspecteur Paul Kaboré. Des onze métiers proposés aux détenus, chaque atelier a son responsable, un assistant GSP, tous travaillant sous la responsabilité du contrôleur GSP Lomboki Bonko qui est le coordonateur de tous les ateliers. Les activités les plus en vue sont la soudure, la menuiserie, l’élevage, la couture, la saponification, la boulangerie et le tissage.

A écouter le responsable de la section soudure, l’assistant GSP Souleymane Siribié, les détenus s’adonnent avec beaucoup d’engagement à l’apprentissage. « Certains qui sont passés par là, entretiennent leurs propres ateliers ou sont embauchés par des patrons », informe-t-il. Du côté de la section jardinage et blanchisserie dont l’assistant Fidel Sanou est le responsable, les détenus produisent du chou, du concombre, de l’aubergine, de la salade, de l’oseille, des feuilles de haricot et même du haricot vert.  La superficie exploitée est d’environ un hectare, avec  trente détenus  déployés chaque jour pour le travail. Concernant les fruits de la production, une bonne partie est réservée pour la consommation des prisonniers et le reste à la vente.

 

Des actions unanimement saluées

A en croire l’assistant GSP Fidel Sanou, de nombreux prisonniers ayant purgé leur peine sont aujourd’hui de grands jardiniers et gagnent bien leur vie. Une preuve qu’ils se sont bien réinsérés dans la société. TS fait partie de ceux qui ont opté pour la production maraîchère. C’est ce qu’il compte mener comme activité principale dès qu’il va sortir de prison. Il dit avoir déjà acquis le terrain et un forage à cet effet.

A la section élevage dont le responsable est l’assistant GSP Vincent Sanou, on y trouve de la volaille, des porcs, des moutons, des dindons et des bœufs. A ce niveau, on signale que des conflits sont fréquents entre les jardiniers et les éleveurs.

Les sections boulangerie, saponification et tissage de sacs sont supervisées par l’assistante GSP Genèse Dembelé née Bayo. A la boulangerie, six détenus, tous des hommes, s’adonnent à la fabrication du pain, tandis qu’au niveau de la savonnerie, l’équipe est mixte. A entendre Mme Dembelé, tout se passe bien dans l’ensemble. Les clients sont non seulement les prisonniers mais aussi des gens de l’extérieur. Ida Yéyé née Zongo vient d’acheter neuf sacs tissés à 29 500 F CFA. « Je confectionne moi-même les sacs mais j’ai eu une commande que je ne peux pas satisfaire. C’est pourquoi je suis venue acheter pour compléter », confie-t-elle. La détenue ND, elle, s’est lancée dans la saponification. Elle compte, à sa sortie de prison, produire du savon liquide et en boule.

Dans la section couture, c’est l’assistante GSP Delphine Sanou née Ouattara qui est la responsable. L’atelier est ouvert  du lundi au mercredi pour les travaux ordinaires au profit du personnel et des détenus. Les jeudis et les vendredis sont réservés pour les formations à la couture. L’atelier date seulement d’une année et déjà, il reçoit des clients venant de l’extérieur.

Que ce soit à Boromo ou à Bobo-Dioulasso, les prisonniers ont, à l’unanimité, loué l’initiative de ces activités qui les occupent utilement.

François KABORE

 Légendes (ph. Rémi ZOERINGRE)