Retour de Charles Blé Goudé en Côte d’Ivoire: la présidentielle après la repentance ?

Après une dizaine d’années d’exil et de prison, le retour en Côte d’Ivoire de Charles Blé Goudé, l’ancien général de la rue sous le régime Gbagbo, n’est pas passé inaperçu. Si le principal intéressé a d’ores et déjà évoqué la possibilité de ne pas exclure toute ambition présidentielle de sa part, il faut y voir aussi une volonté des autorités ivoiriennes d’aller résolument vers la réconciliation nationale.

Acquitté définitivement par la Cour pénale internationale (CPI), en même temps que son mentor Laurent Gbagbo, en mars 2021,Charles Blé Goudé, le leader de la jeunesse ivoirienne sous l’ère Gbagbo, a enfin regagné Abidjan en fin novembre 2022. Il avait souhaité avant son retour, un accueil sobre de la part de ses partisans, mais ce ne fut pas le cas. S’il a été accueilli à l’aéroport d’Abidjan par seulement une dizaine de personnes dont Simone Gbagbo, l’ex-épouse de son ancien mentor, à Yopougon,son fief et quartier populaire, il y a reçu par contre un accueil des grands jours, pour ne pas dire triomphal, au milieu d’une foule de partisans en délire, chantant et dansant.

Juché sur une décapotable, les bras levés, sous une pluie battante, l’ex-leader de la jeunesse savourait visiblement ce moment, qui lui a certainement rappelé ces « heures de gloire » où il haranguait les foules lors des meetings. Mais l’ex-ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo sait bien que le contexte est très différent et les temps ont changé. Et il l’a si bien signifié en s’adressant à ses partisans survoltés.

« Je ne suis pas revenu pour vous révolter », a-t-il déclaré, car conscient que la guerre et la crise postélectorales avec leur lot de quelque 3 000 morts, ont causé malheurs et traumatisme. Le jadis bouillant Charles Blé Goudé est désormais dans une autre posture. Dorénavant, il s’agit, pour lui, d’accompagner le processus de réconciliation nationale voulu par les autorités ivoiriennes et qui ont facilité son retour au pays en lui octroyant un passeport, même si l’attente de ce document a duré plus d’une année.

Fini donc les attitudes de va-t-en-guerre, d’incitation à la haine et à la violence de toutes sortes par lesquelles il s’est négativement illustré durant les années du régime Gbagbo, dont il était l’un des piliers. D’ailleurs, il a reconnu que le temps des discours enflammés est passé. L’ancien prisonnier à La Haye, qui avoue avoir négocié avec le régime actuel pour son retour en Côte d’Ivoire, tout comme l’ont fait tous les anciens exilés qui sont rentrés au pays, s’inscrit ainsi dans une logique de repentance et de pardon.

N’a-t-il pas indiqué que ses premières démarches consisteront à parler avec ceux avec qui il s’est brouillé et de demander pardon aux victimes de tous les bords politiques ? Cette attitude de l’ex-chef des jeunes patriotes est à saluer à sa juste valeur, car l’humilité et l’apaisement des cœurs sont des étapes indispensables si l’on veut parvenir à une réconciliation véritable et sincère.

2025, rendez-vous crucial

Mais, il ne faut point se leurrer quant à l’avenir politique de cet ancien leader estudiantin et de la jeunesse « patriotique », au talent d’orateur reconnu. L’ancien bras droit de Laurent Gbabgo lorgne le fauteuil présidentiel et lors d’un entretien après son retour, il a lâché qu’il n’a jamais caché ses ambitions présidentielles. Et 2025, année de ce rendez- vous électoral crucial, n’est plus loin. A cinquante ans révolus, il s’est assagi,a gagné en maturité et se pose en rassembleur.

Il a transformé son Congrès panafricain des jeunes et des patriotes (COJEP), mouvement de lutte contre l’impérialisme et le néocolonialisme, en parti politique en 2019, alors qu’il était en liberté conditionnelle aux Pays-Bas. Une preuve que l’ancien chef des « jeunes patriotes » affutait ses armes dans la perspective de cette présidentielle. Il se pose alors la question de la posture à adopter, à la faveur de cette échéance électorale, puisque son ancien mentor, Laurent Gbagbo, qui n’a pas digéré sa défaite de 2010, désire prendre sa revanche en 2025.

Le soutiendra-t-il à nouveau ou va-t-il se présenter en solo et devenir son concurrent à la faveur de cette présidentielle à venir ? On n’est pas loin de penser à des candidatures séparées, surtout que les liens entre les deux anciens alliés semblent être distendus. Aurait-il vraiment le courage de prendre ses distances avec son « père » politique ? En tous les cas, le principal intéressé a indiqué qu’il ne sera jamais l’adversaire politique du président Laurent Gbagbo avec qui il a partagé la douleur de la prison et avec qui il a tout appris.

Pourtant, il sera obligé d’être son concurrent si d’aventure, il se lançait dans la course à cette présidentielle. On assisterait alors à un scénario inédit où le « fils » qui a tout appris du « père » va affronter celui-ci dans un combat électoral. Mais en politique, un tel scénario ne serait pas une surprise en soi, dans la mesure où des alliés d’hier peuvent devenir des adversaires et vice versa.

En attendant d’assister à cette éventualité, il est difficile de ne pas relever et saluer cette volonté de réaliser la réconciliation nationale avec tous les fils de la Côte d’Ivoire et rompre avec un passé sombre et tumultueux.

Après Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, le retour d’un autre exilé de luxe, en la personne de Guillaume Soro, pour boucler la boucle, ne fera qu’auréoler l’action du président Alassane Ouattara de léguer aux futurs dirigeants de ce pays, une nation apaisée.

Gabriel SAMA