Cité des forces vives de Banfora : Des déguerpis toujours pas relogés

Salia Sirima, propriétaire terrien à Bounouna : « nous avons interdit tous travaux de construction sur le site de relogement, sauf les autochtones »

Des populations déguerpies du fait des travaux de construction de la cité des forces vives de Banfora, demandent à être rétablies dans leurs droits. Depuis 2020, ces résidents du secteur 9 (Bounouna),abritant ladite cité,attendent toujours d’être dédommagés. La mairie avait entrepris de les reloger dans un nouveau site aménagé, pas très loin de là, mais la machine semble grippée.

La célébration du 11 décembre 2020 à Banfora, chef-lieu de la région des Cascades, a laissé un goût d’inachevé aux populations de Bounouna, village rattaché à Banfora et abritant la cité des forces vives. Deux ans après les festivités, la sérénité n’est toujours pas de mise. Des résidents déguerpis du fait des travaux de construction de la cité ne sont toujours pas relogés. Les raisons de ce blocage se trouveraient dans la gestion opaque des parcelles. Au début du projet, les résidents, sentant les choses venir, avaient réclamé leurs parcelles avant de partir. Mais ces cris d’orfraie ne produiront aucun effet escompté. Des maisons sont détruites et c’est le sauve qui peut. Chacun, à sa manière et selon ses moyens, s’est débrouillé pour trouver un logement. Salia Sirima, natif de Bounouna et porte-parole des propriétaires terriens, estime que leurs préoccupations n’ont pas été prises en compte. « Au départ, nous avons expliqué au conseiller municipal que ce ne sera pas facile de déguerpir tout un village pour construire une cité mais il nous avait rassuré qu’il n’y aurait pas de problème », rappelle Salia Sirima. Il soutient,en outre,que les autochtones avaient exigé d’une part que les maisons mères soient maintenues au milieu de la cité et d’autre part, que chaque famille ait deux parcelles. « Le maire nous a fait savoir qu’on ne peut pas attribuer deux parcelles par famille », souligne-t-il. Tout le monde ne pouvant pas résider en cité, la mairie aménage un site derrière la cité pour reloger les résidents, constitués d’autochtones non attributaires en cité et d’allogènes.

Professeur d’anglais à Banfora, Boukary Nana a investi environ 5 millions F CFA dans le vide

Dans le cadre de cet aménagement, Salia Sirima dit avoir libéré cinq hectares de son champ mais, la marie refuse de le dédommager.« Ils n’ont même pas encore rédigé le procès-verbal sur lequel je dois signer pour attester que le terrain m’appartient et dans quelles conditions je serai dédommagé », note-t-il. Il signale que six membres de sa famille sont toujours en attente de leurs parcelles et qu’il est le seul attributaire en cité.« Certains ont vendu leurs terrains, mais j’ai toujours refusé de liquider les miens », indique-t-il.Le porte-parole des propriétaires terriens dénonce, in fine, le manque de transparence dans la gestion des parcelles. « Le maire nous avait expliqué que la liste des bénéficiaires de parcelles dressée par le conseiller n’était pas fiable et il a procédé à des vérifications qui ont permis de détecter des noms fictifs. Mais c’est une affaire entre les deux autorités, nous n’avons rien à voir dans ça », dévoile-t-il.

Des résidents devenus des sans abris

Depuis le déguerpissement des résidents en juin 2020, se loger est devenu la croix et la bannière. Boukary Nana avait contracté un prêt bancaire pour se procurer une parcelle au secteur 5 de Banfora. Malheureusement, son crédit d’un montant de 5 millions F CFA était inférieur au prix de ladite parcelle qui était vendue à 6,5 millions F CFA. Désemparé, il achète un lopin de terre à Bounouna et y construit une villa de type F4 avec deux douches internes. Lorsque le projet de construction de la cité est arrivé, le village, devenu secteur 9 de Banfora, a été rasé. La nouvelle maison de M. Nana n’en a pas échappé. Après avoir passé quelques mois dans sa cour, il plie bagages pour une destination inconnue.

Ce déguerpissement est resté comme un os au travers de la gorge de ce jeune professeur d’anglais. « J’ai achevé la construction en août 2018 et je logeais avec ma famille. Je n’ai même pas fait une année avant qu’on nous somme de quitter les lieux », se souvient-il, amèrement. Sa colère est d’autant plus vive lorsqu’il constate plus tard que sa cour n’était pas située sur une voie ni sur une parcelle, mais sur une réserve. « Je pouvais rester en attendant de trouver une solution », suggère-t-il. Il explique qu’au moment de la démolition des maisons, le commissaire de police qui supervisait les travaux a demandé qu’on épargne la sienne, au regard de sa valeur. Mais il reviendra le lendemain sur sa décision après des menaces du maire, pour achever le travail. C’est ainsi que des résidents se sont retrouvés sans abris et sans dédommagement.

Magnongohié Héma, ancien résident à Bounouna, attend toujours sa parcelle

Pour réparer cette injustice, des travaux d’aménagement d’un site derrière la cité ont été engagés en vue de les reloger. Une liste de souscription donnant lieu à un dédommagement a été ouverte. Les frais de souscription diffèrent selon le type de résidents, autochtones ou allogènes. Ils s’élèvent à 10 000 F CFA pour les autochtones contre 510 000 F CFA chez les allogènes, à savoir 500 000 F CFA de frais d’aménagement et 10 000 F CFA pour l’indication et le dossier. La plupart s’exécutent sans broncher. Boukary Nana s’est acquitté de ces frais mais jusqu’à présent, il ne voit pas sa parcelle.

La délégation spéciale veut aller à son rythme

Comme lui, Moussa Ouattara vivait tranquillement à Bounouna depuis 2015 avec sa femme et ses enfants. Tout allait bien jusqu’à cette journée fatidique du 5 juin 2020 où les « Caterpillar » ont commencé à casser les maisons. « Beaucoup n’ont pas pu ramasser leurs effets qui étaient à l’intérieur de leurs maisons », déplore-t-il. Les résidents qui attendaient qu’on leur montre les parcelles avant de quitter les lieux n’ont plus d’autre choix que de décamper. Plusieurs d’entre eux sont repartis en location. C’est le cas chez Boukary Nana qui, en plus du remboursement de son prêt, doit supporter un loyer de 35 000 F CFA par mois. « Personne ne peut comprendre la douleur que je ressens», s’indigne-t-il. Magnongohié Héma était lui aussi un habitant de la zone non-lotie de Bounouna.

Déguerpi du fait des travaux, il s’est cherché comme la plupart des résidents d’ailleurs. « La délégation spéciale nous a rassuré que ça va aller mais jusqu’à quand ? », s’interroge-t-il, l’air dépité. Yaya Konaté trépigne d’impatience pour entrer en possession de sa parcelle. Il dit ignorer ce qui se trame contre eux mais nourrit l’espoir que le bout du tunnel n’est pas si loin. Approché, le président de la délégation spéciale de Banfora, laisse entendre qu’il a pris le dossier en main, quelques jours après sa prise de fonction. « Il y a des groupuscules qui m’envoient des correspondances mais je ne peux pas traiter ces questions au cas par cas », tranche-t-il. A l’écouter, le dossier de la cité est très délicat et il faut le traiter avec toute la prudence et la rigueur qui siéent. De ce point de vue, il recommande aux uns et aux autres de faire confiance à la délégation spéciale. « Ce n’est pas une course de vitesse. Personne ne doit venir me mettre la pression pour traiter cette question », prévient-il. Selon ses dires, même s’il n’était pas impliqué directement dans cette affaire, en tant que fils de la région, il en sait quelque chose. Avec le concours des services techniques, il est sûr de parvenir à un règlement pacifique de cette crise.

Moussa Ouattara, professeur : « nous trouvons que l’attente est trop longue »

A en croire le président de la délégation spéciale, le ton est donné à travers une première rencontre avec les occupants de la zone commerciale, c’est-à-dire ceux de la zone A. Mais hélas, déplore-t-il, une seule personne était présente, les autres n’ayant pas pu écouter le communiqué à la radio. La délégation spéciale envisage d’initier des rencontres par zone, à savoir la zone A, la zone B, la zone C. Le juriste dit être animé de bonnes intentions et sa démarche s’inscrit parfaitement dans cette logique.En tous les cas, le président de la délégation spéciale, très attaché aux textes, entend se référer au cahier des charges pour désamorcer la crise. « Je n’interviens que sur la base des textes. Et en tant que juriste, si la loi est faite pour la population, c’est à elle de décider comment cette loi peut être réaménagée pour soulager toutes les parties », admet-il.

Les personnes affectées par la construction de la cité sont mobilisées pour défendre leur cause. Des démarches sont entreprises çà et là, mais jusqu’à présent rien ne semble véritablement bouger.Cependant, Yaya Konaté, ancien résident, ne perd pas espoir. « Chacun de nous a un bout de papier qui montre qu’il a versé 510 000F CFA à la mairie. Partant de là, nous avons une raison valable d’espérer que tout rentrera dans l’ordre », assure-t-il. Un avis partagé par Moussa Ouattara qui déclare : « On n’a d’autre choix que d’espérer. Comme nous avons nos quittances attestant que nous avons versé de l’argent, nous n’osons pas imaginer que ça n’aboutisse pas, même si nous trouvons que l’attente est trop longue ».

Moussa Ouattara, professeur : « nous trouvons que l’attente est trop longue »

Magnongohié Héma croit fermement à la bonne foi des membres de la délégation spéciale qui ont promis de résoudre cette crise foncière. Dans cette affaire, Boukary Sana, l’un des plus gros perdants, ne s’avoue pas vaincu. Malgré tout, il lit l’avenir avec beaucoup d’optimisme : « Cela aurait été d’autres personnes, elles auraient tenté de régler le problème autrement. Mais en tant que croyant, je laisse le temps au temps. Je sais que tôt ou tard, nous aurons nos parcelles ».

 

Ouamtinga Michel ILBOUDO

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