Il a un franc-parler qui dérange. Oumarou Razack Tapsoba avant d’être président du Rail club du Kadiogo (RCK) a joué dans cette formation « Orange et noir » où il a passé toute sa carrière de footballeur. Pourquoi avait-il accepté de briguer la présidence du RCK ? Pourquoi se retirer du milieu du football ? Quelle est son appréciation sur la gestion du football burkinabè ? Telles sont, entre autres questions qu’il a abordées dans l’entretien.

Qui était Oumarou Razack Tapsoba, le footballeur ?
Tout est parti de notre quartier. Je veux parler des quartiers saint. J’étais entouré d’aînés comme El hadj Seydou Tapsoba qui fut capitaine de l’ASRAN, actuel RCK, de Paul Pélé, actuel chef de Sabtoana, de Gualbert Kaboré, lui aussi capitaine de l’EFO et des Etalons. En les voyant jouer, j’ai voulu les imiter. Il fallait de ce fait commencer à ramasser leurs chaussures, à les laver, etc. Tout naturellement, j’ai emboîté leur pas. C’est ainsi que j’ai signé ma première licence à l’ASRAN. J’étais un milieu de terrain. Un joueur impulsif et plein de caractère. Je n’aimais pas surtout les défaites. Des défaites m’ont parfois fait pleurer. J’avais une bonne frappe de balle. J’aimais les petites touches.

Expliquez-nous l’histoire de ce bandeau sur la tête qui vous rendait facilement remarquablement. Votre wak comme disait quelqu’un ?
(Rires)- Pas du tout. A l’époque, nous étions une génération où chacun voulait laisser ses empreintes. Vous remarquerez que certains portaient des brassards, d’autres faisaient monter les chaussettes jusqu’au genou. J’ai préféré le bandeau à la tête.

L’on sait que vous n’êtes pas né Razack. D’où vient ce petit nom qui vous est resté collé?
Effectivement, à l’état civil je réponds au nom d’Oumarou Tapsoba. C’est depuis l’école primaire, lorsque les grands frères venaient nous voir jouer, ils se disaient que j’avais la même façon de toucher la balle et le même style de jeu que le Ghanéen Aboul Razack. Et depuis lors, tout le monde m’appelle ainsi et ce petit nom a pris le dessus sur Oumarou.

L’on sait qu’à votre époque, notamment dans les quartiers saints, les jeunes de votre âge étaient voués pour l’EFO ou l’ASFA-Y. Pourquoi vous au RCK ?
Vous avez dit vrai. A l’époque, toute ma famille était Jeanne d’Arc de Ouagadougou (actuel ASFA-Y). Il semblerait qu’il y a eu un temps où elle s’habillait chez nous avant d’aller au stade. Ce qui veut dire que notre cour familiale faisait office de siège de l’ASFA-Y. L’autre côté, il y avait la famille Kaboré avec les Gualbert. Là-bas, presque tout le monde était EFO. Sauf le regretté Clément qui avait opté pour l’ASFA-Y. Chez nous, mon aîné Seydou a préféré aller à l’ASRAN à cause de Yaya Zizien alors directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale. Il l’avait recruté à la caisse avec Paul Pélé et le regretté Moussa Kaboré dit Gringo. Avec le temps, j’ai décidé de le suivre en prenant le soin d’informer la famille. J’étais le seul à le suivre. C’est après que deux ou trois frères nous ont aussi suivi. La famille a ainsi été divisée entre l’ASFA-Y et l’ASRAN (rires).

Et dès votre premier match avec l’ASRAN, vous marquez le seul but de la victoire ?
Exactement ! Et je me rappelle comme si c’était hier. Ce fut un premier match plein d’anecdotes. Cette rencontre, c’était contre l’USO. Lors du dernier entraînement à la veille du match, je n’avais pas été retenu par notre coach d’alors Drissa Traoré Saboteur. Le jour du match vers 10h, j’étais en train de me reposer dans ma chambre. Entre-temps, mon papa, paix à son âme, vient taper à ma porte. Il m’informe qu’un policier m’attend dehors. Je sors, et je vois un policier joliment habillé qui n’était autre que Drissa Traoré Saboteur. Il me dit mon petit, après analyse, je pense que tu peux faire mon affaire pour le match de ce soir. Prends ton temps, ta douche et tes affaires pour qu’on aille au siège. Arrivé au siège, j’ai senti que des coéquipiers n’étaient pas contents. J’ai démarré le match sur le banc. Il était tendu avec un score toujours vierge vers la demi-heure de jeu. Entre-temps, Saboteur me demande de m’échauffer. Après l’échauffement, il m’appelle et me parle à l’oreille : «Il ne faut pas me mettre la honte. Je sais que tu as du talent et je compte sur toi. Soit sûr que le fait que je vienne te chercher à la maison a frustré certains de tes coéquipiers. Il faut que tu prouves à ces gens, que je n’ai pas eu tort de venir te chercher. Une fois sur le terrain, rappelle-toi que tu dois relever un défi. Que Dieu t’accompagne», a-t-il conclu en me tapotant. Dieu faisant bien les choses, j’ai marqué le seul but de la victoire suite à un tir d’une trentaine de mètres. Le grand frère Laurent Ouédraogo, actuel coach adjoint de l’USO était dans les buts. Je ne peux jamais oublier ce match.

A l’époque, pour une victoire lors d’un match aussi important comme celui-là peut vous rapporter combien comme prime ?
On n’avait pratiquement rien. Seulement, arrivé au siège, on buvait du Soda. Après, ils ont commencé à nous offrir des primes de match à raison de 1500 FCFA. Cette prime pouvait monter jusqu’à 3000 FCFA en cas de victoire.

Quelle comparaison faites-vous du niveau actuel du football burkinabè par rapport à votre époque?
Tout est devenu tactique maintenant. Les entraîneurs sont plus aguerris. La chance que les jeunes ont actuellement, nous, ne l’avions pas eue. Le football est devenu de nos jours du business. Il se professionnalise et on peut en faire un boulot. Alors qu’à une autre époque comme la nôtre, nous jouions pour le plaisir. Ce n’était pas pour une histoire d’argent. Le fait de défendre les couleurs d’une équipe déjà nous rendait fiers. Je me rappelle qu’à ce temps, nos aînés ne voulaient pas sortir comme ce qui se fait actuellement. Je me souviens que Laurent Ouédraogo, portier de l’USO, devait se rendre au Barça ou au Real je pense, mais il a refusé. C’est après cela qu’on les a convaincus et ils ont commencé à sortir. Et le même Laurent a pris la direction de la Côte d’Ivoire où il s’est engagé en faveur du Stella. Pour vous dire qu’à l’époque, les talents ne manquaient pas.

Vous avez été le président du RCK. Qu’est-ce qui vous avait motivé à briguer ce poste si l’on sait que le football est budgétivore ?
Avant d’être le président, j’étais d’abord le chargé de mission sous Amado Traoré. Après, l’équipe a eu des difficultés et nous sommes tombés en D2. Après cette descente, j’ai dit qu’il fallait resserrer la ceinture pour retrouver l’élite le plus vite. On a ainsi bataillé dur pour faire remonter l’équipe. Vincent Kambiré, Bamoussa Traoré et moi étions les trois à piloter l’équipe. On se débrouillait pour payer les salaires et les primes de matches. Dieu merci, nous sommes parvenus à notre objectif. Après, Vincent Kambiré m’a dit qu’il a eu un autre challenge et qu’il doit aller à la fédération. Pareil pour Bamoussa Traoré qui m’a informé qu’il devrait faire partie de la Ligue si je ne me trompe. C’est là que j’ai posé la question à savoir qu’est-ce qu’ils voulaient qu’on fasse de l’équipe si nous avions été les trois à se battre pour qu’elle retrouve la D1. Ne sachant pas quoi faire, je suis allé voir le président de l’Assemblée nationale de l’époque Roch Marc Christian Kaboré. Je lui ai expliqué la situation. C’est là qu’il m’a dit de prendre le club et qu’il allait me soutenir. C’est ainsi que j’ai accepté de prendre le club avec un soutien du président Kaboré qui nous a vraiment ouvert des portes. Nous avons ainsi pu gérer l’équipe avec de bons résultats.

Quel bilan faites-vous de votre passage à la tête du RCK ?
Le bilan est positif. En 2 ans, j’ai remporté la coupe du Faso. Dans le championnat, je me suis classé parmi les 5 meilleurs clubs du Burkina. En campagne africaine, nous avons éliminé une équipe nigérienne avant de se faire voler à Abidjan face à l’ASEC. Et comme vous le savez, les gens sont ce qu’ils sont quand ils constatent qu’un jeune dirigeant fait des merveilles. Quand je suis revenu d’Abidjan, ça a commencé à ne plus aller entre mon entraîneur et moi. Par la suite, il a démissionné. Il y avait plein de problèmes. Des gens m’accusaient de gérer le club seul. Qu’il faut une assemblée générale. Qu’il faut que j’explique comment je dépense, etc. Je me débrouille pour trouver l’argent et ils veulent des explications. J’ai vu que ça devenait compliqué. Cette période a coïncidé avec la création du Mouvement du peuple pour le progrès. L’un dans l’autre, je me suis dit que je ne pouvais pas cumuler les deux. J’ai donc décidé de quitter le RCK pour me lancer dans la politique afin de soutenir mon idole Roch Marc Christian Kaboré.

Comment expliquez-vous que vous vous retirez carrément du football ? L’on vous voit même très rarement au stade.
Le milieu du football n’est pas facile. C’est un milieu ingrat. Même si tu mets 1 milliard de francs CFA dans le football burkinabè, le jour où il n’y a pas de résultats, le premier à abattre est bien toi. Je me suis demandé à certain moment pourquoi continuer à injecter le peu que j’ai dans un milieu où souvent tu es traité de tous les noms d’oiseaux. C’est ainsi que j’ai décidé de laisser tomber carrément le football pour me consacrer à la politique.

Il paraitrait qu’entre le président Amado Traoré et vous ce n’est plus le parfait amour ?
Vous les journalistes, vous voulez que les gens disent souvent ce qu’ils n’ont pas envie de dire publiquement (rires). Amado est un grand frère, depuis les parents. Je ne vais pas entrer en profondeur mais je sais qu’à un certain moment, le courant ne passait plus entre lui et moi.

Peut-on s’attendre à vous revoir un jour dans le milieu du football ?
Je suis un croyant et je ne dirai pas jamais. Seul Dieu sait ce que demain nous réserve.

Par exemple comme président de la Fédération burkinabè de football ?
Ça ne m’intéresse pas.

Comment appréciez-vous la gestion du football burkinabè par la fédération ?
Je n’ai pas caché à apporter mon soutien à Sita Sangaré que je ne regrette pas d’ailleurs. Il fait de bons résultats. Avec lui, nous avons joué une demi-finale d’une CAN. Il faut que les gens lui reconnaissent cela. Même notre non- qualification à la CAN à venir n’est pas la fin du monde.
Ça n’arrive d’ailleurs qu’aux grands. Le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Nigeria pour ne citer qu’eux, ont connu cela mais se sont ressaisis de la belle manière.
C’est une invite pour nous de voir comment nous allons réorienter notre équipe. J’ai foi à l’avenir du football burkinabè.

Parlant toujours de la fédération, comment aviez-vous vécu la dernière campagne pour l’élection du président ?
Avec beaucoup d’intérêt. Beaucoup me reprochent parce que je dis souvent haut ce que certains pensent bas. Je n’ai rien contre Amado Traoré, mais je me dis qu’un homme doit avoir une vision et respecter ses engagements. Je l’ai écouté un peu partout à son temps où il disait qu’il ne serait pas candidat tant que Sita Sangaré le serait. J’ai applaudi en me disant que voici deux personnes ressources, si elles sont ensemble, elles peuvent faire du bien au football burkinabè. A ma grande surprise, même pas deux semaines après, j’apprends qu’il est candidat. Je me suis demandé dans quel monde nous sommes. Je ne fonctionne pas comme cela et pour moi, c’est du tâtonnement.

Militez-vous dans une association d’anciens footballeurs ?
Non, mais je les soutiens.

Comment trouvez-vous cette floraison d’associations d’anciens footballeurs au Burkina ?
Convenez avec moi que plus vous êtes unis et solidaires, plus vous avez la force. Je pense qu’on n’avait pas besoin de toutes ces associations. Pour moi, ce sont des jeux de mots sinon, ils sont tous des anciens footballeurs. Chacun a essayé de changer l’appellation et c’est cela qui est dommage.

Interview réalisée par Yves OUEDRAOGO

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