Son 5e essai avec un bond de 17,64m a suffi pour faire de lui le nouveau roi du triple saut mondial. Avant son retour au pays pour la présentation du métal précieux au peuple burkinabè, Hugues Fabrice Zango se livre après sa grosse performance à Budapest en Hongrie.

Quel sentiment anime le premier médaillé d’or burkinabè et africain du triple saut des mondiaux d’athlétisme ?

Je suis évidemment très content de pouvoir finalement faire résonner le Dytaniè à la plus grande compétition d’athlétisme au monde. Je suis aussi content de rajouter ce titre de champion à mon palmarès qui reste gravé à jamais dans l’histoire de l’athlétisme. J’ai désormais tout glané dans la carrière d’un athlète. Les Jeux olympiques (NDLR : Paris 2024) viendront couronner ma carrière.

Ta régularité dans les meetings cette saison y est pour quelque chose dans cette performance. Quel a été ton secret cette saison ?

Les années précédentes n’ont pas été tendres avec la charge de travail athlétisme et ma thèse de doctorat. Quoi qu’on dise, j’avais besoin de plus de temps avec mon coach, plus de temps de préparation pour les grosses échéances. On avait tout optimisé, mais, cela nous rapportait des podiums mais pas d’or. Avec l’achèvement de mes essais au laboratoire, j’ai eu un peu plus de temps pour me préparer même pour les meetings et comme on l’a vu, la constance a été la clé. Je sais reproduire ce type de performance à la demande dans tous les championnats.

Comment tu t’es senti à ces mondiaux de Budapest notamment lors des qualifications et de la finale ?

Participer à des mondiaux n’est jamais une tâche facile, même avec l’expérience que j’ai accumulée ces dernières années. Quand on aborde de grandes échéances, on est porté par nos espoirs et freiné par nos échecs passés. A ces mondiaux pourtant, comme aux autres d’ailleurs, mon espoir était plus fort. En réalité, il me suffit d’avoir un quart d’espoir pour foncer.

Quels ont été tes principales craintes en finale ?

En tant qu’athlète, il peut arriver qu’on ait des craintes. C’est humain, je dirai. Mais, en finale de ces championnats particulièrement, je n’avais aucune crainte ni aucun doute. Au contraire, j’avais beaucoup de certitudes…

A partir de quel moment de la finale as-tu vraiment cru à ton sacre ?

Après avoir retrouvé mes esprits au 4e essai. Oui, parce que je n’étais pas mentalement présent dans le concours qui n’était pas du niveau que j’espérais. Et avoir réalisé qu’il me suffisait de faire 17,60 m pour être hors d’atteinte et même avant mon 5e saut, je savais désormais que je gagnerais. Et le saut m’a donné raison.

Est-ce que l’absence du Portugais Pedro Pichardo, craint par les Burkinabè, t’a facilité la tâche aux mondiaux ?

En tant qu’athlète de ce niveau, nous flirtons avec les limites humaines connues et la blessure ou l’échec n’est jamais loin. En fait, se blesser c’est échouer. Ça nous arrive tous. C’est souvent de la malchance aussi, mais, on a choisi ce combat. Pichardo n’était pas là, je considère qu’il a perdu sans avoir livré le combat. Le niveau auquel nous étions a poussé Pichardo mais aussi d’autres personnes à se donner encore plus à fond, jusqu’à la faute, jusqu’à la blessure. On ne s’en réjouit pas pour autant et je souhaite d’ailleurs qu’il guérisse vite et bien. Mais, son absence a certainement ouvert une voie pour la deuxième place, mais cette année, la première était mienne et c’était écrit!

La présence de tes parents au stade a-t-elle été une source de motivation supplémentaire pour toi ?

Les parents étaient bien présents au stade. Depuis le début de l’année j’ai annoncé que cette année serait une bonne. J’ai voulu qu’ils profitent découvrir ce à quoi peuvent ressembler des championnats du monde. Leur présence m’a en effet insufflé un sentiment d’invincibilité. Le prochain challenge pour toi c’est certainement la médaille d’or aux Olympiades de Paris 2024.

Quels sont les plans de Hugues Fabrice Zango pour y arriver surtout que la concurrence sera encore plus forte ?

La concurrence n’est pas plus forte aux Jeux Olympiques, car, nous croisons à nouveau les mêmes. Cette année, 17, 60 m ont suffi pour gagner et c’est pour cela que nous avons juste fait 17,60 m. Je pourrai aussi rappeler qu’en 2023, j’ai répondu présent à 17, 80 m quand le concours proposait des athlètes à 17, 80 m. Je suis un compétiteur, mon niveau s’adapte aux défis et ceux qui me suivent depuis un bout de temps le savent. Quand je suis aux jeux de la Francophonie, je galère à faire 17, 11 m et avec des athlètes à 17, 60 m je suis de la partie. Cette capacité de réponse est très importante en grands championnats et je sais que pour Paris, elle sera mon arme.

Penses-tu avoir encore une marge de progression et que doit améliorer Hugues Fabrice Zango dans les prochains mois ?

Je suis déjà à la pointe de l’épée. Je suis dans le top 10 des triples sauteurs qui n’ont jamais existé. Je suis recordman du monde en salle. A ce niveau, on pourrait penser que seul l’aspect mental nous permet de progresser et grappiller des centimètres. Pourtant, on sait que je suis actuellement le plus grand monstre physique, vitesse, force du triple saut. Je pêche par ma maîtrise technique que je n’ai pas façonnée à mon adolescence et qui m’empêche de m’exprimer à 100%. Je suis dans une dynamique d’amélioration continue et l’année prochaine, je serai encore plus stable avec des performances encore plus élevées.

Il n’y avait que deux Burkinabè aux mondiaux de Budapest. N’est-ce pas peu alors que tu traces la voie pour d’autres depuis quelques années maintenant ?

Cela fait seulement 4 ans que j’ai ouvert la première brèche en rapportant le bronze à Doha en 2019. Je sais que depuis, les mentalités ont évolué et je le vois chez les plus jeunes athlètes. Par contre, les bonnes questions sont : avons-nous des pistes pour pratiquer de l’athlétisme ? Avons-nous des encadreurs bien formés aux dernières découvertes ? Finalement, appliquons-nous un plan de développement allant de la détection à la professionnalisation ? A toutes ces questions, j’ai envie de répondre par un non. Nous avons donc encore un peu de chemin. Et il faudrait que les lignes bougent.

Qu’est-ce qui doit être fait pour assurer une relève sûre ?

Si nous parlons d’athlétisme, il faut savoir que nous avons de la chance. Tous les jeunes athlètes du Burkina rêvent de médailles olympiques en comparaison à nos petits rêves de médailles régionales à l’époque. Désormais, il nous faut des infrastructures et une ligne directrice. Des efforts sont faits et j’espère qu’ils continueront.

Quels sont tes projets à court terme ?

Mes projets sont énormes. L’objectif majeur de la saison étant atteint, nous tournerons en meeting avant une petite pause pour préparer les Jeux Olympiques. Entre temps, à partir d’octobre, nous lancerons un projet pour faire vivre les Jeux Olympiques par le maximum de jeunes Burkinabè et nous aurons besoin de tous pour réussir ce challenge. Une médaille olympique lors des prochains JO peut-elle sonner le clap de fin pour toi ? (Rires!) Les Jeux Olympiques seront certainement ma dernière grande danse. Après 2024, mes objectifs dans le sport seront certainement différents. J’aurais eu la gloire et les émotions. Je voulais pour une fois encore profiter de vos colonnes pour avouer que j’ai une chance incroyable d’être Burkinabè et c’est cela qui me met où je suis actuellement. Quand je dis que je m’accroche à un demi-espoir, ce ne sont pas des balivernes, j’ai besoin de peu de motivations et d’espoir pour réaliser de grandes choses. Et aujourd’hui, mon peuple résilient doit plus que jamais travailler pour briller, malgré l’adversité en ce moment. Nous sommes des exemples dans la sous-région.

Interview réalisée par Yves OUEDRAOGO

 

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