Distribution électronique des intrants agricoles: la désillusion d’un mécanisme de rêve

Lancée officiellement, le 18 décembre 2018 à Dourou, dans la province du Passoré, par Jacob Ouédraogo, alors ministre de l’Agriculture et des Aménagements hydrauliques, la distribution électronique des intrants agricoles ou « E-voucher » bat déjà de l’aile. Deux ans après sa mise en œuvre, la plateforme est vivement décriée par nombre d’acteurs.

La distribution électronique des intrants agricoles, encore appelée « E-voucher », n’a pas atteint les résultats escomptés. En moins de deux ans d’existence, elle est rudement critiquée par certains acteurs agricoles. En effet, cette plateforme a été initiée en 2008 par le ministère en charge de l’agriculture en vue d’améliorer le système d’approvisionnement et de distribution des engrais aux producteurs. L’innovation qui intègre l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans cette distribution se fait via le téléphone mobile. Le producteur bénéficiaire reçoit un message lui indiquant la quantité d’intrants et le montant à payer. Il se rend à la boutique d’intrants muni de sa carte nationale d’identité burkinabè et entre en possession de son dû, après payement du montant indiqué. Ce mécanisme pilote de distribution électronique des intrants a été lancé le 18 décembre 2018 à Dourou, province du Passoré, par le ministre de l’Agriculture et des Aménagements hydrauliques, Jacob Ouédraogo. Un projet qui, à son avis, devra aboutir, avec efficacité et efficience, à la définition du nouveau mécanisme d’approvisionnement et de distribution des intrants, tel que mis en œuvre dans certains pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). La Banque mondiale et des partenaires à l’image de l’Association des grossistes et détaillants d’intrants agricoles (AGRODIA) ont contribué à la mise en œuvre du projet pilote « E-voucher ». En outre, le ministère a entrepris d’expliquer le mécanisme aux acteurs régionaux afin qu’ils se l’approprient. La garantie de la transparence dans la distribution des intrants subventionnés, la réduction des coûts de transaction, la délivrance à temps des intrants et l’amélioration du recouvrement de la contribution des bénéficiaires, sont autant d’avantages attribués au « E-voucher ». Mais contre toute attente, la plateforme tant admirée va être décriée parce que sa mise en œuvre rencontre des difficultés objectives sur le terrain. Le ton est donné par le Syndicat national des travailleurs de l’agriculture (SYNATRAG) qui, à travers une conférence de presse, en mi-juin 2020, a jugé la plateforme inadaptée avant de demander à ce que ce travail soit à nouveau confié aux agents d’agriculture.

L’indignation du SYNATRAG

Selon le syndicat, ce choix est une façon de sous-estimer les compétences des agents d’agriculture qui, le plus souvent, parcourent les campagnes à la rencontre des producteurs. « Les agents du département en charge de l’agriculture qui collaborent avec les producteurs, peuvent mieux contribuer au succès de la politique agricole pour un mieux-être du monde rural. Qui connaîtrait mieux les producteurs vulnérables, les caractéristiques des instants, équipements et animaux ainsi que leur utilisation que l’agent d’agriculture ? », s’indigne-t-il.
L’autre grief relevé par le SYNATRAG est que la majorité des producteurs ne savent ni lire ni écrire ; d’où un souci pour décrypter les messages. Il en est de même du traditionnel problème de réseau électronique, les sociétés de téléphonie mobile ne couvrant pas l’ensemble du territoire. Ces récriminations ont été corroborées en début juillet 2020 par une sortie du directeur régional en charge de l’agriculture de la Boucle du Mouhoun, John Herman Hien, qui a relevé des imperfections liées à la mise en œuvre du « E-voucher ». A l’entendre, la plateforme connaît de nombreuses contraintes telles que le manque de réseau, la non-réception de messages par les bénéficiaires et les pannes d’appareils. C’est pourquoi, il a invité les producteurs de sa région à se rendre directement dans les boutiques « AGRODIA » pour se faire servir, moyennant le paiement électronique de 1000 F CFA le kilogramme de semences. Au regard de ces anomalies constatées, que compte faire le ministère en charge de l’agriculture ? Une préoccupation qui est restée sans réponse parce que le directeur des intrants a préféré tout simplement nous fermer ses portes. Car, les tentatives de rentrer en contact avec ce dernier sont restées vaines.

Mady KABRE