Aménagement des « bullis » dans le Yatenga : Ces « mini barrages » qui soulagent les populations locales

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La question de l’eau se pose avec acuité dans la partie nord du Burkina Faso. Nonobstant les efforts consentis par l’Etat pour la construction des barrages, leur nombre reste en deçà des attentes. Pour y remédier, certaines structures non étatiques ont décidé de voler au secours des populations locales, en les dotant de petites retenues d’eau, appelées bullis en langue mooré. L’exemple de la ferme pilote de l’Association Wémanegré basée à Filly, dans la province du Yatenga, est illustratif. Les six bullis qu’elle a offerts aux populations du village et des environs restent à jamais gravés dans leur mémoire.

L’aurore vient de se lever à peine à Filly, un village situé à une quinzaine de kilomètres (km) au sud de Ouahigouya, dans la province du Yatenga. La population reprend peu à peu son traintrain quotidien. Par moments, des rafales de vents violents recouvrent de poussière les habitats, disséminés çà et là. L’harmattan bat toujours son plein. L’air sec et agressif ne laisse aucune peau indifférente. Déjà assoiffés, de petits ruminants et un troupeau de bœufs se disputent l’étang d’eau, sis à quelques encablures à l’est du village. En aval, des maraîchers sont à l’œuvre dans leur jardin. Des oiseaux de différents plumages essaiment aux abords de l’étendue d’eau, quand d’autres voltigent encore dans le ciel. Cet ouvrage hydraulique, loin d’être un barrage, est un « bulli » (étang aménagé, en mooré). Il a été réalisé en 2011 par la ferme pilote de Filly, une structure spécialisée dans la récupération des terres dégradées à travers l’aménagement des périmètres bocagers, et ses partenaires. Dénommée « bulli Selmidou » et érigée entre deux collines, cette retenue d’eau est la plus grande du village avec une capacité de stockage de 90 000 mètres cubes (m3). A l’image de Selmidou, cinq autres bullis font la fierté des populations de la localité et des environs. L’eau de ces mares artificielles est destinée à plusieurs usages dans les ménages, à l’abreuvement des animaux domestiques et sauvages et à l’alimentation de la nappe phréatique.

 Les corvées d’eau, un vieux souvenir

 Le directeur de la ferme pilote de Filly, Pamoussa Sawadogo : « Les bullis ont changé la vie des populations dans le village ».

Ce 10 février 2021, seul le bulli Selmidou n’a pas encore tari à Filly. Toutefois, les habitants ne perdent pas de vue tout le bien que l’ensemble des bullis leur procurent. « Avant, le village connaissait des problèmes d’eau et le sol était aride. On pouvait creuser un puits à plus de 20 mètres (m) sans rien trouver. Mais grâce aux bullis, nous avons de l’eau en permanence », se réjouit El hadj Adama Savadogo, la soixantaine révolue. A l’entendre, les pénuries d’eau à Filly relèvent désormais d’un vieux souvenir de près de dix ans. Pour la confection des briques, la construction des maisons, l’abreuvement du bétail et autres besoins, hommes, femmes et enfants se ruent vers ces retenues d’eau. Le bulli Selmidou qui semble pérenne reçoit plus de pression. Parmi les bénéficiaires, les femmes affichent une joie débordante. Le plus souvent tenaillées par les corvées d’eau, elles disent louer la réalisation des bullis. « L’arrivée des bullis a soulagé les femmes du village. Avant, on puisait l’eau dans des puits très profonds et cela nous fatiguait », indique Ramata Savadogo, une ménagère de 35 ans. Elle se souvient comme si c’était hier des souffrances que les femmes enduraient pour satisfaire les besoins en eau de leurs familles. Même lors des travaux collectifs, notamment la confection des briques ou la construction des bâtiments, les femmes et les filles sont à l’avant-garde. La corvée d’eau leur incombe. Il y a aussi l’abreuvement des animaux qui relevait d’un casse-tête. Ce calvaire, Ramata ne souhaite plus le vivre. « De nos jours, les hommes se déplacent au bulli pour la confection des briques et nos animaux y vont d’eux-mêmes pour s’abreuver », mentionne, le visage détendu, la trentenaire. Fatimata Nana, 40 ans, est du même avis lorsqu’elle affirme que les femmes du village ne sont plus angoissées par le problème d’eau. « Nous ne souffrons plus depuis une dizaine d’années », soutient-elle, sourire aux lèvres.

 

Des bullis salvateurs

A Filly, il n’y a pas que les femmes qui sont soulagées par l’aménagement des bullis. Issa Diallo, éleveur d’une trentaine d’années, est tout aussi gai. Il ne parcourt plus de grandes distances à la recherche d’eau pour son bétail. « On se servait des puits pour abreuver nos bêtes ou à défaut, on se déplaçait dans d’autres villages pour trouver des marigots. Les bullis nous ont sauvés », se satisfait le jeune pâtre. En aval du bulli Selmidou, Lazare Savadogo et deux de ses camarades s’adonnent au maraîchage. Dans un jardin d’environ un hectare (ha) et ceinturé par une haie de branchages, ils produisent, entre autres, l’oignon, la tomate, l’aubergine et le chou. Cela fait près de sept ans que ces trois jeunes s’investissent dans cette activité de contre-saison. La vente de leurs produits leur rapporte, chaque trimestre, entre 200 et 250 mille F CFA de bénéfices. « Avant, nous étions oisifs après la saison des pluies. Maintenant, grâce au bulli, nous travaillons en toute saison », souligne Lazare, âgé de 46 ans.

Selon les explications du directeur de la ferme pilote de Filly, Pamoussa Sawadogo, l’idée de la construction des bullis est venue du constat d’une pénurie d’eau criante dans la localité. « Quand on s’est installé en 2007, on a vite remarqué que la population souffrait du manque d’eau. L’autre constat est qu’il y a une forte érosion des terres à Filly. En tant que structure œuvrant dans la récupération des terres dégradées, cela nous a interpelés », relève-t-il. Il fallait donc agir. Ainsi, six bullis au total (trois à Filly et trois à Bilinga, Kourbo et Laoua) ont été réalisés à ce jour par les techniciens de la ferme pilote, à travers les activités de Haute intensité de main d’œuvre (HIMO). Il s’est agi, de l’avis de Pamoussa, d’impliquer la population, surtout les femmes, dans l’aménagement des retenues d’eau. Toute chose qui a permis aux femmes de gagner de l’argent durant cette période. Ces affirmations sont confirmées par les ménagères Ramata Savadogo et Fatimata Nana. Chargées de creuser à la main et de transporter la terre sur la tête en vue de l’érection des digues, chacune d’elle a participé à la construction d’au moins un bulli. « A l’époque, on était beaucoup de femmes contractuelles mais j’ai pu avoir plus de 50 mille F CFA qui m’ont permis de subvenir à mes besoins », se félicite Ramata. De son côté, Fatimata a pu récolter près de 70 mille F CFA, nécessaires à l’acquisition de plats, de vivres et de petits ruminants.

A un jet de pierre des habitats, trône le bulli Sambkoulga, réalisé en 2012. En aval de l’ouvrage, 12 puits à margelle sont éparpillés dans un espace de 3 ha environ. Ce périmètre, informe Samuel Sawadodo, l’un des techniciens de la ferme pilote, est destiné à la culture maraîchère. Mais pour l’instant, aucun aménagement n’est effectif. Même si le bulli a tari, on trouve par contre l’eau dans tous les puits. En attendant, ce sont les habitants qui se frottent les mains. Pour leurs besoins divers, ils y convergent chaque jour pour prélever la « précieuse denrée ».

 

 Une nappe d’eau bien fournie

Au bord de l’un des puits, Lassané Savadogo s’active à remplir deux barriques d’eau installées dans une charrette. Après avoir prélevé plusieurs fois le « liquide » à l’aide d’un bidon qui lui sert de puisette, il soutient, haletant, que les bienfaits des bullis ne peuvent être estimés. Ce natif de Filly est convaincu que ces étangs d’eau ont fortement contribué à enrichir la nappe phréatique de son village, jadis très profonde. Un peu plus loin, un autre puits est « pris en otage » par des femmes. Pendant que l’une s’affaire à donner à boire à une bourrique, les autres s’occupent de leur lessive en chantonnant. Amie Savadogo, la doyenne, loue également l’arrivée des bullis et surtout les puits qu’elle utilise chaque jour. Pour sa part, le directeur de la ferme pilote affirme que le soulagement de la population est manifeste. Car, à l’entendre, les corvées d’eau qui étaient pénibles ont cessé. « Des filles ont témoigné n’avoir pas été inscrites à l’école à cause de l’abreuvement des animaux », raconte Pamoussa Sawadogo. De nos jours, admet-il, les bullis ont changé la vie des populations à Filly. Ils ont aussi l’avantage d’empêcher l’eau d’inonder les habitats en hivernage.

Le bulli Manegrewayan n’est pas non plus loin de la bourgade. Situé au côté nord, il a une capacité de stockage de 50 000 m3. En aval, une rizière de 9 ha appartenant à neuf ménages est aménagée. La physionomie des souches des tiges laisse deviner que la récolte a été bonne. « A la campagne écoulée, l’un des producteurs a engrangé 50 sacs de 100 kg de riz paddy », atteste Samuel Sawadogo, notre guide. A écouter le directeur de la ferme pilote, Pamoussa Sawadogo, l’objectif du bulli n’est pas seulement de stocker l’eau pour les usages des ménages ou pour l’abreuvement des animaux. Il sert aussi, avance-t-il, à infiltrer l’eau dans le sol pour alimenter la nappe phréatique. Que l’eau du bulli stagne longtemps ou pas, soutient l’environnementaliste, on sort toujours gagnant. « Si l’eau demeure pendant plusieurs mois, elle profite aux hommes, aux animaux domestiques, sauvages et aux oiseaux. Si elle s’infiltre, c’est une occasion de charger la nappe phréatique », étaye M. Sawadogo. Pour preuve, indique-t-il, cette infiltration a permis d’alimenter les puits du village en eau de boisson, de pratiquer le maraîchage et de cultiver le riz sur un sol autrefois dénudé.

L’ensablement, une menace sérieuse

L’aménagement de bulli dont le but est d’infiltrer l’eau dans le sol, le prix Nobel alternatif 2018 et Champion de la terre 2020, Yacouba Sawadogo, est en train de l’expérimenter au cœur de sa forêt à Gourga, à la périphérie de Ouahigouya. Débutés en février 2018, les travaux de l’étang sont presque achevés.

 Avec les moyens du bord, le Champion de la terre 2020, Yacouba Sawadogo, a presque bouclé son bulli.

Malgré le poids de l’âge (75 ans), nous avons trouvé le « vieux » tôt dans la matinée du 12 février 2021 en pleine activité sur la digue de son bulli. Assis à même le sol et tel un travail de fourmis, il ramasse des pierres qu’il place, l’une après l’autre, sur la muraille de terre en vue d’un bon tassement. « L’objectif du bulli est de permettre une bonne infiltration de l’eau pour nourrir les plantes. Les animaux de la brousse et les oiseaux vont également en profiter », justifie le septuagénaire. Son fils, Lookman Sawadogo, précise que l’endroit où le bulli est aménagé est très aride au point que les arbres qui y étaient continuaient de végéter. D’où l’idée de construire une retenue d’eau.

A l’image des barrages, les bullis sont aussi confrontés au phénomène d’ensablement. Cela constitue la grosse préoccupation actuelle des habitants de Filly. D’une même voix, ils sollicitent le curage de ces mares artificielles ou l’agrandissement de leur capacité de stockage. « Le bulli Selmidou était pérenne. Mais avec l’ensablement, il tarit avant la saison des pluies », se désole Daouda Ouédraogo. C’est à contrecœur que Lazare et ses camarades sont obligés de suspendre leurs activités de maraîchage entre les mois d’avril et de mai à cause du manque d’eau. Fatimata Nana et El hadj Adama Savadogo, eux, souhaitent voir le nombre des bullis se multiplier au grand bonheur de la population. Pour limiter l’ensablement que le directeur de la ferme qualifie de phénomène mondial, il préconise la mise en place de dispositifs antiérosifs (haies vives, cordons pierreux) en amont des bullis.

Créer plus de retenues d’eau au Nord

Tous les villages environnants de Filly, informe Pamoussa Sawadogo, peuvent être bénéficiaires des bullis mais à condition qu’ils fassent la demande et qu’ils soient dans le rayon d’intervention de la ferme (15 km à la ronde). Disposer d’un site favorable à l’aménagement du bulli serait aussi un atout, à son avis. Car, révèle-t-il, plus il y a des côtes, moins on construit une digue longue et coûteuse. C’est le cas du bulli Selmidou qui est contigu à des collines. Malgré sa grande capacité (90 000 m3), il a coûté environ 11 millions F CFA avec une digue longue de 200 m. Par contre, le bulli Manegrewayan (50 000 m3), dont la digue s’étale sur 300 m, a coûté près de 20 millions F CFA, dû au fait qu’il est construit sur un terrain plat.

Le Nord étant une zone pastorale et à potentiel maraîcher, le Directeur régional (DR) de l’Agriculture, des Aménagements hydroagricoles et de la Mécanisation, Abdoul Karim Ouédraogo, reconnait la nécessité des bullis pour les populations locales. « Le bulli est le seul recours pour ceux qui n’ont pas de barrages dans leurs localités. Malheureusement, il ne retient pas l’eau pendant longtemps, surtout quand la demande est forte », souligne-t-il. Son homologue de l’Eau et de l’Assainissement, Evariste Zongo, estime à 162 le nombre de retenues d’eau (barrages, mares et bullis confondus) dans la région du Nord. Parmi celles-ci, une soixantaine sont des bullis. Un nombre qui reste en deçà des attentes, selon le DR Zongo. Si le barrage se réalise à coût de milliards F CFA, le bulli, lui, peut s’obtenir avec une dizaine de millions. C’est pourquoi l’ingénieur du génie rural plaide pour l’accroissement des bullis dans sa région. « La réalisation des bullis contribue à compenser la demande en eau, en permettant de réduire la pression sur les barrages », déclare M. Zongo. En attendant, le défi de la mobilisation de la ressource en eau dans la zone nord reste entier.

Mady KABRE

dykabre@yahoo.fr


Un périmètre maraîcher en souffrance

En vue de permettre aux populations de Filly de s’offrir des produits maraîchers, la ferme pilote a décidé, depuis 2013, d’aménager un périmètre de 3 ha en aval du bulli Sambkoulga. A cet effet, 12 puits à margelle d’une valeur de 12 millions F CFA ont été réalisés. Mais jusqu’à présent, le projet peine à décoller du fait de la réticence de certains propriétaires terriens. Selon le directeur de la ferme, Pamoussa Sawadogo, les pourparlers se poursuivent pour trouver une issue heureuse à cet imbroglio. « Au fur et à mesure que le temps passe, je pense que les acteurs comprendront l’importance du périmètre maraîcher et qu’ils s’élèveront au-dessus de la mêlée pour voir l’intérêt commun », espère-t-il

M.K.