Printemps arabe : Dix ans après, le changement se fait toujours attendre

CAIRO, EGYPT - FEBRUARY 01: Protestors gather in Tahrir Square on February 1, 2011 in Cairo, Egypt. Protests in Egypt continued with the largest gathering yet, with many tens of thousands assembling in central Cairo, demanding the ouster of Egyptian President Hosni Mabarak. The Egyptian army has said it will not fire on protestors as they gather in large numbers in central Cairo. (Photo by Peter Macdiarmid/Getty Images)

Il y a 10 ans, en début d’année 2011, un vent nouveau soufflait, sur la partie nord du continent, à travers des soulèvements populaires. Dans les rues de Tunis, du Caire et de Tripoli, des manifestants ont envahi les voies et la toile pour demander la chute de régimes dictatoriaux ou autoritaires installés depuis des décennies. Sous le slogan « le peuple veut la chute du régime », ils exigeaient l’instauration de la démocratie, la justice sociale, la dignité, face à la corruption, aux inégalités et à la répression.

Dix ans après, que reste-il de ces révoltes,  baptisées « printemps arabes » par les médias occidentaux en référence aux « printemps des peuples » en Europe en 1848 ? Si  en Tunisie en Libye et en Egypte, les protestations ont conduit à la chute historique de leurs dictateurs,  seule la Tunisie a connu, à ce jour, une transition démocratique, même si le pays traverse toujours  des zones de turbulences…

Tout commence  le 17 décembre 2010, quand  Mohamed Bouazizi, un marchand de fruits ambulant, se suicide par le feu à Sidi Bouzid pour protester contre la saisie de sa marchandise par la police. Des manifestations s’organisent dans plusieurs villes pour demander la « dignité », dénoncer le chômage, le coût de la vie, les inégalités sociales, économiques et territoriales. «  Accusé de corruption, de népotisme et de violations des droits de l’homme, le président de l’époque,  Zine El-Abidine Ben Ali, au pouvoir depuis 1987,  s’enfuit avec sa famille en Arabie saoudite Le 14 janvier 2011.  Une nouvelle ère s’ouvre alors dans ce pays où l’on a pensé à l’avènement d’une démocratie vraie et à une véritable justice sociale. Malheureusement l’instabilité politique a succédé à la révolution. En 10 ans, la Tunisie a eu neuf exécutifs, dont certains n’ont tenu que quelques mois, ce qui a rendu la relance de l’économie difficile. Parallèlement des contestations épisodiques ont continué dans plusieurs villes comme par exemple le mouvement de contestation en début 2018, suite à l’entrée en vigueur d’un budget d’austérité. Et la vague terroriste de 2015 n’a pas arrangé les choses avec l’affaiblissement du tourisme, secteur important pour l’économie tunisienne.

La situation actuelle est certes marquée par des   avancées institutionnelles, mais la   crise économique est plus forte qu’en 2010, estiment des analystes. Ils n’ont pas tort. Au lendemain du dixième anniversaire de la chute du président Ben Ali, le 14 janvier 2011, des troubles ont éclaté dans des quartiers marginalisés frappés de plein fouet par une crise économique inédite. Dans  de nombreuses villes tunisiennes, des jeunes ont affronté la police avec l’arrestation de centaines de personnes. A cela s’ajoutent   les tensions politiques entre le président et le Parlement,  Les législatives de 2019 ayant  abouti à un Parlement divisé en une myriade de partis formant des alliances fragiles, ce qui accentue l’instabilité politique du pays.

 

Comme un effet de contagion, c’est autour de l’Egypte d’être gagnée par la vague contestataire, quelques semaines plus tard. Le 25 janvier 2011, des milliers d’Egyptiens défilent au Caire, à Alexandrie et dans de nombreuses autres villes pour réclamer le départ d’Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981. Le 11 février, le président démissionne après trente ans d’un règne sans partage et remet ses pouvoirs au Conseil suprême des forces armées. La répression du soulèvement fait au moins 850 morts.

En 2012, le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, devient le premier président issu d’un scrutin libre. Il est aussi le premier islamiste et le premier civil à présider le pays. Un an plus tard, après des manifestations de masse, il est destitué par l’armée dirigée par Abdel Fattah Al-Sissi. La reprise se fait par une répression sanglante et l’emprisonnement de milliers d’islamistes, avant de concerner également les milieux libéraux. Mohamed Morsi est condamné à la prison à vie.

L’analyse de  situation actuelle en Egypte révèle une sorte de confiscation de la révolution. D’abord par les frères musulmans, ensuite par l’Armée. Depuis le coup d’Etat d’Abdel Fattah Al-Sissi, on estime que  60 000 opposants, militants des droits de l’homme et journalistes ont été arrêtés, emprisonnés. De plus, on note une surveillance des réseaux sociaux et un contrôle des médias.

On se rappelle qu’en  réponse aux manifestations qui ont éclaté également en février 2011 en Lybie, le colonel  Mouammar Kadhafi, au pouvoir depuis 1969, menaçait de traquer les rebelles « rue par rue, allée par allée, maison par maison ».

Peine perdue. Une coalition emmenée par Washington, Paris et Londres lance une offensive contre le régime.  Et le  20 octobre, Mouammar Kadhafi est tué dans le dernier assaut contre sa région d’origine, Syrte. Trois jours plus tard, le Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion, proclame la « libération totale » du pays.

La chute de Mouammar Kadhafi a précipité la Libye dans la guerre civile entre groupes rivaux et jihadistes. Depuis 2015, deux autorités se disputent le pouvoir : le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez Al-Sarraj, basé à Tripoli (ouest du pays) et reconnu par l’ONU, et l’Armée nationale libyenne (ANL) incarnée par le maréchal Khalifa Haftar, à l’est. Plusieurs puissances étrangères sont impliquées dans le conflit. La Russie, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite soutiennent l’ANL tandis que la Turquie a envoyé des renforts militaires auprès du GNA.

Près de 800 000 Libyens ont fui à l’étranger, principalement vers la Tunisie et l’Egypte La Libye reste la destination de transit privilégiée des migrants d’Afrique de l’Est et de l’Ouest, en raison de sa proximité avec l’Europe du Sud. En 2020, de nouvelles protestations ont éclaté contre la corruption, le coût de la vie et la défaillance des services publics. La production pétrolière, principale richesse du pays, a chuté de 90% (100 000 barils par jour contre 1 million à la fin 2019), entraînant des importations massives d’essence.

Au final, les peuples dans cette partie du continent qui aspiraient à plus de liberté et d’égalité sociale, sont tombés dans la désillusion.  Pour l’avènement d’une démocratie acceptée par tous, d’une liberté d’expression,  d’une  justice sociale et la fin des inégalités, la corruption  et de la répression, il faudra encore attendre…

Gabriel SAMA

Sources : Le monde, France info, Le Point Afrique