Lutte contre la défécation à l’air libre, Le village de Zoro, un cas d’école

Plus personne ne fait ses besoins à l’air libre à Zoro, petit village situé dans la province de la Sissili, région du Centre-Ouest, et rattaché à la commune de Léo. Après des années de sensibilisation, les villageois prennent désormais l’habitude de recourir à des latrines pour se soulager. Carrefour africain a fait un tour dans cette bourgade de 750 habitants. Reportage.

Jeudi 25 mars 2021. Une journée caniculaire s’annonce à Zoro, localité située à 5 km de Léo, chef-lieu de la province de la Sissili, région du Centre-Ouest. Le soleil darde ses rayons ardents sur le village, mettant en évidence l’ombrage des manguiers qui servent de lieux de repos aux habitants. Le visiteur reste admiratif de la beauté du village. Les concessions sont bien nettoyées, les places publiques soigneusement débarrassées de leurs ordures. Finies les odeurs nauséabondes des excrétas qui indisposaient la vie des habitants. «Avant, nous avions toutes les peines du monde à respirer », se souvient Salif Dagano, le président du Conseil villageois de développement (CVD) de Zoro. Le CVD fait allusion au changement qui est intervenu dans le village à la suite des réalisations d’infrastructures d’assainissement par les populations elles-mêmes. Dans la concession de Oumarou Ziba, les membres de la famille ont désormais un cadre adéquat pour se libérer : la latrine. Elle a été construite grâce à l’initiative FDAL du projet Assainissement total piloté par la communauté (ATPC), une approche qui a eu l’entière adhésion de la population de Zoro. Dès lors, les membres de la famille Ziba ne se rendent plus derrière les buissons pour se soulager. C’est ainsi que la famille Ziba a réussi à éradiquer le phénomène en son sein. A l’intérieur de la latrine se trouvent une boule de savon, une bouilloire avec de l’eau et de la cendre. La cendre remplace le savon quand il vient à manquer. Deux puisards ont été également réalisés pour la gestion des eaux de la douche.

Un dispositif artisanal de lave-mains se dresse également à l’entrée de la cour. Oumarou Ziba n’est pas un cas isolé à Zoro. Dans la cour de Salam Dagano, la construction d’une latrine a bouleversé les vieilles habitudes. A notre passage, aucun membre de cette famille ne se cachait encore dans les broussailles pour faire ses besoins. Oumarou Dagano, conseiller municipal de Zoro, assure que les villageois ne partent plus vider ce qui ne leur appartient pas dans la nature. A Zoro, des comportements responsables ont été adoptés par les populations en termes d’utilisation systématique et d’entretien des latrines et de lavage des mains. Quant aux enfants, leurs mamans les initient à se soulager dans des pots. «Finalement, ils se sont habitués. Même ceux qui ne parlent pas font des signes », informe Salif Dagano. L’utilisation des latrines est devenue un réflexe, voire une norme sociale à Zoro. Chez le chef du village, les latrines sont au nombre de 4.

L’autorité coutumière veut donner le bon exemple. « Si en saison pluvieuse, quelqu’un veut se soulager sous la pluie, il fait comment ? », se justifie-t-il, le regard interrogateur. C’est justement pour parer à toute éventualité qu’il a préféré les latrines à la nature. «La réalisation de toutes ces infrastructures vise à empêcher mes proches d’aller déféquer à l’extérieur », signale-t-il. Zoro compte 106 ménages avec une population de 750 habitants, nous renseigne Aïssata Sawadogo, superviseuse de l’Association pour la paix et la solidarité (APS) de la zone de Léo, à l’issue d’une étude qui a été réalisée avant le démarrage de l’ATPC. A ce jour, ce village se retrouve avec 130 latrines dont 66 nouvellement construites par la population elle-même après le déclenchement, en plus de 64 autres déjà existantes. Soit un surplus de 24 latrines par rapport au nombre de ménages. Une situation qui amène le chef du village à affirmer, un brin fier, que toutes les concessions disposent, au moins, d’une latrine. Ces bonnes actions ont également permis à Zoro de préserver la santé de sa population des 270 tonnes d’excrétas produites par an. « Il ne se passait pas un mois sans qu’un membre de ma famille ne tombe malade. Mais de nos jours, ce n’est plus le cas », se réjouit le chef. Les femmes attestent qu’elles veillent scrupuleusement au strict respect des règles d’hygiène. Alimata Néya, 23 ans, reconnaît que Zoro vient de loin. « Avant, il y avait le caca partout. Mais actuellement, vous pouvez faire le tour du village et des concessions sans voir ces excrétas », martèle-telle, arguant que personne n’ose encore se soulager dehors dans sa famille. Des propos corroborés par la présidente des femmes de Zoro, Roukia Néya qui apprécie ce changement de comportement au sein de la communauté.

Une journée de salubrité instituée

La fin de la défécation à l’air libre constitue l’un des produits du Programme national d’assainissement des eaux usées et excrétas (PN-AEUE) du Burkina Faso. La vision du projet « Assainissement total piloté par la communauté (ATPC) » lancé en 2016 dans la Sissili est d’accroître en milieu rural, le taux d’accès à l’assainissement de 12% en 2015 à 100% en fin 2020. Dans cette province, ce projet est mis en œuvre par l’Association pour la paix et la solidarité (APS), en partenariat avec l’UNICEF et la direction régionale de l’Eau et de l’Assainissement du Centre-Ouest. Zoro, en plus d’avoir réussi à éradiquer la défécation à l’air libre, s’est engagé à assainir son milieu de vie. Une journée de salubrité a ainsi été instituée. Elle se tient chaque semaine. Lors de notre passage, les habitants s’attelaient à nettoyer le village. Pagnes bien noués autour des reins et munies de balais, de râteaux et de machettes, les femmes s’activent à débarrasser Zoro de toutes ses ordures. Certains hommes leur apportent un coup de pouce. Parmi eux figure Oumarou Ziba. Il aide à collecter les déchets avec une charrette pour les déposer dans la poubelle. Le travail se déroule dans un climat convivial. Même si l’objectif visé est de rendre le village propre, l’activité contribue, en revanche, à renforcer les liens entre les résidents. « Nous sommes devenues comme des membres d’une même famille », révèle  Roukia Neya, la responsable des femmes. Et d’ajouter : « Nous arrivons à travailler ensemble sans aucune querelle ». Le changement de comportement est perceptible. Alimata Neya, mère de deux enfants, est engagée dans ce combat sans merci contre les mauvaises pratiques. « Nous ne voulons plus voir les saletés dans notre village », relève-t-elle. Embouchant la même trompette, Alimata Sawadogo déclare : « Nous aspirons à vivre dans un environnement sain ». La prise de conscience est totale. La satisfaction se lit sur le visage du directeur provincial de l’Eau et de l’Assainissement de la Sissili, Moussa Ramdé. « Au vu des résultats, on peut dire que la mayonnaise a pris», s’emballe-t-il. Toutefois, il prévient : « Si on vous prend en train de déféquer à l’air libre…».

Un lointain souvenir

Les ordures et les excrétas qui jonchaient les lieux publics, les concessions et les voies relèvent désormais du passé à Zoro. C’est avec un sentiment de joie que les populations savourent leur victoire, tout en prenant l’engagement de ne jamais reculer. De nombreux témoignages recueillis sur place font ressortir qu’on y enregistre moins de maladies (diarrhées, maux de ventre, vomissements, paludisme) chez les enfants. « Mes enfants tombaient régulièrement malades et il fallait chaque fois les emmener à l’hôpital pour des soins », atteste Alimata Neya. Fort heureusement, elle confie que la donne a changé puisqu’il y a bien longtemps qu’elle a mis les pieds à l’hôpital. Et comme les dépenses en soins ont diminué, elle a choisi de mettre l’accent sur l’alimentation. « Nous mangeons très bien maintenant », confesse-t-elle. Dans le même ordre d’idées, Alimata Sawadogo avoue que son argent ne va plus dans les soins. « Je l’investis dans les activités génératrices de revenus pour qu’il me rapporte des bénéfices », explique-t-elle. Les effets positifs de l’ATPC sont aujourd’hui perceptibles au sein de la communauté. Grâce à cette approche, les femmes ont pu économiser de l’argent pour monter leur projet. «Cela nous a permis de mettre en place une coopérative d’étuveuses de riz qui fonctionne sur la base des cotisations de ses membres», souligne Alimata Sawadogo, toute joyeuse. « L’hygiène nous a sauvés », renchérit-elle. Alimata Neya est du même avis. Mieux, elle rit des agents de santé. « Ils ne peuvent plus bouffer notre argent », indique-t-elle, le ton moqueur. La responsable des femmes de Zoro, Roukia Neya, 45 ans et mère de huit enfants, est reconnaissante aux animateurs qui leur ont ouvert les yeux. Le calvaire des femmes, de son avis, est devenu un lointain souvenir. « Maintenant, nous arrivons à payer les frais de scolarité de nos enfants et à mener des activités qui nous permettent de nous prendre en charge», avance-t-elle. Salif Dagano déclare pour sa part qu’il se rendait 5 à 6 fois par an à l’hôpital pour des raisons de santé. Mais durant ces deux dernières années, fait-il remarquer, les maladies ont progressivement disparu du village. Le constat qui se dégage est que les maladies dues au manque d’hygiène et d’assainissement sont atténuées à Zoro. L’agent de l’ONG-D APS, Aïssata Sawadogo confirme que les dépenses des ménages en matière de soins ont connu une baisse. Et puisqu’ils ne dépensent plus beaucoup, déduit-elle, le niveau de vie s’est amélioré. A l’entendre, avant le démarrage des activités, APS a mené une étude qui lui a permis d’évaluer les dépenses annuelles en soins de chaque ménage qui tournent autour de 50 000 FCFA en moyenne, soit environ 5 300 000 FCFA pour tout le village. Même si aucune étude n’a été réalisée récemment pour réactualiser ces chiffres, elle estime que les effets positifs de l’ATPC sur la vie communautaire ne sont plus à démontrer.

Changer de comportement

En matière de réalisation d’ouvrages d’assainissement, Zoro n’est pas à sa première expérience. Avant l’ATPC, l’ONG CREDO avait piloté un projet du genre qui a connu des fortunes diverses. A l’époque, elle avait évalué le coût d’une latrine à 20 000 FCFA. Au regard du montant qu’elle juge difficilement supportable par les villageois, elle se propose de subventionner la réalisation de ces infrastructures. Des dalles furent confectionnées au profit de chaque ménage. Cependant, une contribution de 4 000 FCFA par ménage avait été sollicitée. Quant au ciment et la main d’œuvre, rappelle Oumarou Dagano, c’est toujours CREDO qui prend ces dépenses en charge. Malgré tout, la population n’a pas adhéré au projet. A entendre le conseiller municipal, la différence avec l’ATPC se situe au niveau de l’approche. A ce sujet, le directeur provincial de l’Eau et de l’Assainissement de la Sissili, Moussa Ramdé, témoigne : « Au début, cela n’a pas été du tout facile parce que les populations s’attendaient à ce qu’on leur donne de l’argent. Mais le projet ne leur a pas donné de l’argent. Seulement avec les actions de sensibilisation, les populations ont pris conscience ». Polygame, père de quatre enfants, le conseiller Dagano, 37 ans, tire son chapeau à l’ATPC au regard des résultats engrangés en si peu de temps« Nous avons compris que réaliser une latrine ou assainir son cadre de vie n’est pas une question de moyens», reconnaît-il. Cependant, il a fallu coûte que coûte surmonter certaines épreuves avant de voir le bout du tunnel. L’ATPC a, en effet, dû faire face à des insoumis. «Au départ, il y a eu quelques brebis galeuses au sein des populations», dévoile le chef du village. En effet, les personnes réfractaires au changement sont convoquées devant le chef et les notables du village. Grâce à leur intervention, les récalcitrants sont rentrés dans les rangs. « Si l’animateur vient trouver des saletés dans une cour, il interpelle une première fois le chef de famille et la prochaine fois, ce dernier est traduit en conseil de discipline devant le conseil des sages », relate Oumarou Dagano. Dans le cadre de l’ATPC, plusieurs méthodes ont été utilisées. Cependant, les efforts ont été cristallisés notamment sur la sensibilisation, la communication pour le changement de comportement et surtout le suivi rapproché. Le conseiller municipal affirme qu’APS a eu une approche simple en ce sens que l’animateur parcourait le village de concession en concession, pour suivre chacun dans son travail. « En fin de compte, les gens ont compris l’intérêt d’avoir des latrines», note Moussa Ramdé.

A en croire Aïssata Sawadogo, superviseuse de l’ONG-D APS, la communauté de Zoro est très dynamique. Elle se dit heureuse de constater que l’approche a produit les effets escomptés parce qu’elle a permis aux villageois de croire à l’initiative FDAL. « C’est une approche qui permet à la communauté d’analyser sa situation sanitaire et de prendre conscience. C’est à elle maintenant de décider de quitter la défécation à l’air libre, au vu de ses inconvénients sur sa santé », assure Mme Sawadogo. Elle souligne en outre qu’au niveau de l’ATPC, il n’y a pas de subvention. Le principe étant que chaque ménage construise lui-même ses latrines par ses propres moyens. « A travers la communication, nous sommes parvenus à convaincre la communauté d’arrêter la défécation à l’air libre et d’assainir son environnement», détaille-t-elle. Cette approche responsabilise davantage les populations car elle les met devant les faits. Zoro n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Les 156 villages que compte la province de la Sissili ont mis fin à la pratique tout en prenant l’engagement de ne pas rechuter. La Sissili est donc la première province du Burkina sur les 45 à parvenir à éradiquer la défécation à l’air libre et à assainir son cadre de vie. Cette victoire, les autorités l’ont célébré le 26 mars 2021 à Léo à travers une cérémonie festive dont les ministres en charge de l’Eau et de l’Environnement ont pris part. Ces bons exemples pourraient inspirer d’autres provinces, reste à savoir si leurs populations sont prêtes à adopter des comportements responsables comme à Zoro.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

Omichel20@gmail.com