Reboisement à l’aide des puits racinaires : Une alternative contre l’avancée du désert

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Dans la partie nord du Burkina Faso, le désert avance à grands pas. Les multiples actions anthropiques sur l’environnement, conjuguées aux effets néfastes du changement climatique, ne sont pas de nature à stopper cette catastrophe écologique. Malgré les campagnes de reboisement organisées chaque année par le gouvernement, la situation demeure préoccupante. Toutefois, des particuliers font l’exception à Filly et à Gourga, dans la province du Yatenga. Avec des techniques propres à eux, notamment des puits racinaires, ils réussissent bien leur plantation.

En bordure des ruelles, des haies d’arbres géants accueillent tout visiteur. Brandissant de beaux feuillages abondants, leur ombre épaisse donne une folle envie de s’y abriter. Espacées de 20 mètres chacune, ces espèces végétales sont principalement des Khaya senegalensis (caïlcédrats). A l’intérieur des quartiers, le constat est le même. Des Azadirachta indica (neem) peuplent l’espace. Hommes et animaux ne se font pas prier pour se prélasser sous ces arbres. Nous sommes pourtant dans un environnement sahélien. Ce 10 février 2021, le village de Filly, situé à une quinzaine de kilomètres (km) de Ouahigouya, dans la région du Nord, semble perdu au milieu d’une population de végétaux. Aux dires des habitants, la situation était tout autre il y a une dizaine d’années. Jadis dénudé, l’environnement a repris sa verdure. Cette reforestation est l’œuvre de la ferme pilote de l’Association inter-villages Wémanegré, créée en 2007 et basée à Filly. Spécialisée dans la récupération des terres dégradées, la structure a changé le visage de la localité. Dans son périmètre de 15 hectares qui fait office de siège, on y trouve tout type de plantes. Des caïlcédrats, des anacardiers, des arbres à karité et même ceux des zones humides comme le palmier à huile se laissent admirer.

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Parmi ces espèces, aucune ne végète à vue d’œil. Comment arrivent-elles à survivre sur un sol aussi aride ? Est-on tenté de s’interroger. Le secret, seuls les techniciens de la ferme pilote le détiennent. Selon son directeur, Pamoussa Sawadogo, c’est l’utilisation des puits racinaires qui leur permet de réussir une telle prouesse. « Un puits racinaire est un trou de 90 centimètres (cm) de diamètre et de deux à six mètres de profondeur, selon la texture du sol. Il a pour rôle de capter l’eau de la saison pluvieuse et de l’infiltrer profondément en vue de permettre à la plante de croître dans de bonnes conditions », clarifie-t-il, de prime abord. Pour lui, les centaines d’arbres plantés par la ferme pilote l’ont été dans des puits racinaires, le milieu étant rocailleux. La technique, explique-t-il, consiste à briser la croute latéritique du sol jusqu’à retrouver l’argile tendre sous-jacente en vue de permettre une pénétration profonde des racines et leur assurer de l’eau toute l’année. La profondeur du trou sera déterminée par l’épaisseur de la couche latéritique qui peut ainsi aller jusqu’à six mètres, d’où le nom de puits racinaire.

Une technique bien appréciée

Le puits ainsi creusé est rebouché avec la même terre de sorte que les différentes couches se mélangent pour créer une certaine porosité et permettre l’infiltration de l’eau. Une demi-lune est créée autour du trou pour faciliter la canalisation des eaux de ruissellement vers l’intérieur. « Nous creusons les puits en saison sèche et après le tassement des terres remuées par les premières pluies, nous plantons nos arbres que nous protégeons. Ces arbres bénéficient de l’eau de toute la saison pluvieuse que le trou a suffisamment captée pour permettre le développement de leur système racinaire », précise le directeur de la ferme pilote. Cette quantité d’eau stockée, poursuit-il, suffit largement à la plante de se nourrir jusqu’à la prochaine saison. Point besoin de faire de l’arrosage d’appoint en saison sèche. Par cette technique, des centaines d’arbres ont été plantés à Filly et dans les environs. Pamoussa Sawadogo dit ne pas pouvoir donner un nombre exhaustif. « Nous avons fait cinq kilomètres de routes inter-villages bordées de caïlcédrats. Dans la ferme, on y plante tout type d’arbres et des neem dans les différents quartiers », ajoute-t-il. Le reboisement se fait également dans les champs situés à l’intérieur des périmètres bocagers à travers les arbres d’axe qui sont généralement des espèces locales.

La technique des puits racinaires semble avoir impacté le milieu au point que les populations s’en inspirent dans leur pratique. Même si elles ne vont pas jusqu’à six mètres de profondeur, elles creusent des trous de plus d’un mètre au moins. Daouda Ouédraogo, 39 ans, travaille dans l’un des périmètres bocagers. Grâce à la technique, il dit avoir réussi la plantation des arbres d’axe dans ses parcelles d’exploitation. « Je respecte les consignes données par les techniciens de la ferme pilote. Aujourd’hui, j’ai plus de 20 pieds de baobab », se réjouit-il. Adama Savadogo, la cinquantaine révolue, apprécie aussi à sa juste valeur cette technique de reboisement qui a reverdi l’environnement de Filly. Le Directeur régional (DR) de l’Environnement, de l’Economie verte et du Changement climatique du Nord, Moctar Sanogo, est du même avis lorsqu’il affirme que les puits racinaires ont fait leur preuve à Filly. Pour lui, c’est  une technique efficace qui offre l’avantage aux plantules d’avoir un sol favorable pour bien croître.

Les contraintes du puits racinaire

Les puits racinaires sont réalisés en travaux de Haute intensité de main d’œuvre (HIMO). Comme son nom l’indique, atteste le directeur de la ferme pilote, un puits racinaire ne peut se creuser en une journée. Sa réalisation étant  laborieuse, le mètre est payé à 3000 F CFA par sa structure. « Mais si le sol est très caillouteux, on propose 5000 voire 6000 F CFA le mètre », révèle l’environnementaliste.

Au regard de ces efforts à consentir, les puits racinaires sont-ils à la portée de tout le monde ? Pamoussa Sawadogo répond par l’affirmative en soutenant que c’est une question de volonté. Si on décide de planter des arbres dans un environnement sahélien et sur un terrain latéritique, soutient-il, il faut un sacerdoce. « Si le trou est mal fait, l’arbre végète pendant des années et finit par crever », indique Pamoussa, avant de témoigner que sa structure a fait l’expérience avec des trous de 50 centimètres de profondeur et de diamètre mais plus de 90% des arbres ont atteint une certaine hauteur avant de succomber. Toute chose qui les a obligés à revenir aux puits racinaires. C’est pourquoi, M. Sawadogo estime qu’il vaut mieux investir 15 ou 20 mille F CFA dans un trou et être sûr de réussir sa plantation que de faire des poquets de 60 centimètres (cm) de profondeur. Les campagnes de reboisement organisées chaque saison des pluies par le gouvernement ou des particuliers sont illustratives de cet état de fait. Si la plupart des arbres ont du mal à survivre, mentionne Pamoussa Sawadogo, c’est parce que les trous ne respectent pas une certaine norme. Pour sa part, le DR Sanogo trouve la technique des puits racinaires très contraignante et demandant de gros moyens. A l’entendre, elle n’est pas indiquée pour les grands reboisements à l’image de ce qui est fait chaque année à l’occasion de la journée nationale de l’arbre. « Dans une plantation d’un hectare, il y a plus de 600 arbres. Si un arbre doit coûter 20 000 F CFA avec les puits racinaires, ça fait plus de 12 millions. Ce qui n’est pas à la portée de tous », justifie M. Sanogo. Pamoussa Sawadogo fustige cette politique de reboisement que d’aucuns qualifient d’ailleurs de folklore. « On n’est pas obligé d’atteindre des milliers d’arbres par campagne si la majorité ne va pas survivre. On ne fait que du surplace », rétorque le directeur de la ferme pilote pour qui, le gouvernement doit revoir sa politique de reboisement.

Adapter les espèces aux puits racinaires

A défaut des puits racinaires, le DR Sanogo préconise le sous-solage mécanisé ou le zaï forestier pour réussir les reboisements au Sahel. C’est d’ailleurs cette dernière technique que Yacouba Sawadogo a appliquée pour créer sa forêt à Gourga, dans la banlieue de Ouahigouya. Plusieurs fois primée, cette forêt qui force l’admiration est devenue une référence sur le plan national et international. Le septuagénaire dit avoir combiné le zaï, les cordons pierreux et les diguettes pour aboutir à ce résultat. La plupart de ses arbres qui sont des espèces locales ont été semés. Mais quand il s’agit de planter, l’option choisie ressemble fort bien aux puits racinaires, même si on est loin d’atteindre les six mètres de profondeur. « Nous creusons des trous de 60 cm de diamètre et d’un mètre de profondeur que nous rebouchons en mélangeant les couches de terre », affirme Lookman Sawadogo, fils de Yacouba. Point d’arrosage également à ce niveau, une fois les arbres plantés. Pour reverdir le milieu sahélien, le « vieux » Sawadogo, prix Nobel alternatif 2018 et Champion de la terre 2020, recommande de rechercher la bonne stratégie. « Il faut bien préparer les trous et protéger les arbres plantés », préconise-t-il. Bien qu’appréciant les puits racinaires, le DR en charge de l’environnement du Nord conseille de bien choisir les types d’arbres à y planter. Car, à l’écouter, les plantes qui ont un système racinaire traçant (superficiel) n’ont pas forcément besoin de cette technique, contrairement à celles qui ont un système racinaire pivotant (qui va en profondeur). Toutefois, informe le directeur de la ferme pilote, le souci ne se pose pas avec la plupart des arbres locaux parce que possédant les deux systèmes, traçant et pivotant.

A Filly tout comme à Gourga, la physionomie des arbres plantés indique qu’avec une bonne technique de reboisement, on peut freiner la progression du désert.

Mady KABRE

dykabre@yahoo.fr