Production du beurre de karité à Léo : « L’or vert » nourrit des milliers de familles

La production du beurre de karité semble bien nourrir « sa femme » dans la province de la Sissili. Reconnue dans le temps comme un savoir-faire traditionnel des femmes en milieu rural, l’activité a pris de l’ampleur et s’est même modernisée de nos jours. A Léo, des milliers de femmes tirent leur épingle du jeu grâce à une unité semi-industrielle de transformation de beurre qui y est installée.

Depuis la collecte des noix dans les champs jusqu’au produit fini, la fabrication du beurre de karité n’a plus de secret pour ces milliers de femmes regroupées au sein d’une fédération dénommée Nununa (beurre de karité en langue nuni). Veuves pour la plupart, elles sont plus de 5 000 à entretenir les maillons de cette chaîne de production dans les provinces de la Sissili et du Ziro. L’activité, jugée rentable, leur confère du même coup une autonomie économique et financière.

Sur un vaste domaine non clôturé, d’imposantes bâtisses se dressent. A proximité de l’une d’elles, une fumée noire s’échappe d’une chaudière pour monter dans le ciel. A un jet de pierre de là, des foyers améliorés dont certains portent des marmites bouillantes sont alignés. Malgré les rayons de soleil ardents, des femmes s’activent pour la cuisson d’une émulsion. A ces foyers, côtoient des machines impressionnantes installées à l’intérieur de l’édifice. Un bruit assourdissant accueille les visiteurs. Les employés, notamment des femmes, font des va-et-vient incessants. Des bassines sur la tête, elles apportent soit de la pâte, soit des résidus d’amandes de karité d’un point à l’autre. D’autres, juchées sur certains équipements, veillent sur leur bon fonctionnement. A l’image des fourmis, chacune s’attelle à exécuter sa part de travail qui lui est confiée. Tel est le quotidien des femmes qui « bossent » à l’unité semi-industrielle de transformation de beurre de karité de la fédération Nununa. Nous sommes au secteur n°3 de Léo, chef-lieu de la province de la Sissili. Ce 23 mars 2021, le chef de l’unité, Lazare Yaro, nous fait voyager au cœur de son « usine ». De merveilleux équipements se laissent admirer. Aux dires de M. Yaro, ils ont été conçus sur place par des artisans locaux. La première étape du travail à « l’usine », signale-t-il, qui consiste au lavage des amandes, correspond à la sixième étape de la production du beurre.

Trois tonnes de beurre par jour

Les étapes précédentes étant la collecte, l’ébouillantage, le séchage, le stockage et le décorticage des noix de karité exécutées en amont dans les campagnes par les femmes des différentes coopératives. Après avoir lavé les amandes, elles subissent un tri avant d’être concassées et torréfiées. Stockées dans des bassins, les amandes torréfiées sont ensuite broyées et mélangées à de l’eau pour ainsi obtenir une pâte. De la cuisson de cette pâte, on obtient de l’huile dans des cuves qui est par la suite filtrée, traitée et conditionnée dans des cartons de 25 kilogrammes (kg). Trois tonnes de beurre de karité sortent chaque jour de cette unité, au grand bonheur des dames de la fédération. Les premières responsables s’en réjouissent car le chemin a été long et parsemé d’embûches. A écouter la présidente de la fédération Nununa, Abibata Salia, l’attachement des femmes à la production du beurre relève d’une longue histoire. Selon ses explications, c’est depuis l’enfance que beaucoup d’entre elles ont appris ce métier aux côtés de leurs mamans qui, traditionnellement, s’y adonnaient. Devenues épouses elles aussi et n’ayant pas grand-chose à faire, la plupart ont renoué avec leurs vieilles amours en se lançant dans la fabrication du beurre. « Avant, on n’était pas organisé. Chacune produisait manuellement son beurre et vendait de son côté par boule de 5 F CFA », se souvient la sexagénaire. Par la suite, les femmes ont décidé d’unir leurs forces pour produire le beurre en quantité et en qualité. D’où la création en 2001 d’une union puis de la fédération en 2011. Grâce aux soutiens de leurs partenaires, la production manuelle va s’estomper pour faire place à celle mécanisée avec l’érection en 2011 de l’unité semi industrielle. Dans la foulée, les foyers à trois pierres et ceux améliorés sont remplacés par des machines. « Ce sont nos partenaires dont notre client principal basé en France qui nous ont appuyées à avoir l’unité de transformation », révèle Diaharatou Yago, ex-présidente de la fédération et actuelle présidente de l’Union régionale karité. Elle dit n’avoir pas une idée du coût global des équipements mais l’estime néanmoins à plus de 100 millions F CFA. Avec ce matériel, plus besoin de brûler des tonnes de bois ou de sacrifier des journées entières pour obtenir du beurre. A entendre Lazare Yaro, le concasseur à lui seul broie 180 kg de noix par minute, soit 10,8 tonnes par heure. Les vieilles marmites faisant toujours la bonne sauce, quelques foyers améliorés ont été conservés pour suppléer les équipements de l’unité en cas de panne.

Une aubaine pour les femmes

Deux types de beurre à savoir le conventionnel et le biologique sont produits par l’unité. Si le kilogramme du beurre conventionnel est vendu à 1 500 F CFA sur le marché, celui du biologique est cédé à 2 000 F CFA. Le gros lot de la production, confie le gestionnaire par intérim de la fédération, Zoulkifli Yago, est exporté vers l’Europe, notamment en France. Le beurre dit conventionnel, précise-t-il, est extrait des amandes collectées dans les champs et n’ayant pas trop d’exigences en matière de certification. Alors que celui biologique provient des amandes cueillies dans les parcs à karité et qui sont attestés biologiques par un organisme de certification. « Dans les parcs à karité, il n’y a point d’utilisation de produits chimiques », mentionne M. Yago.

Le karité fait vivre des milliers de familles par l’entremise de la fédération Nununa. Il constitue une richesse énorme pour les femmes qui se retrouvent dans tous les maillons de la chaine de production du beurre. « On n’a pas de cacao mais on a le karité. Il est l’or vert des femmes, le père des orphelins et le mari des veuves », soutient, sourire aux lèvres, la présidente de la fédération. Veuve de 62 ans, Mme Salia affirme que beaucoup de ses collègues sont dans la même situation matrimoniale qu’elle mais arrivent à gérer convenablement leurs familles grâce au karité. « Grâce à cette activité, mes enfants sont allés à l’école. Il y en a qui sont à l’université et d’autres sont devenus des fonctionnaires », se réjouit-elle. Ses économies lui ont aussi permis de construire une maison, alors qu’au départ, se souvient-elle, son défunt mari n’avait pas voulu adhérer à son projet de production de beurre.

Egalement membre de la fédération, Lady Nébié préside aux destinées de la coopérative de Léo. Malgré son état de veuvage, la sexagénaire ne sent pas trop le poids de la charge familiale. Grâce à ses revenus tirés du beurre, elle arrive à subvenir aux besoins de ses enfants en tant que cheffe de famille. « Mes enfants sont allés à l’école et il y en a qui travaillent. Je soutiens d’autres financièrement dans le cadre de leurs productions agricoles », témoigne, avec un air de satisfaction, Mme Nébié.

Plus de 50 contractuels par jour

Selon le gestionnaire par intérim de la fédération, l’unité semi-industrielle emploie une cinquantaine de contractuels dont 40 femmes par jour et une vingtaine de permanents. Habibou Napon, 50 ans, et Haoua Nébié, 55 ans, font partie de ces contractuels. Cela fait plus de dix ans que les deux quinquagénaires « bossent  dans la boîte » et la satisfaction se lit sur les visages. Habibou souligne que même si elle n’a pas pu économiser grand-chose, elle arrive néanmoins à faire face aux besoins de sa famille. « Mon mari a pris de l’âge ; donc les charges familiales me reviennent », indique-t-elle. A cause du poids de l’âge, Haoua n’est pas régulière au boulot. Toutefois, elle arrive à s’épanouir et à gérer le quotidien de sa famille, laissée à sa charge par son défunt mari.

Sur un autre terrain spacieux, contigu à celui de « l’usine », trônent les locaux de l’administration de la fédération Nununa. La plateforme de traitement et de conditionnement du beurre y est également logée. Malgré sa santé économique apparente, la fédération fait face à de multiples défis qui plombent parfois ses efforts. Cela fait trois ans que le principal client français ne commande que du beurre biologique, rendant ainsi la production très exigeante en termes de qualité. Désormais, les noix doivent être collectées dans des parcs à karité créés à cet effet dans les différents villages. Ce volet, ce sont les femmes des coopératives, formées à la collecte des noix, qui s’en chargent. « Depuis que les amandes sont devenues comme de l’or, tout le monde collecte. Si c’est pour le beurre conventionnel, toute personne peut le faire. Par contre pour le biologique, c’est seulement les coopératives qui collectent dans les parcs pour nous livrer », précise la présidente de la fédération. Nonobstant ces précautions, tout ne se passe pas toujours comme prévu. Une fois, explique le gestionnaire intérimaire, la fédération a vu son beurre biologique déclassé en conventionnel parce qu’il a été contaminé par des produits chimiques, après l’analyse du client français. Du coup, cela a créé une tension de trésorerie, occasionnant ainsi la perte de 20% de son chiffre d’affaires. Lady Nébié, la présidente de la coopérative de Léo, reconnaît que la production du beurre biologique est très contraignante parce que les paysans utilisent des pesticides dans les champs.

L’arbre à karité menacé

D’où la nécessité des parcs à karité qui demandent aussi à être protégés. « La fédération Nununa dispose de plusieurs parcs à karité dans la province. Pour le moment, nous les accompagnons dans la sécurisation de deux sites à Koalga et à Boala », fait savoir le Directeur provincial (DP) de l’Environnement, de l’Economie verte et du Changement climatique de la Sissili, Toussaint Bationo.

Le karité qui fait partie des produits forestiers non ligneux est une espèce menacée dans la zone de Léo, à en croire la présidente de l’Union régionale karité, Diaharatou Yago. Selon ses dires, le bois de l’espèce, semble-t-il, est très prisé par les charbonniers qui n’hésitent pas à le prélever massivement. Toute chose qui inquiète Mme Yago et les autres membres de la fédération. Ses propos sont corroborés  par ceux du DP Bationo lorsqu’il affirme que beaucoup  estiment que le bois du karité sèche vite et est bon pour la carbonisation. « Lors de nos sorties sur le terrain, nous constatons que l’arbre à karité est abattu. Pourtant, c’est un arbre utilitaire qui fait partie des espèces qui bénéficient de protection intégrale ; donc son exploitation est interdite », déplore M. Bationo. A l’entendre, les contrevenants sont passibles de sanctions allant du paiement d’amendes à des poursuites judiciaires.

Engagée à protéger l’environnement, la fédération Nununa a déjà trouvé une alternative à la consommation du bois de chauffe. Depuis trois ans, ses recherches ont permis d’utiliser les résidus solides des amandes de karité comme combustibles dans les torréfacteurs et la chaudière. Même les foyers améliorés sont alimentés avec cette trouvaille. Le souci majeur demeure la gestion des résidus liquides. Au côté ouest de l’unité, de larges bassins débordant de ces fluides s’étalent. « Malgré les travaux de recherche de certains partenaires, on n’a pas encore trouvé une solution pour les résidus liquides. Pourtant, il faut qu’on y arrive parce que les coulées dérangent le voisinage », se préoccupe l’intérimaire Yago.

SOS pour un titre foncier

Le manque de fonds de roulement constitue également un casse-tête pour les femmes de la fédération. La banque auprès de laquelle elles obtenaient les prêts exige désormais un titre foncier dans la constitution des dossiers. Alors qu’aucun des deux sites sur lesquels sont installés leurs locaux ne dispose pour le moment de document officiel. Une situation qui plonge les productrices du beurre dans l’embarras. La mairie de Léo a fait un pas en leur cédant le terrain mais le chemin semble encore long. « Nous sommes allées à Ouagadougou poser nos préoccupations aux ministres en charge du commerce et de la promotion de la femme qui ont promis de nous aider », informe Diaharatou Yago. Outre les documents, la clôture des deux sites fait aussi partie des doléances énumérées. « Il nous faut un mur pour éviter que les animaux et les personnes étrangères ne traversent la cour de l’unité. Cela peut être source de contamination de nos produits », plaide Zoulkifli Yago qui clame en outre que la concurrence déloyale entrave leurs activités. Il s’agit, à l’écouter, d’autres entreprises installées depuis 2019 dans la Sissili et qui achètent les amandes sans exiger la qualité. « Que les amandes soient ébouillantées ou pas, ces sociétés les achètent. Alors que chez nous, on exige la qualité. La conséquence est que les femmes préfèrent livrer là où on souffre le moins », s’indigne le gestionnaire intérimaire de la fédération.

Les femmes disposent également d’une mini-savonnerie  qui leur permet de fabriquer des produits cosmétiques à l’aide de leur beurre.

Mady KABRE

 

Encadré

Une structure qui impressionne

La fédération Nununa est une organisation productrice de beurre de karité et de produits cosmétiques basée à Léo, dans la Sissili. Créée en janvier 2001 par 18 groupements de femmes sous le nom de l’Union des groupements de productrices des produits du karité des provinces de la Sissili et du Ziro (UGPPK/S-Z), elle a changé de dénomination en juillet 2011 pour devenir la fédération Nununa (beurre de karité en langue nuni). Actuellement, elle compte plus de 100 groupements et plus de 5000 membres, répartis dans les deux provinces.

M.K.