Innovation technologique dans le maraîchage : l’irrigation en pleine mutation à Ouahigouya

Faute de moyens, la plupart des maraîchers utilisent toujours les tuyaux flexibles et les motopompes.

L’activité maraîchère occupe une place de choix dans les productions agricoles de la province du Yatenga. Malgré les caprices pluviométriques, les rendements sont en nette progression. Cette prouesse est due à l’ardeur au travail des producteurs mais aussi aux innovations technologiques, récemment introduites dans le système d’irrigation. Des mini pivots aux bandes d’aspersion en passant par les pompes immergées, ce sont autant de merveilles qui tentent de révolutionner la production maraîchère dans la cité de Naaba Kango.

Avant d’accéder à la parcelle de production maraîchère de Mahamadi Diabaté, ce lundi 24 mai 2021, il faut braver les ravins et le sol boueux. Nonobstant la récente pluie tombée dans la localité, les rayons solaires se font accablants. Le sexagénaire et les siens n’ont pas d’autre choix que de trouver refuge à l’ombre des manguiers. A un jet de pierre de leur abri, un équipement étrange attire l’attention. Un tuyau aérien, muni de minuscules trous et soutenu par un autre fixé au sol, asperge l’eau sur des plants d’oseille en pivotant. Sur un rayon de plus de cinq mètres, le sol reçoit l’eau sous forme de fine pluie. Après une trentaine de minutes, le système est déplacé sur d’autres sorties d’eau, disséminées sur toute la parcelle de 500 mètres carrés (m2), préalablement occupée par l’oignon. Pourtant, dans les environs, aucun bruit de motopompe ne se fait entendre.

Aucun barrage ni puisard ne sont non plus perceptibles à proximité. En lieu et place de ces ouvrages, un forage alimenté par l’énergie solaire fait la fierté du vieux Mahamadi, le promoteur de cette nouvelle technique d’irrigation. Le forage dont la profondeur est estimée à 25 mètres est équipé de pompe immergée qui expulse l’eau à un débit de cinq mètres cubes par heure. Dans l’exploitation voisine, Issa Nacanabo expérimente une technique similaire mais avec un équipement atypique. Appelé mini volonta, le forage est surmonté d’un matériel fonctionnant comme le moteur d’une mobylette. C’est une pompe à piston. Une courroie actionne une dynamo pour faire remonter l’eau à la surface. Des plaques solaires participent également à donner vie à ce forage.

Avec des tuyaux enfouis dans le sol, l’eau est projetée sur la parcelle à travers des mini pivots, éparpillés çà et là. Une technique qui est à l’image de celle utilisée pour arroser les pelouses naturelles. Non loin de là, Aboubacar Diabaté fait aussi la promotion d’une nouvelle technique d’irrigation. Son équipement est presque identique à celui de son frère, Mahamadi Diabaté, mais les sorties d’eau sont différentes. Aboubacar utilise plutôt des bandes d’aspersion et un forage manuel. Son système d’irrigation consiste à disposer de façon parallèle des rubans, munis de minuscules orifices, dans toute la parcelle. Après ouverture des vannettes, l’eau jaillit sous forme de brouillard sur les plantes. Ces jets d’eau favorisent au milieu des exploitations un micro climat qui contraste avec la température générale de la localité.

Une gestion rationnelle de l’eau

Le Yatenga a produit 47 763 tonnes d’oignon
pour la campagne 2020-2021.

Nous sommes dans les périmètres maraîchers du village de Bogoya, à quelques encablures de Ouahigouya, capitale de la région du Nord. Le barrage de Goinré (le plus grand qui alimente la ville en eau potable) est situé à près de trois kilomètres de là. Malgré l’éloignement des berges, l’activité maraîchère est au rendez-vous. Mais, pour les maraîchers, c’est le dernier virage de leur deuxième campagne de production. Tout comme Mahamadi, Issa et Aboubacar, ils sont nombreux les producteurs qui ont décidé depuis 2018 de révolutionner le maraîchage, à travers l’adoption de nouvelles techniques d’irrigation. Soutenus par l’Association professionnelle des maraîchers du Yatenga (ASPMY), ces promoteurs disent ne pas regretter leur choix après trois années d’expérience. Aboubacar Diabaté qui ne tarit pas d’éloges à l’endroit de la technologie, estime ses avantages énormes.

En plus d’être reposant, argumente-t-il, ce système d’irrigation permet une gestion rationnelle de l’eau et améliore considérablement les rendements agricoles. Sur sa parcelle de démonstration de 500 m2 où l’équipement est installé, le quadragénaire dit avoir engrangé dix sacs de 100 kilogrammes, soit une tonne d’oignon, la campagne écoulée. Alors qu’auparavant, il en obtenait moins, sept sacs environ, sur la même superficie, selon son témoignage. De quoi réjouir M. Diabaté qui souhaite davantage de l’aide pour agrandir son exploitation. « Avant, on gaspillait l’eau, l’engrais et le carburant sans le savoir. Avec cette technique d’irrigation, nous sommes sauvés. La question de la main d’œuvre est aussi résolue », relève-t-il, avec satisfaction.

Avec ses mini pivots, Mahamadi Diabaté a aussi accru ses rendements, que ce soit l’oignon ou la pomme de terre sur le même périmètre. Tout en appréciant positivement cette nouvelle technique, le sexagénaire soutient que ses dépenses mensuelles ont drastiquement baissé, puisqu’il ne s’investit plus dans l’achat ni du carburant ni de motopompe, encore moins dans sa maintenance. « Maintenant, on se repose beaucoup plus. Il suffit de mettre la pompe en marche et on vaque à d’autres occupations », note-t-il, tout fier. Abondant dans le même sens, Issa Nacanabo indique qu’il ne fournit plus d’effort depuis trois ans pour arroser ses plantes.

1,4t d’oignon sur 500 m2

L’utilisation des arrosoirs, du carburant, du gaz butane et des motopompes relève, pour lui, d’un vieux souvenir. Pour la campagne écoulée, il a pu récolter près d’une tonne et demi d’oignon sur sa parcelle-témoin de 500 m2. Une prouesse, à l’entendre. « Au début, j’étais réticent à expérimenter la technique mais de nos jours, je ne regrette pas », mentionne M. Nacanabo, non sans souffler que des collègues qui croyaient à une expropriation de leurs terres s’y sont opposés catégoriquement. Aujourd’hui, ajoute-t-il, ces mêmes personnes envient ceux qui ont pris le risque de se jeter à l’eau en acceptant les nouvelles techniques. En outre, M. Nacanabo, tout comme les autres promoteurs, a l’avantage d’avoir l’eau en permanence et de surcroît de l’eau potable.

« A cause des pénuries d’eau à Ouahigouya, nous sommes envahis chaque jour par des citadins qui viennent en chercher ici. Depuis trois ans, nous ne souffrons plus de ces problèmes », atteste Aboubacar, avec un air décontracté. La seule fausse note signalée par Issa Nacanabo sur sa pompe à piston demeure parfois les pannes techniques qui nécessitent l’intervention d’experts qui, pourtant, ne sont pas sur place. Des soucis qui semblent désormais relever du passé car, se satisfait-il, depuis un an, la pompe n’a plus enregistré d’incident. L’implantation de ces techniques d’irrigation dans les périmètres maraîchers de Ouahigouya est le fruit d’une collaboration entre l’ASPMY et ses partenaires hollandais, à travers le projet « Drops for crops (D4C) » (une goutte d’eau pour une plante). Selon le président de l’ASPMY, Boukary Savadogo, c’est après avoir fait le constat du manque d’eau dans la zone que les partenaires ont décidé de contribuer à sa gestion rationnelle dans le maraîchage.

C’est ainsi qu’en 2018, des technologies d’exhaure et d’irrigation, notamment des forages, des puits à grand diamètre et des tuyaux en PVC, ont été introduites. Elles sont expérimentées sur des parcelles-témoins auprès de producteurs volontaires et servent de cas d’école aux autres maraîchers. Aux dires de Abdoulaye Ouédraogo, chargé de la vulgarisation des nouvelles techniques d’irrigation de l’ASPMY, le projet D4C a retenu deux spéculations jugées plus rentables, en l’occurrence la pomme de terre et l’oignon, pour être produites sur les champs-écoles. Implantée durant la campagne 2018-2019, la technologie est à sa troisième campagne d’implémentation. Et déjà, à en juger par les témoignages, les résultats sont tangibles et fort encourageants. « Avec les nouvelles techniques, on a un surplus de 15 à 35% sur les rendements », précise M. Ouédraogo.

Les bandes d’aspersion prisées

Autre lieu, même ambition. A Baobané, localité située à la périphérie-est de la cité de Naaba Kango, le président de l’ASPMY, Boukary Savadogo, s’active à arroser ses plants de tomate. « J’aime les champs plus que les bureaux », plaisante-t-il, après s’être installé dans son hamac. La technique d’irrigation adoptée, encore appelée grande volonta, est tout aussi nouvelle. A côté du solaire, des puits à grand diamètre complètent le matériel d’exhaure. Dans son travail d’irrigation, le président a aussi jeté son dévolu sur les bandes d’aspersion. En cette matinée du 24 mai, seule la motopompe est en marche. Sur sa

Faute de moyens, la plupart des maraîchers utilisent toujours
les tuyaux flexibles et les motopompes.

parcelle de production, une sorte de brouillard s’observe. L’eau qui jaillit des rubans par les petits trous forme une fine pluie artificielle qui tombe sur les plantes.

« Bien vrai que les équipements sont chers, mais cette technologie économise l’eau et donne de bons rendements », reconnait M. Savadogo, après seulement un an d’essai. L’avantage des bandes d’aspersion, selon lui, est que dès qu’on les installe, on en a pour six ans. Après chaque campagne, les rubans sont soigneusement emballés pour être gardés. En plus de l’arrosage rationnel, aux dires du président, l’aspersion a aussi le mérite de débarrasser les plantes de leurs parasites via le lessivage des feuilles. Ses propos sont corroborés par ceux du président d’honneur de l’ASPMY, Salam Ouédraogo, alias « Salam docteur », pour qui, l’aspersion demeure la meilleure technique d’irrigation du moment. « Elle crée un micro climat et les plantes respirent mieux », soutient-il, avec conviction. Même s’il expérimente toujours le système de goutte à goutte avec un équipement appelé Sunlight (énergie solaire), au secteur n°13 de Ouahigouya, Salam docteur dit préférer de loin l’aspersion.

C’est d’ailleurs le choix qu’ont fait la majorité des membres de l’association. « Cette année, nous avons pu installer près d’une vingtaine d’hectares de bandes d’aspersion et de tuyaux flexibles avec des têtes d’arrosoir. Ce qui correspond à plus de 170 producteurs qui ont adopté les deux technologies », révèle le responsable de la vulgarisation des nouvelles techniques d’irrigation, Abdoulaye Ouédraogo. Pour bénéficier des équipements du projet D4C, selon son coordonnateur, Mahamady Ouédraogo, par ailleurs Secrétaire général de l’ASPMY, il faut au préalable être membre de l’association.

Une subvention de 48%

« Le projet subventionne les équipements à hauteur de 48% et le producteur contribue pour 52% du montant total. Cette contribution peut être en nature ou en espèces », précise-t-il. A l’écouter, les coûts diffèrent d’une technologie à l’autre. Si la Sunlight pour l’irrigation de goutte à goutte tourne autour de 800 mille F CFA, la grande volonta pour l’aspersion, elle, avoisine les 2 millions 500 mille francs CFA. Outre cela, l’acquisition des puits à grand diamètre est aussi concernée par la subvention. A ce niveau, la contribution du producteur est de 20%. Sur les berges du barrage Kanazoé, Moussa Savadogo et ses jeunes frères sont à l’œuvre dans leur champ de poivron. Tuyaux flexibles avec des têtes d’arrosoir en main, ils s’activent à apporter « à boire » à leurs plantes. Moussa, tout comme beaucoup de ses collègues, utilise toujours les anciennes techniques d’irrigation.

Pas qu’il est réfractaire aux nouvelles, mais parce qu’il n’est pas encore affilié à l’ASPMY pour en être bénéficiaire. M. Savadogo estime que sa technique actuelle qui consiste à utiliser les puisards, les motopompes et les tuyaux à têtes d’arrosoir est surannée et lui donne des travaux supplémentaires. Dans son exploitation, il faut en permanence lutter contre les espèces adventices pour éviter qu’elles n’étouffent les cultures.
« L’eau répand l’engrais partout, occasionnant l’enherbement des parcelles. Il faut chaque fois désherber et cela fragilise les plantes », explique-t-il, impuissant. Toutefois, l’espoir reste permis au jeune maraîcher, Moussa, qui compte tourner la page pour les campagnes à venir.

Et pour y parvenir, il promet d’adhérer à l’ASPMY et profiter des différentes innovations. Pour le Directeur régional (DR) de l’Agriculture, des Aménagements hydro-agricoles et de la Mécanisation du Nord, Abdoul Karim Ouédraogo, les nouvelles techniques d’irrigation sont les bienvenues, dans la mesure où le maraîchage constitue la deuxième activité agricole de la région, et en particulier du Yatenga. Elles participent, de son avis, à l’accroissement des rendements des producteurs même si leurs coûts ne sont pas à la portée du plus grand nombre. « C’est pourquoi, ces technologies ne sont pas encore vulgarisées », justifie le DR. En tout état de cause, les maraîchers se disent prêts à les adopter en vue de booster leurs rendements, pour peu qu’ils aient l’accompagnement nécessaire.

Mady KABRE


Quelques spéculations en chiffres

Pour la campagne 2020-2021, la direction régionale en charge de l’agriculture du Nord estime la production de l’oignon au niveau régional à 85 644 tonnes (t), 28 890t pour la pomme de terre et 61 404t pour la tomate. Concernant le Yatenga, ces quantités sont respectivement de 47 763t, 25 650t et 43 484t.

M.K.