Patate douce à chair orange : premiers pas d’un tubercule atypique dans la Sissili

La PDCO est un tubercule très riche en vitamine A

Dans la Sissili (région du Centre-Ouest), la Patate douce à chair orange (PDCO) défie toute concurrence. Riche en nutriments, elle est prisée des consommateurs et est toujours recherchée sur le marché local. Pour le moment, seule une poignée de producteurs semble profiter de ses avantages. Et il y a encore de la place pour les retardataires.

Casquette bien vissée sur la tête pour se protéger de la chaleur brûlante de cette journée du 9 novembre 2022 et vêtu d’un tee-shirt bleu, Anas Yago surgit des champs, le visage trempé de sueur. Profiter de l’ombre des arbres plantés dans sa cour ne l’emballe pas en ce moment. Ce qui le préoccupe à l’heure, c’est la récolte.

Toutes les spéculations sont en maturité. Dans cette course contre la montre, pas de temps à perdre. Après les salutations d’usage, il nous fait découvrir son champ de Patate douce à chair orange (PDCO), niché entre des exploitations de maïs, de manioc et d’igname.

La portion abritant les buttes de PDCO ne représente qu’une superficie de 1,5 ha. A ce qui se dit, c’est la plus grande ferme de la PDCO dans la province. Mais comment reconnaître que c’est bel et bien ce tubercule qui est enfoui dans les buttes ?

A l’aide de sa pioche et par la force des biceps, Anas se met sans hésiter, à déshabiller les buttes avant de déterrer puis brandir les grappes de tubercules comme un trophée de guerre. Les feuilles sont rassemblées en petits tas et laissées sous le soleil.

Tout est utile ici, nous confie-t-il. Autant les tubercules sont prisés des humains, autant les animaux raffolent des feuilles. La récolte de l’année est presque terminée. Mais où va la production ? A cette question, Anas explique qu’elle est livrée aux clients avec qui il a signé des contrats d’achat. D’ailleurs, fait-il savoir, les récoltes se font sur la base de leurs commandes. Les ventes bord-champ ou au marché, il n’en est pas coutumier. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il est plus facile pour lui de faire de bonnes affaires avec la PDCO que les autres variétés.

En plus d’être un modèle dans la production, Anas est un excellent multiplicateur de boutures, une activité parallèle mais très lucrative. Au démarrage de la campagne, ces boutures valent de l’or. Elles sont vendues à toute personne qui le désire mais la grande partie est livrée à une ONG fortement engagée dans la promotion de la PDCO dans la Sissili.

Un produit sans concurrent

Dans le cadre de ses activités, elle appuie les femmes dans la production de la PDCO en leur fournissant les boutures. Grâce à ce soutien, Salamata Nébié du village de Béléhédé a réussi à créer son champ de PDCO. Elle indique que sa production arrive à couvrir ses besoins, aussi bien en termes de consommation que dans le cadre de la transformation.

Il en est de même pour Mariétou Nabaho du village de Nassirou, bénéficiaire elle aussi des boutures. « Je n’ai pas de souci à m’approvisionner en PDCO », signale-t-elle. Ces actions, quoique isolées, ont contribué d’une manière ou d’une autre à booster la production. A la direction provinciale en charge de l’agriculture de la Sissili, les données en matière de production de la PDCO font défaut.

Lévi Kabré, agent de cette direction, préfère orienter les visiteurs en quête de chiffres vers les organismes plus enclins à les collecter et à les conserver. Qu’à cela ne tienne, les acteurs sont unanimes à reconnaître que le nombre de producteurs ne cesse de croître. Laurent Nacro, producteur à Léo, réalise des merveilles dans la multiplication des boutures. La mise en place des pépinières étant prévue pour le mois de février, il est hors de question de les voir présentement.

Néanmoins, dans son jardin situé au bord du barrage, cohabitent quelques buttes de PDCO avec des cultures maraîchères. Muni d’un arrosoir, il s’affaire à arroser son exploitation à l’aide d’une motopompe. A l’évidence, le marché est là, quitte à produire suffisamment. « Parfois, je peux recevoir une commande de 100 mille boutures à livrer en deux jours », indique Laurent Nacro.

L’unité étant cédée à 10 F CFA, c’est un pactole d’environ 1 million F CFA qui entre dans son escarcelle. Et ce, sans compter les ventes occasionnelles avec les particuliers. « Ce n’est pas évident de satisfaire ce genre de commande et avoir encore le temps de produire en grande quantité », avoue-t-il. Dès que l’argent rentre, c’est la fête en famille. En poursuivant sa belle aventure, Laurent entend consolider son activité et surtout s’adonner à fond à la production.

« Les producteurs des variétés locales sont confrontés à la mévente, mais la PDCO est toujours recherchée », souligne-t-il. A son avis, la PDCO regorge de multiples vertus qui défient toute concurrence. Très riche en nutriments, notamment la vitamine A, elle est facile à écouler avec en sus, un prix stimulateur. « Le sac de 50 Kg peut être vendu à 10 mille francs contre 3 000 F CFA seulement pour les variétés à chair blanche ou jaune», martèle M. Nacro.

Même constat chez Anas qui a adopté cette variété depuis 2015 au détriment des autres, jugées moins rentables et difficiles à écouler. « Depuis un certain temps, j’ai remarqué que tous les producteurs de patate douce inondent le marché avec les mêmes produits. Pour faire la différence, j’ai ciblé une variété où il n’y a pas de concurrents », se justifie-t-il. Au marché de Léo, difficile de se frayer un chemin parmi les nombreux étals.

Dans la matinée de ce vendredi 11 novembre 2022, des producteurs venus de tous les horizons s’activent à décharger leurs marchandises. Des montagnes de tubercules, notamment l’igname et la patate douce à chair blanche, peinent à trouver preneurs. Mais la PDCO reste introuvable.

Des producteurs réticents au départ

Laurent Nacro excelle dans la multiplication des boutures

La patate douce à chair orange a été introduite dans la Sissili en 2006 par les bons soins du ministre en charge de l’agriculture de l’époque, Salifou Diallo. Anas Yago se souvient encore de ses échanges avec le ministre sur la possibilité d’introduire cette nouvelle variété dans la Sissili. « En 2005, j’ai eu la chance d’avoir la visite du ministre Salifou Diallo dans ma ferme. Il a été impressionné par ma parcelle de manioc. Sur le champ, il m’a posé la question de savoir pourquoi je n’ai pas associé la patate douce à chair orange. Je lui ai fait comprendre que je n’avais pas la variété.

Sur place, il m’a recommandé aux techniciens qui m’ont aidé à avoir les boutures », se remémore-t-il. Mais à l’époque, ce n’était pas un combat gagné d’avance. Tout le monde n’en voulait pas. « Quand les boutures sont arrivées, je les ai réparties entre 5 sites. L’initiative était d’amener d’autres producteurs à les multiplier afin que nous puissions lancer ensemble, la production à grande échelle », rappelle-t-il. Mais jusqu’où ira ce boycott ? Malin qui saura y répondre.

Consciente des vertus nutritives de la PDCO, une ONG s’est invitée à promouvoir sa production en 2008. Les animateurs sont parvenus à convaincre un grand nombre de personnes dont certaines ont pris des engagements de produire. Contre toute attente, déplore Anas, les uns et les autres ont fait marche arrière. De nos jours, la situation est tout autre. Les mêmes personnes qui ont tourné le dos à ce tubercule hier sont en train de revenir sur leur décision. « Actuellement, ils n’ont pas le choix, puisqu’ils vendent d’énormes quantités de tubercules mais se retrouvent avec des miettes. Pendant que je me frotte les mains à la vente d’un seul tricycle de PDCO», témoigne-t-il.

La PDCO, un tubercule très exigeant en eau

Salamata Nébié entretient son propre champ

La direction provinciale en charge de l’agriculture de la Sissili apporte un soutien de taille aux producteurs à travers leur encadrement. L’agent d’agriculture, Lévi Kabré, affirme que les techniciens collectent les boutures et les distribuent dans les villages.

Au cours de ces sorties, avance-t-il, ceux-ci en profitent pour former les bénéficiaires sur les itinéraires techniques de production. Lévi Kabré reconnait que la PDCO n’est pas bien connue dans la Sissili, mais cela ne saurait être une excuse pour abandonner la variété. Il affirme que le ministère en charge de l’agriculture, à travers sa direction provinciale, accompagne toute initiative visant à vulgariser ce tubercule.

Du haut de ses nombreuses années d’expérience dans le domaine, Anas Yago semble maîtriser les techniques de production. Il estime que cette variété dont le cycle est compris entre 2,5 et 3 mois, est beaucoup plus exigeante en eau et moins résistante à la sécheresse. Concernant la transplantation des boutures, il explique que la période pendant laquelle on enregistre beaucoup de pluies est la mieux indiquée.

Aussi, recommande-t-il, la désinfection des sites de production, que ce soit les pépinières où les parcelles devant abriter les buttes. Malgré toutes les précautions prises, son champ n’a pas pu échapper aux attaques des nuisibles. « De la manière dont la PDCO est prisée des humains, c’est de cette même manière elle est aimée par les nuisibles », ironise-t-il.

Une fois les plants attaqués, prévient-il, il faut les arracher et les remplacer par d’autres. Anas ne croit pas au traitement par les produits phytosanitaires, qu’ils soient naturels ou chimiques. « La réflexion que nous sommes en train de mener, c’est de voir comment avoir l’eau en permanence pour continuer à mouiller la parcelle.

Parce que nous avons remarqué que c’est quand les pluies s’arrêtent que les parasites attaquent les plants et pénètrent dans les buttes par les fissures pour enfin détruire les tubercules », éclaire-t-il. De son côté, Laurent Nacro dit combattre les ravageurs avec l’huile de miel. Il précise, en revanche, que l’activité est contraignante parce qu’il faut être physiquement et régulièrement présent sur le terrain.

Noël Sawadogo, consultant spécialisé dans la transformation de la PDCO en mets, encourage les acteurs à créer des chaines de valeurs. La conservation de la PDCO reste cependant un défi majeur à relever. Des chercheurs de l’Institut de recherches en sciences appliquées et technologies (IRSAT) ont proposé des méthodes de conservation avec des séances de démonstration à l’appui mais elles n’ont pas produit les effets escomptés. D’où l’impérieuse nécessité de trouver des solutions durables au risque de décourager les précurseurs.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

omichel20@gmail.com