Ennemi des cultures : le striga, l’herbe qui « terrorise » les producteurs

Le striga attaque ses plantes hôtes par les racines.

Plante parasite, le striga fait partie des adventices les plus redoutées des producteurs burkinabè. Connu sous le nom de waango en mooré et sèguin en dioula, il suce la sève et les nutriments des plantes de céréales et cause d’énormes pertes de rendements. Dans le Centre-Ouest, la lutte engagée contre cet ennemi des cultures est sans merci mais elle semble être de longue haleine.

Au milieu des élévations, une parcelle agricole s’étale. Des plantes de sorgho et de haricot local se disputent une portion de deux hectares et demi. A vue d’œil, le sorgho n’offre pas une physionomie homogène. Il présente plutôt le visage d’une brousse tigrée. Pendant que certaines plantes sont en croissance normale avec déjà des épis, d’autres sont restées rabougries avec des feuilles jaunies.

Difficile de pronostiquer que celles-ci vont encore produire à quelques jours de la fin des pluies. Aux pieds de nombre de plantes, se développe une herbe portant des fleurs de couleur violette. On ne la retrouve majoritairement que dans les poquets, se greffant presqu’aux racines des cultures. Il s’agit du striga, cette herbe redoutée de tous les producteurs burkinabè de céréales. Il est aussi connu sous le substantif de Waango en mooré et Lyne en Lyélé. Cela fait trois ans que Philomène Badolo née Kantiono travaille dans ce champ dont elle est la propriétaire.

Et depuis lors, elle lutte inlassablement contre cette herbe parasite ou herbe sorcière, devenue le principal ennemi de son sorgho. Nous sommes dans la commune de Kyon, à une quinzaine de kilomètres de Réo, province du Sanguié. Ce 13 septembre 2023, c’est avec stupéfaction que Mme Badolo découvre encore une prolifération de jeunes pousses de striga dans son champ. Alors qu’à l’entendre, la parcelle a été désherbée par un groupe d’une cinquantaine de personnes il y a six jours de cela.

Des herbes « rebelles »

Des propos qui se confirment par l’absence des autres adventices dans la parcelle. Mais le striga, lui, semble invincible. L’air pensif, Philomène avoue ne pas comprendre cette situation. Toutefois, elle ne compte pas baisser les bras devant cet adversaire de taille. Le

Dr Djibril Yonli, chercheur à l’INERA : « La graine du striga peut survivre près de 14 ans dans le sol ».

pagne solidement noué autour des reins, elle se met à affronter de nouveau les herbes « rebelles ».Toutes celles qui se dressent sur son passage sont soigneusement mises hors d’état de nuire par un arrachage manuel.

Mais parcourir une superficie de plus de deux hectares ne sera pas une sinécure. Mme Badolo soutient avoir constaté l’apparition du striga dès la création de son champ de sorgho. En application des méthodes de lutte enseignées par les techniciens de l’agriculture, elle opte pour la rotation culturale en y semant l’année suivante l’arachide et le niébé. « J’ai constaté que le striga a encore poussé dans la parcelle de sorgho. En revanche, il n’était pas dans les arachides et le niébé », fait-elle remarquer.

L’an passé, l’herbe parasite a fortement endommagé le sorgho de Philomène Badolo, à tel point qu’elle n’a pas pu récolter grand-chose. Pour ne pas revivre cette expérience amère, elle a pratiqué le zaï dans son champ et fertilisé les poquets avec la fumure organique avant d’entamer la présente campagne agricole. « C’est ce qui fait que le striga n’a pas beaucoup impacté les plantes », se convainc-t-elle.

Néanmoins, elle reconnait que les rendements escomptés ne seront pas atteints, parce que la mauvaise herbe a déjà eu raison d’une partie du sorgho. A environ deux kilomètres du champ de Philomène, Richard Badolo, Jean Badolo et Babou Bationo mènent le même combat dans leurs champs respectifs. Chacun d’eux a fait le dernier sarclage dans son exploitation de céréales mais le striga est toujours présent, implacable. Comme des champignons, il émerge à tout bout de champ au milieu des plantes hôtes.

Dans sa parcelle de deux hectares, Richard n’espère pas dix sacs de 100 kg de sorgho. La seule méthode de lutte à sa connaissance est l’arrachage manuel. Mais il ne peut le faire qu’après une grosse pluie qui va rendre le sol bien humide. Idem pour Jean et Babou qui profitent des travaux communautaires pour se débarrasser de l’herbe parasite. « Le striga est très dangereux. Si on ne l’arrache pas, il peut détruire tout le champ », prévient Jean.Avec ses quatre hectares de sorgho, Babou nourrissait l’espoir d’en récolter une quinzaine de tonnes.

Mais avec la présence du striga il sera difficile pour lui d’atteindre cette quantité. Autre lieu, même réalité. A Sabou, à une trentaine de kilomètres de Koudougou, province du Boulkiemdé, les producteurs sont également dans la tourmente. Ils ne savent que faire du striga qui envahit leurs cultures. Tibi Mathieu Zongo, la soixantaine, multiplie les opérations d’arrachage en vue de bouter l’herbe ravageuse hors de son domaine agricole. Mais en vain. Cette herbe « têtue » semble être la bête noire des producteurs.

Pour minimiser les pertes de rendements, M. Zongo a mis l’accent sur la fertilisation par la fumure organique et les engrais minéraux (urée et NPK). Grâce à son abnégation, les techniciens de l’agriculture l’ont aidé à créer des champs-école dans son exploitation de sept hectares dont deux sont réservés au sorgho. Sur une portion du champ qui n’a pas été fertilisée, faute de moyens, les effets du Striga sont déjà visibles. On observe une chlorose de l’état physique des plantes de sorgho. « Sans les engrais, on ne peut rien récolter », affirme Tibi Mathieu. A l’image de ces acteurs, ils sont nombreux les producteurs de la région du Centre-Ouest à souffrir le martyre de l’invasion de leurs champs par le striga.

Tout le Centre-Ouest infesté

Joseph Zoma est celui qui s’occupe de la protection des végétaux à la direction régionale en charge de l’agriculture du Centre-Ouest. A l’écouter, toute la région est infestée par cette plante parasite qui s’attaque particulièrement au sorgho, au mil, au maïs, et même au riz. Aux dires de M. Zoma, cela est dû en partie à la pauvreté des sols. D’où la nécessité de toujours les fertiliser.

Selon Dr Djibril Yonli, chercheur à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA), le striga attaque les cultures hôtes surtout par le système racinaire. Il rapporte qu’un inventaire a permis de répertorier 13 espèces de striga au Burkina Faso, parmi

Tibi Mathieu Zongo en plein arrachage de striga dans son champ de sorgho à Sabou.

lesquelles deux sont les plus répandues et affectent sévèrement la production agricole. « Il y a une espèce qui attaque les cultures céréalières qu’on appelle striga hermonthica et une autre qui affecte les légumineuses du nom de striga gesnerioides», précise le spécialiste du striga, également maître de recherche en malherbologie.

En termes de distribution géographique, Dr Yonli affirme que les espèces de striga se retrouvent partout sur le territoire national, mais avec une forte infestation et une sévérité plus élevée dans les zones du Plateau central, du Sahel et de l’Est. Par rapport à son impact sur l’agriculture, le malherbologue estime qu’il est catastrophique. Selon lui, des études ont montré que quand une parcelle est fortement attaquée, les pertes peuvent aller de 40% jusqu’à 100%.

« En 2006, une étude a montré qu’au Burkina Faso, les pertes de rendements étaient de 700 000 à 800 000 tonnes pour le sorgho et le mil seulement », informe Dr Yonli. Il signale par ailleurs que les espèces les plus affectées par le striga hermonthica sont d’abord le sorgho, ensuite le mil, le maïs et en quatrième position le riz pluvial. Concernant le striga gesnerioides, c’est principalement le niébé qu’il attaque.

Ce constat est également fait dans les champs où des touffes de cette espèce de striga émergent aux pieds du haricot local. Pour venir à bout de ces plantes parasites, les techniciens conseillent la lutte physique à travers l’arrachage à temps, c’est-à-dire avant la floraison des plantes du striga, le sarclage profond et la fertilisation par le fumier et les engrais minéraux. Il en est de même de la rotation culturale avec l’intervention de faux hôtes du striga comme le coton ou les arachides.

L’opération d’arrachage est tellement complexe que Dr Yonli recommande de rassembler les plantes de striga déracinées hors de la parcelle et d’y mettre le feu. A son avis, la méthode qui promet actuellement est la lutte génétique avec le développement des variétés résistantes de sorgho. Mais là aussi, ça coince toujours. Car, argumente-t-il, il existe beaucoup plus de variétés tolérantes que de variétés résistantes. Les variétés tolérantes, clarifie-t-il, permettent à la plante parasite d’émerger, mais sans pouvoir affecter leur production potentielle.

La lutte intégrée préconisée

Alors que les variétés résistantes ne permettent presque pas l’émergence de la plante parasite ou si elle venait à apparaître, ce sera en petite quantité qu’elle ne pourra pas impacter sur leur production. « Actuellement, il y a des variétés résistantes telles que le sorgho N13 qui ont été développées. Malheureusement en termes de valeur organoleptique, ça ne va pas », indique Dr Yonli. Selon ses dires, beaucoup d’activités de recherche sont en cours pour mettre au point des variétés résistantes, mais le bout du tunnel n’est pas pour bientôt.

Quant à la lutte chimique, le chercheur note qu’elle demande du matériel sophistiqué et n’est pas à la portée des producteurs burkinabè. Des arguments qui laissent deviner que le combat engagé contre le striga sera de longue haleine. Pourra-t-on vaincre un jour ce mal au Burkina ? A cette préoccupation, Dr Yonli répond par l’affirmative mais à condition que le pays déploie de gros moyens. Puisque, relève-t-il, la complexité de la lutte est liée aux spécificités biologiques du striga dont la capacité de survie des graines dans le sol est d’environ 14 ans.

Philomène Badolo/Kantiono, productrice à Kyon : « Il faut que le ministère en charge de l’agriculture se penche sur le cas du striga ».

Même s’il estime que l’espoir est permis dans la lutte contre l’herbe parasite, Joseph Zoma reconnait aussi que ce ne sera pas chose aisée. Il dénonce l’entêtement de certains producteurs qui utilisent des herbicides à base de glyphosate pour combattre le striga. « Alors que nous conseillons les méthodes agronomiques, physiques et prophylactiques », rappelle M. Zoma. A en croire le président de la Chambre régionale d’agriculture (CRA) du Centre-Ouest, Madi Kondombo, dans un passé lointain, les producteurs se servaient d’une plante sauvage et vivace du nom de Desmodium pour combattre le striga.

Malheureusement, déplore-t-il, l’espèce a disparu de nos jours à cause de l’utilisation abusive des produits chimiques. Pour l’instant, c’est la lutte intégrée, s’appuyant sur plusieurs méthodes, que la recherche préconise comme alternative. Selon les explications de Dr Yonli, il faut appliquer plusieurs méthodes sur la même parcelle pendant une dizaine d’années, avant d’observer les résultats escomptés. Car, dévoile-t-il, la capacité de reproduction du Striga est très grande, à telle enseigne qu’un seul pied peut générer plus de 100 000 graines qui seront enfouies dans le sol. Malgré tout, les producteurs ne s’avouent pas vaincus devant cet « ennemi commun » qui résiste pour le moment à tous les traitements.

Mady KABRE