L’ancien coach de l’AS Police, Idrissa Congo, est sorti de sa réserve depuis sa démission (12 novembre 2019) à la tête du club des Policiers, en publiant un poste poignant sur les réseaux sociaux concernant la situation actuelle du football burkinabè et les élections à venir à la FBF. Dans l’interview qui suit, il apporte plus de précisions sur sa publication et aborde d’autres sujets comme la formation, sa passion, le championnat national de D1, les transferts de Edmond Tapsoba et de Hervé Koffi…

Le 14 avril dernier, vous écriviez sur votre page Facebook ceci : « ceux qui prônent et nourrissent le clanisme, sont en réalité les ennemis de notre football ». Ne trouvez-vous pas vos propos un peu exagérés ?
Peut-être que des gens le prendront comme cela. Mais moi qui raisonne comme un praticien, et non comme un politicien, le contexte actuel est tel que je l’ai décrit dans mon poste. Or, au vu de la situation actuelle de notre football, l’heure doit être aux débats d’idées pour trouver l’homme qui peut incarner notre maison mère afin de tirer vers le haut notre sport-roi. Mais quand on écoute les gens actuellement, on sent des débats partisans, et non d’idées. Avec ces personnes dans un moment aussi crucial qui ne prônent pas des idées, mais des clans, dire qu’elles nuisent à notre football, ce n’est pas exagéré. Le politicien trouvera mes propos forts, mais pour moi le praticien qui aime mon sport, je dirai le contraire. Les gens souhaitent qu’untel ou tel autre soit président de la fédération sans chercher à connaître leur projet pour notre football. Pourtant, c’est autour du projet des différents candidats qu’on devrait mener les vrais débats. Mais si le débat se résume à une personne, là il y a problème pour un pays qui cherche sa voie de développement pour son sport. A l’heure actuelle, on devrait plutôt s’interroger sur ce qui a été réalisé, les impacts réels des réalisations sur notre football, sur les footballeurs… voilà ce qui a justifié mes propos.

A vous lire, vous avez des craintes sur les élections à venir à la Fédération burkinabè de football. Pourquoi ?
Dans notre pays, on a intériorisé des réflexes devenus culturels et historiques. A savoir qu’on ne doit pas changer une équipe qui gagne, et cela sous-entend que l’on change quand ça ne va pas. J’ai relevé quatre problèmes à ce raisonnement : politiques, économiques, sociaux, culturels. Et là je fais référence à l’insurrection populaire, parce que certains acteurs s’étaient affichés en indiquant que tant que tout va bien, il ne faut pas changer. Si j’ai des craintes, c’est à ce niveau là. Il y a certains à travers leurs propos qui semblent dire que si Sita Sangaré n’est pas reconduit, ils ne seront pas prêts à travailler avec quelqu’un d’autre. Or notre football a besoin actuellement de tout le monde. Le prochain président peut aussi décider de ne pas travailler avec ceux qui étaient contre lui au départ. Et ce serait dommage.

Dans votre écrit, vous semblez également dire que notre football ne progresse pas. Qui sont les principaux fautifs ?
Dire que notre football ne progresse pas, ce n’est pas vrai. Il faut reconnaître qu’il y a eu quand même des progrès à certains niveaux. Sous le président Sita Sangaré, il y a eu des acquis, mais aussi des insuffisances. Quand je parle d’insuffisances, j’ai énuméré de grands questionnements qui n’ont pas été encore résolus. Et ces grands questionnements pour moi, ce sont les acteurs. Si aujourd’hui, des joueurs continuent de s’entraîner et de jouer à jeun, alors que ce sont eux qui doivent produire le spectacle, même si vous criez qu’il y a progrès, il y a aussi problème. A qui la faute ? Je répondrai à nous tous. Particulièrement aux entrepreneurs de notre football que sont les dirigeants. A mon avis, un dirigeant doit être un entrepreneur. Pourquoi ? Parce qu’aucun projet, aucune entreprise ne peut se pérenniser si elle n’est pas assise sur une base économique stable, sur des innovations qui créent des emplois. Si l’entreprise doit créer une précarité des acteurs, ça ne va pas. Aujourd’hui, pour être dirigeant et apporter à notre football, il faut définir d’abord un projet qui a un sens, une direction, avec des étapes claires liées à des objectifs précis et avec les moyens pour pouvoir les atteindre. Ensuite, mettre en place une bonne communication pour faire adhérer le projet à tout le monde, les joueurs, les partenaires, les supporters…C’est un ensemble et surtout il faut savoir désigner le chef de projet par rapport à son profil, nommer des spécialistes aux postes-clés et non des amis. Aussi, il faut investir, parce qu’aucune entreprise, aucun projet ne peut tenir s’il n’est pas assis sur une économie stable. Il faut investir sur les joueurs. Est-ce que je dois faire venir des stars ? Tout dépend de mon projet. Est-ce que je veux aller dans le sens de recruter des jeunes talents en devenir ? Mon projet me le dira. Est-ce que je dois mixer les deux ? Là encore, c’est mon projet qui le dira. Ce que je viens d’indexer est le véritable problème de notre football. Nos clubs n’arrivent pas à s’inscrire dans le top niveau continental parce qu’ils n’arrivent pas à retenir leurs joueurs- cadres même en étant qualifiés pour une campagne africaine. N’importe quelle équipe au monde qui n’arrive pas à retenir un tant soit peu ses cadres ne pourra pas espérer des résultats qui vont attirer des sponsors. Chaque année, les joueurs burkinabè sortent pour aller chercher un avenir meilleur ailleurs. Combien de joueurs ont grillé leur carrière en voulant aller voir ailleurs ? Je ne les incrimine pas, parce qu’il n’y a pas au Faso un projet qui les retienne. Est-ce qu’un coach peut trouver une identité de jeu, s’il est obligé chaque fois de renouveler son effectif ? Il faut que nous puissions stabiliser nos joueurs pour un bout de temps. En dehors de ces axes, il y a aussi les infrastructures. Aujourd’hui, aucun club ne peut faire du football industriel sans posséder son propre terrain. A défaut, il faudra que les clubs négocient avec les municipalités pour avoir la gestion exclusive des stades. Ce n’est qu’une proposition que je fais. Par exemple l’EFO et l’ASFA-Y peuvent négocier avec la ville de Ouagadougou, pour que le stade Issoufou-Joseph- Conombo devienne leurs bases. En ce moment, ces clubs peuvent tendre vers le naming. C’est une expression qui, aujourd’hui, est en train de remplacer le sponsoring. Ainsi, ils peuvent embellir le stade comme ils le veulent, ou lui donner un nom comme Abdou Service, SOGEA SATOM, etc. afin que ces sociétés puissent chaque année injecter de l’argent au club. Aussi, ils peuvent profiter des journées creuses pour faire venir certaines stars de la musique, pour des concerts afin de se faire de l’argent. Ça se fait ailleurs. Le football, pour qu’il soit industriel, doit générer des activités tout autour. Tout ceci ne peut se réaliser que si le club dispose de ses propres infrastructures. Même si le Burkina Faso décide d’évoluer vers le football business, où construire nos stades ? Il faudra que nos autorités songent à prévoir de grands espaces dans les régions du Burkina Faso. Il faut savoir anticiper pour l’avenir. En plus, je voudrais aborder un volet important : la formation. De nos jours, il n’y a pas un seul club au Burkina qui peut bien former ses joueurs. Ce club n’existe pas, à cause du manque de moyens. La formation coûte très cher et ne tolère pas de l’à peu-près. Juste pour ouvrir une parenthèse, le modeste club de Sochaux en France mise chaque année environ 2 milliards de nos francs pour la formation. Lyon est à plus de 14 milliards par an. 14 milliards peuvent financer nos clubs à hauteur de 100 millions par saison pendant huit(8) saisons. Ce que font nos clubs, ce n’est pas de la formation, c’est plutôt de la représentation, sinon du conformisme. Ceci pour dire que quand on parle de progrès de notre football, il ne faut pas généraliser. Un camp dira qu’il y a progrès, l’autre dira qu’il n’en est rien. Débattre de notre football en créant des clans, c’est être ennemi de notre sport- roi.

Est-ce qu’avec la situation de nos clubs, il est possible d’évoluer vers le football business comme vous le dites ?
Le football business c’est quoi ? C’est un football qui rapporte. D’abord, il faut le résoudre sur le plan national. Il faut que nos stades soient pleins. Comment attirer les gens ? J’ai tantôt parlé de dirigeants sans aucune vision. Effectivement, la gestion actuelle de nos clubs ne nous permet pas d’aller vers le football business. Mais est-ce que nous devons attendre que nos clubs trouvent le chemin pour aller vers le football business ? La mauvaise rémunération de nos acteurs fait partie des causes de la non-affluence dans les stades. Mais il y a pire que la mauvaise rémunération. Des joueurs traînent des arriérés et ont des difficultés à s’entraîner. Or, il faudra développer cette industrie autour de l’acteur. Prenez l’exemple des subventions octroyées par le ministère des Sports. Celui-ci avait vu juste en disant que les subventions seront adressées aux joueurs, mais son utilisation a été dévoyée. Qu’est-ce que je propose ? Avant d’en arriver aux salaires mirobolants du joueur, il faut d’abord lui assurer un minimum vital. A mon avis, l’utilisation de cette somme mérite d’être revue. 2 millions FCFA pour la D1, 1million pour la D2, je propose que ces sommes soient un salaire de base stable pour les joueurs. Comment ? Si un club dépose une liste de 30 joueurs, le salaire de base des joueurs de ce club sera : 2 millions /30 = 66 000F. Et si le club a discuté avec le joueur sur un salaire de 200 000F, alors chaque mois, le club lui versera 134 000F. Et au cas où il y a un retard de paiement, le joueur a un minimum pour vivre et pourra être productif. C’est une question de bon sens. Ailleurs, le club dépose son budget en début de saison afin que l’on s’assure qu’il pourra effectivement payer ses employés. Le club doit fonctionner comme une entreprise. Cela incombe aux dirigeants, mais la Fédération est là pour réguler, en s’assurant que le joueur aura au moins le minimum vital, afin d’assurer le spectacle au stade.

Quels sont les principaux maux du football burkinabè aujourd’hui ?
C’est le manque de moyens. Qui va faire venir ces moyens ? C’est la politique que nous allons mettre en place qui va nous permettre d’avoir les moyens. Salitas par exemple a mis en place une politique qui lui permet d’avoir un peu de moyens pour aller vers le professionnalisme. Mais le club a besoin d’être accompagné par tous les acteurs. En dehors de l’aspect économique, il y a le problème infrastructurel comme je l’ai déjà souligné plus haut. Un football spectacle est conditionné par une économie stable, des joueurs bien traités. Pour produire des stars, il faut les retenir au pays. Les gens sont nostalgiques de l’époque des Gualbert Kaboré, Alexis Ilboudo, Taonsa Wendwaogo, etc. Ils ont passé combien d’années à l’EFO, à l’ASFA-Y ? Si tous ces joueurs étaient allés voir ailleurs en leur temps, on n’aurait pas eu du spectacle dans nos stades.

La manière dont des clubs comme l’EFO, l’ASFA-Y et bien d’autres sont gérés actuellement où on ne sait pas qui est le patron, comment avoir une vision à moyen et long terme ?
On a eu à animer avec la Direction technique nationale une conférence sur le thème, « Développement économique et industrie du sport au Burkina Faso ». Sous le régime Compaoré, le référentiel de développement, la SCAAD, prenait le football comme un facteur politique et social. Avec le PNDES, le football est maintenant pris dans ses facteurs économique et social. C’est dire que les formations comme l’ASFA-Y, l’EFO, le RCB, et les autres, sont des clubs qui vont disparaître s’ils ne se transforment pas en entreprise. Qui va transformer ces clubs en entreprise ? Est-ce le président qui vient d’être élu pour un mandat de 2 ans qui va dire, « je vais vendre le club à quelqu’un » ? Comme au Burkina personne ne veut prendre ses responsabilités, qui va le faire ? Le PNDES voudrait que le sport apporte 10% au PIB. Si l’Etat veut que ce soit ainsi, il doit s’y mettre pour dynamiser le secteur. Certains auront peur de l’intervention de la FIFA. Mais l’Etat peut intervenir selon les règles entrepreneuriales du pays.

Quels ont été les acquis et les faiblesses des huit ans du colonel Sita Sangaré à la tête de la FBF ?
Je pense que Sita Sangaré a pu impulser notre football à des niveaux élevés. Sur le plan sportif, on a engrangé des victoires vraiment à saluer.
Il y a eu des avancées. Lorsque vous vous penchez sur le côté technique du football, grâce à la politique de Sita Sangaré, la formation des entraîneurs a été une réalité. Cette formation a impacté le niveau du championnat burkinabè. Par exemple, il y a 10 à 15 ans en arrière, le championnat ne regorgeait que d’entraîneurs étrangers qui dictaient leur loi. Aujourd’hui, dans les différents clubs du pays, la majorité des techniciens sont des Burkinabè. Et ils font du bon boulot. Sur le plan des infrastructures, il y a eu des acquis avec la construction de stades, l’électrification de quelques installations…
Quant aux insuffisances, j’aurais aimé voir nos clubs titiller les grandes formations de référence du continent africain. Il faut prendre cela en compte afin de faire décoller notre football. Car l’on ne pourra vendre très cher nos produits que si notre championnat est relevé et respecté. Cela incombe à tous les acteurs, pas seulement au président Sangaré. En plus, je déplore le fait que nous ayons aujourd’hui une pépinière délaissée, c’est-à-dire ces entraîneurs qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école mais qui encadrent des enfants. Il ne faut pas les abandonner à leur sort parce que le football professionnel est en train de leur faire beaucoup de tort. Ils sont laissés à eux- mêmes car au Burkina Faso, il suffit de ne pas savoir lire et écrire pour ne pas bénéficier d’une formation à la FBF. Il faut revoir leur situation. J’ai personnellement conçu un contenu de formation dans les langues nationales pour les outiller et surtout les sensibiliser pour qu’ils ne se sentent pas délaissés. Car si ces entraîneurs-là baissent les bras, il y aura un impact sur les rendements de notre football professionnel. Revenons à nos entraîneurs nationaux. Pour moi, une fois qu’on devient sélectionneur, on ne doit pas être partisan d’une équipe. Je prône que les entraîneurs nationaux n’aient pas à prendre en charge un club. Ils peuvent être constitués en équipe technique pour venir en aide à la direction technique nationale. Ils doivent sillonner tous les clubs pour un apport technique et véhiculer le message de la DTN. Ils peuvent descendre même dans nos secteurs pour voir comment fonctionne notre football. J’ai vu le staff de Paulo Duarte sillonner les terrains d’entraînement des clubs pour apporter leur touche technique. C’est un apport considérable. Si l’entraîneur d’un club voit un soir déboucher le sélectionneur national pour observer son travail, cette présence sera une pression positive pour lui. A mon avis aussi, les phases finales de grandes compétitions peuvent servir de cadre de stage pratique pour ces coaches. Peut-être que ce genre de rencontres se fait sans médiatisation, mais ce stage peut être d’un grand apport aux techniciens locaux.

Comment avez-vous apprécié le feuilleton Sita Sangaré avec la hiérarchie militaire ?
C’est assez surprenant. A mon humble avis, il aurait été judicieux, au vu de ce que l’homme incarne et ce qu’il a fait, que ce soit lui-même qui annonce sa non- candidature. Cette annonce l’aurait grandi, et serait surtout un signe de maturité pour notre démocratie dans la gestion du sport. Egalement, son annonce aurait pu le renforcer dans sa quête de gravir les échelons au sein du comité exécutif de la CAF. Sincèrement, on aurait pu éviter cette double lettre. Aujourd’hui, il y a des gens qui espèrent qu’une troisième lettre viendra pour rétablir sa candidature. C’est dommage.

Vous écrivez aussi qu’ « aujourd’hui, le football burkinabè a plus que jamais besoin d’un homme qui a la lucidité et le charisme pour se tabler sur les acquis et oser s’attaquer aux parasites opportunistes et répondre aux besoins réels et énormes de notre football ». Qui pourrait être l’homme idéal qui répondrait à votre description ?
Permettez-moi d’abord de dresser le profil de l’homme. Le nouveau patron de notre instance suprême doit être :
-charismatique pour inspirer le respect, la sérénité et pouvoir faire passer les idées nobles ;
-accessible et ouvert pour non seulement écouter ses collaborateurs mais également ses adversaires, le grand comme le petit. Et entre deux vérités, savoir choisir la vérité du milieu ;
-innovateur pour créer du nouveau à partir des acquis et surtout de nos réalités économiques et culturelles sans vouloir tout copier ailleurs ;
-audacieux et visionnaire pour oser apporter des réformes courageuses et penser notre football dans 10, 20, 30 ans et non penser juste aux élections à venir.
Voilà un peu l’homme idéal. Mais si vous me dites de le nommer, cela reviendrait à retrouver le camp de ceux que je fustigeais tantôt. Il nous faut trouver cet homme et je m’adresse en ce moment à tous les acteurs. Et on trouvera cet homme à travers des débats d’idées, de confrontation d’idées et surtout à travers les programmes.

Quelles devront être ses priorités pour les quatre années à venir ?
Ces dernières années, nous avons eu de bons résultats avec l’équipe nationale. Mais la priorité du nouveau président sera de nous requinquer l’équipe nationale A qui est en fin de cycle. Un des cadres vient de prendre sa retraite internationale. Ceux qui sont restés ne pourront plus performer pendant longtemps. Il faut qu’il se table immédiatement à la reconstruction d’une équipe jeune et compétitive. Sita Sangaré avait ébauché la structure en nommant un entraîneur local qui connait mieux le Faso foot, à savoir Kamou Malo que je respecte. Même si je trouve qu’il y a une ambivalence par rapport aux objectifs et la durée de son contrat.
Au niveau des clubs, il faut restructurer et oser donner la priorité à l’acteur, c’est-à-dire au joueur. Il faut oser faire comprendre aux clubs qu’ils sont là pour tirer le football burkinabè vers le professionnalisme et non le mener dans la précarité. Il ne faut pas se taire face à la souffrance des acteurs. Notre championnat, nos clubs, les prestations de nos équipes nationales sur le plan continental sont de grands chantiers qu’il faut revoir. Et cela passe par une politique des clubs à retenir les joueurs-cadres. Aujourd’hui, tout est statistique dans le football dû à la technologie. Lorsqu’un joueur arrive dans un championnat professionnel, en cinq matches ses courses sont évaluées, les zones qu’il occupe régulièrement sont identifiées, les passes décisives sont dénombrées, le nombre de buts comptabilisé…Il sera jugé sur ces statistiques. Ce sont de nouvelles données que l’on doit intégrer dans la formation des entraîneurs burkinabè. Les coaches que nous sommes, nous devons pouvoir dire aux joueurs qu’ils ne doivent pas se précipiter pour signer à l’extérieur. Il y a des détails que nous devrons faire ressortir sur le plan technique pour permettre à nos joueurs d’aller réussir ailleurs. Le nouveau maître des lieux devrait innover. J’insiste sur l’innovation. Car en Afrique, si les aides au développement n’ont pas pu développer le continent, de même les aides de la FIFA ne suffiront pas à développer notre football. Il faut des idées locales pour développer notre football, en partant sur la base du réel. Il faut oser dire aux clubs qu’ils ne doivent pas fonctionner comme des associations, et leur donner un temps pour se restructurer…voilà de gros chantiers.

En tant que technicien avisé du football burkinabè, comment jugez-vous le niveau du Faso foot ces dernières années ?

Je prends part à ce championnat, donc je suis comptable du niveau de notre Faso foot. Sur le plan physique et tactique, notre football a progressé. Mais sur le plan technique, c’est autre chose. Incombe-t-il à l’entraîneur sénior d’apprendre à un joueur à contrôler une balle ou à faire une passe ? Il peut le faire juste à des séances spécifiques. Le joueur à partir d’un certain âge ne peut plus être modelé comme s’il était jeune. Pour relever le niveau de notre championnat, il faut revoir la formation et elle coûte cher. Nos clubs n’ont pas les moyens. Lorsqu’il y a une compétition des petites catégories, ils vont voir un entraîneur du quartier pour qu’il leur donne des jeunes en leur promettant une licence. Ce sont ces pratiques qui créent des problèmes après dans les transferts comme c’est le cas de Hervé Koffi et Edmond Tapsoba.
Sur le plan local, notre football a progressé grâce à la formation des entraîneurs. La Direction technique de la fédération a abattu un travail énorme qu’il faut féliciter. Mais elle doit être décentralisée pour être plus proche des encadreurs.

Idrissa Congo a quitté la tête de l’AS Police à la surprise générale même des dirigeants du club. Qu’est-ce qui s’est passé ?
C’est par conviction personnelle. Je ne vous dirai pas tout, mais il y a des réalités qui font que vous n’arrivez plus à faire votre travail. Si vous n’arrivez plus à travailler correctement, la sincérité voudrait que vous renonciez. J’ai démissionné par sincérité envers le club, moi-même et surtout par sincérité envers les joueurs. A un moment donné, j’ai trouvé que je ne pouvais plus faire le travail comme il se doit.

Avec le recul, avez-vous pris la bonne décision ?
Oui, j’ai pris la bonne décision. Ce que j’avais voulu pour travailler, je ne l’ai pas eu. Je ne regrette pas parce que ça a été ma décision et j’assume.

Si toutefois le championnat reprenait, votre ancienne équipe a-t-elle des chances de se maintenir dans l’élite ?
Dans le football, il y a deux langages. On dit généralement que mathématiquement tout est possible. Et sur le terrain, en réalité, c’est difficile mais pas impossible. Il faut pouvoir toucher l’essentiel pour créer le déclic. Cela relève des dirigeants qui doivent trouver la motivation pour relancer l’équipe. D’autant qu’il y a eu une trêve forcée et qui peut remettre tout à zéro. Il faut normalement un mois et demi pour préparer un athlète afin qu’il soit apte à revenir à la compétition. Il est vrai que des équipes donnent des programmes individuels à leurs joueurs pour rester en forme. Mais le football n’est pas un sport individuel. Il va sans dire que le problème se posera toujours sur le terrain. Cette situation pourra peut-être donnée des chances à mon ancienne équipe de se maintenir. Je souhaite qu’elle se maintienne afin de revoir certaines choses dans sa gestion.

Plusieurs techniciens locaux ont été nommés à la tête des différentes catégories des Etalons. Aviez-vous postulé en son temps ?
Je n’ai pas postulé. Il fallait pour postuler à un poste de titulaire, la licence A CAF. J’ai été admis mais le diplôme jusqu’à présent n’a pas été validé sur le plan continental. J’ai appris à la dernière minute qu’il y avait des dérogations pour ceux qui le voulaient, de postuler. Mais la nouvelle n’a pas été communiquée.

Pensez-vous que les élus à l’arrivée sont les hommes qu’il faut à nos équipes nationales ?
Oui ! Tous ceux qui sont à la tête des différentes sélections sont des gens qui connaissent notre football. Je peux affirmer que ce sont les hommes qu’il faut même si des gens auront toujours des choses à redire. Tout le monde ne peut pas être élu. Cependant, les différents coaches nommés, de par leur expérience, méritent leur poste. Je loue cette vision qui a conduit à la nomination d’entraîneurs locaux jusqu’à chez les Etalons A.

Le transfert de Edmond Tapsoba en Allemagne a créé de nombreux remous au Burkina notamment autour de l’indemnité de solidarité. Quel est votre commentaire sur ces tractations ?
Cela laisse voir que les acteurs, malheureusement, ne s’entendent pas, or l’adage dit que le linge sale se lave en famille. Paraitrait qu’il y a 100 millions F CFA qui flottent, qu’il faut après transférer à la FIFA, le faire revenir et attendre que quelqu’un le réclame…Est-ce qu’on a besoin de tout cela ? Non. Est-ce que entre Salitas et les autres ayants droit ils ne peuvent pas s’entendre ? Qu’est-ce qui créent ces problèmes ? Parce qu’il manque de passerelle au Burkina Faso entre le football professionnel et le football amateur. Je pense qu’à ce niveau, la fédération peut créer des mécanismes locaux en dehors de ceux de la FIFA pour une connexion entre le football professionnel et le football amateur afin que celui-ci puisse vivre des retombées de l’autre. Parce que c’est l’inverse qui se fait actuellement en matière de fourniture des joueurs. C’est malheureux ce qui s’est passé. Le cas Edmond Tapsoba n’est pas unique. Il y a également le cas Hervé Koffi avec l’ASTEC de Koubri que j’ai dirigé et d’où Koffi est sorti. Sur son passeport de joueur, il est bien inscrit ASTEC de Koubri, mais jusque-là on ne sait pas où l’argent est rentré. On n’a rien reçu. Ce cas montre à quel point rien ne va entre les acteurs. Il faut qu’on revienne à la raison pour permettre à notre football de progresser.

Dans le cas Koffi, le problème se situe exactement à quel niveau ?
J’ai eu personnellement au téléphone le PCA de l’ASEC d’Abidjan, Roger Ouegnin qui m’a assuré qu’il n’y avait pas de problème. Il m’a dit de retourner voir les dirigeants. J’ai été d’abord voir M. Lankoandé qui s’occupe du transfert des joueurs à la fédération. Il m’a dit qu’ils suivent l’affaire de près. Entre-temps, j’ai été voir le SG de la fédération qui m’a dit que tout est en état et s’interrogeait pourquoi nous n’avons pas eu gain de cause. Je lui ai dit que s’il n’y avait pas gain de cause, on va ester en justice. Après, on m’a dit de voir du côté des autres clubs où le joueur a aussi évolué.
Aujourd’hui, le dossier est entre les mains du fondateur de l’ASTEC de Koubri. Je ne sais pas comment il va gérer le problème. Le cas Hervé Koffi est lamentable parce que nous avons pris en charge sa scolarité. Il a passé deux années au centre et a pris part avec nous dans différentes compétitions. C’est d’ailleurs de là-bas que je l’ai transformé en gardien de but. Pourquoi ne pas avoir des retombées qui serviraient à former d’autres enfants pour que la chaîne puisse se poursuivre ? C’est méchant. Et nous ne pouvons pas progresser dans cette méchanceté. C’est à mon président d’ester en justice pour avoir gain de cause. Mais est-ce qu’on devrait en arriver à là ?

Comment un entraîneur de club au Burkina Faso peut gérer une suspension à durée indéterminée du championnat à cause du COVID-19 ?
En tant que coach, il faudra rester en contact permanent avec les joueurs, les motiver à ce qu’ils se maintiennent physiquement avec un programme déterminé. C’est l’idéal. Mais si ton joueur vit des moments difficiles, tu as peur en tant que coach de l’appeler pour savoir s’il se maintient. Il y a donc l’idéal et la réalité.

Tout récemment, je lisais qu’il n’y a que cinq clubs qui sont à jour dans le paiement des salaires. Est-ce que les entraîneurs des clubs qui ne paient pas leurs joueurs pourront les appeler pour insister sur un programme à respecter ? Ce sera difficile.

Quel est le quotidien du coach Congo depuis qu’il a quitté l’AS Police ?
J’ai créé une école primaire privée du CP1 jusqu’au CM2 qui suit le programme général. Mais il y a aussi le football. Il s’agit en quelque sorte de football-études. Je suis régulièrement auprès de ces jeunes pour apporter ma touche, même s’il y a des encadreurs qui s’en chargent. En plus, j’ai un centre qui fonctionne en régime internat-externat que je gère pour permettre à ceux qui veulent faire le football et les études d’apprendre les B.A-BA. Mon quotidien n’est pas de tout repos. Je suis toujours en activité tout en étudiant l’évolution du football local et international afin de m’inspirer de certaines choses. Ma passion, c’est la formation et pour moi seule elle peut faire grandir notre football. Je suis fier de voir que j’ai formé des joueurs qui font les beaux jours de certains clubs au Faso et aussi à l’extérieur. Novembre prochain fera mes 20 ans d’expérience. J’enseigne, j’administre, mais je n’ai jamais récolté un seul copeck de tout ce que j’ai fait, alors que j’ai vu certains joueurs signer à l’extérieur. On me dira que c’est parce que je travaille dans l’informel.

Entretien réalisé par :
Barthélemy KABORE
Sié Simplice HIEN

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