Il était promu à un bel avenir au vu de son énorme potentiel. Technique, percutant et vif, Sié Clovis Kambou n’a passé que seulement deux saisons dans le championnat national d’élite burkinabè. Après le Ghana et l’Ashanti Kotoko, il met le cap sur l’Hexagone en 2000. Mais pour des raisons diverses, l’ex-sociétaire du Santos FC n’a pas pu étaler son immense talent. Aujourd’hui âgé de 39 ans, l’ex- international burkinabè revient dans l’entretien sur ses mésaventures footballistiques et sa reconversion réussie.

Depuis ton exil en France vers les années 2000, point de nouvelles de Sié Clovis Kambou ?
Je me porte à merveille. J’ai troqué mon maillot de footballeur pour le costume d’entrepreneur. Je vis à Saint-Tropez où je suis propriétaire d’un restaurant.

Pour les jeunes qui ne t’ont pas connu, qui a été Clovis le footballeur ?
Pour la génération qui ne me connaît pas, je vais leur dire que j’étais un jeune attaquant très promoteur du Santos FC. Je suis arrivé aux trousses de certains grands frères comme Mamadou Zongo «Bébéto», Omar Barro, Drissa Baga, etc. Ils étaient tous âgés que moi. J’étais un jeune attaquant. Le Santos FC m’avait repéré et m’avait fait signer. Avec mes bonnes performances sur le terrain, de grosses écuries de l’époque comme l’ASFA-Y, l’EFO, l’USFA me courtisaient. J’ai bien failli signer à l’EFO qui était à l’époque présidée par Salif Kaboré. Finalement, c’est un certain Malick Jabir qui a réussi à me convaincre. Il m’a fait les éloges d’un club mythique, l’Ashanti Kotoko. J’ai été séduit par son discours et je suis parti très tôt au Ghana.

Quels sont les clubs qui t’ont vu passer ?
J’ai commencé au Santos comme je vous le disais tantôt. Après, je suis parti à l’Ashanti Kotoko. Du Ghana, J’ai quitté le continent africain en 2000 pour l’Europe, précisément en Belgique. Là-bas, j’aurai dû signer à Charleroi. Finalement, il n’y a pas eu d’accord qui a été établi avec les dirigeants de ce club. Du coup, Didier Notheaux qui était le sélectionneur national du Burkina Faso à l’époque m’a proposé d’aller à Valenciennes. J’avais signé un précontrat. Malheureusement, un changement s’est opéré entre-temps à la tête de l’encadrement technique. Le nouvel entraîneur est arrivé avec son équipe. Didier Notheaux m’avait promis de signer au Havre qui évoluait en deuxième division à l’époque. Je suis rentré au pays en attendant la reprise des entraînements au Havre pour rejoindre le club. Je n’avais pas de nouvelles. Finalement, l’agent de Dieudonné Minoungou m’a contacté. Il cherchait un avant-centre pour un club de National, Viry-Châtillon. J’y suis allé puisque ce club montait en L2. Deux jours après ma signature, Didier Notheaux m’appelle pour me dire que mon contrat au Havre en D2 était prêt et que je devais les rejoindre. Ne sachant pas quoi lui dire, je lui ai envoyé un message pour l’informer que j’avais déjà signé avec un club. Cela l’a beaucoup peiné parce qu’il a estimé que je ne lui ai pas fait confiance. Aujourd’hui, j’ai des regrets parce que je ne sais pas ce qu’aurait été ma carrière si j’avais signé au Havre. Après, j’ai eu plein de propositions. L’agent que j’avais à l’époque était obnubilé par l’argent. Et à chaque fois que des clubs proposaient de me faire signer, ça capotait toujours à cause des problèmes financiers. Cette succession d’avortements de contrats m’a beaucoup perturbé. En plus, j’ai été victime de blessures musculaires. Il y a eu Sampaoli, Karlsruhe, etc., ça n’a pas abouti. Il y a même eu le PSG et Monaco qui se sont intéressés à moi. Finalement, j’étais tout le temps blessé. Après, j’ai eu une blessure au genou. J’ai décidé d’arrêter complètement en 2007 parce que l’accumulation de ces mauvaises choses a fait que je me suis dit que le football n’est pas fait pour moi et qu’il va falloir que je change mon fusil d’épaule. Autre anecdote pour encore rajouter aux malchances diverses que j’ai eues durant ma carrière. Quand Marcel Desailly est venu à Ouagadougou pour un match de gala contre les Etalons et présenter le trophée de la Coupe du monde sur invitation de l’ex-président du Faso Blaise Compaoré, j’étais à ma dernière saison au Ghana. J’étais dans l’effectif de Desailly. J’avais joué en attaque avec Roger Mila. Abédi Pélé était en 10 et Desailly derrière. A la fin du match, le président Compaoré s’est renseigné pour savoir qui était le jeune attaquant qui a joué avec Roger Mila. On lui a dit que c’est un ancien joueur du Santos qui est parti très jeune au Ghana. A l’époque, le président d’alors du Santos avait été convoqué à la présidence parce que le président du Faso avait aimé mon style de jeu. Et comme il était en contact avec l’Olympique lyonnais, il était en train de travailler en coulisses pour me faire signer à Lyon. Finalement, ça ne s’est pas fait parce qu’à l’époque, Lyon avait pris un Brésilien.

A ton temps dans le championnat burkinabè, quel défenseur t’a causé des misères ?
Pour être franc, je ne craignais personne. J’étais le type d’attaquant qui adorait les challenges et qui aimait bien les duels. J’avais une assez grosse confiance en moi. Je n’ai pas le souvenir du défenseur qui m’effrayait dans le championnat à l’époque.

Quel est, selon toi, le meilleur footballeur burkinabè que tu as connu ?
Sans hésitation, ceux qui m’ont marqué sont Mamadou Zongo «Bébéto» et Maxime Gnimassou. J’ai connu Maxime Gnimassou en équipe nationale cadette. Il faisait partie des joueurs de l’effectif que j’admirais en tant que joueur. Quant à Mamadou Zongo, nous avons fait quelques sélections en équipe nationale ensemble. J’ai pu voir de très près les qualités de ces joueurs. Je me rappelle que certains disaient que si on avait Mamadou Zongo, Maxime Gnimassou et Clovis Kambou en pleine possession de leurs moyens et dans des clubs professionnels où ils sont bien suivis, le Burkina Faso allait un jour remporter la Coupe d’Afrique des Nations. D’autres aussi qui ont marqué le football burkinabè que je n’ai pas vu jouer.

Quelle appréciation fais-tu du niveau du football burkinabè ?
Je suis parti très jeune du Burkina Faso. J’ai quitté le championnat très jeune. J’ai fait deux saisons au Santos FC et je suis parti. Je n’ai pas eu de temps de regarder ou de prendre du recul sur le championnat du Burkina. Je ne pourrai pas vous donner un regard objectif parce que quand je suis parti, j’ai tracé ma route. J’ai évolué dans le championnat ghanéen. Après, je suis parti en Europe et j’ai beaucoup tourné. Je n’ai pas eu trop d’échos sur le championnat du Burkina.

Quel est ton plus beau souvenir de footballeur ?
Mon plus beau souvenir, c’est quand Didier Notheaux m’a remis le brassard de capitaine de l’équipe nationale. C’était lors d’un match au Mali. En face, il y avait un certain Seydou Keita. A l’époque, j’étais le plus jeune de l’équipe.
Il m’a donné le brassard. Je me rappelle que cela avait même choqué quelques anciens qui ne comprenaient pas qu’on puisse remettre le brassard au plus jeune. Je ne faisais pas partie des grands joueurs et je ne venais pas d’un grand club comme l’ASFAY, l’USFA. J’étais le seul joueur du Santos a toujours être appelé en équipe nationale. Je crois que cela a montré la confiance que l’entraîneur avait en moi. Je pense qu’à travers le brassard, il a voulu me faire comprendre que j’avais des qualités et que je pouvais avoir des responsabilités au sein de cette équipe.
Et le plus mauvais ?
Le mauvais souvenir, c’était le match Burkina Faso # Nigéria, au stade du 4-Août de Ouagadougou. Il y avait tous nos joueurs expatriés qui étaient titulaires. A la mi-temps, Didier Notheaux s’était énervé. Il disait que tous les joueurs expatriés ne nous apportaient rien et qu’il allait faire confiance aux jeunes qui jouent dans le championnat du Burkina et qui montrent l’étendue de leur talent chaque week-end. En deuxième période, il m’a appelé et m’a dit : «  j’ai confiance en toi et je sais que tu as du potentiel. J’aimerai que tu entres et que tu me gagnes ce match ». Je suis entré et au bout de dix minutes, je me suis créé une première occasion que j’ai ratée. Une deuxième occasion qui m’est tombée dessus dans la surface de réparation et j’ai mal négocié le ballon en mettant mon coup de tête hors du cadre. A la fin du match, Didier Notheaux est venu me voir et m’a demandé ce qui s’est passé et cette phrase qu’il a sortie en disant « tu m’as explosé dans le doigt », m’a suivi pendant très longtemps. Le lendemain, toute la presse m’est tombée dessus. Il y a même certaines presses qui disaient qu’il ne fallait plus appeler les « biberons » en équipe nationale, parce qu’on n’avait pas le dos assez solide pour supporter la pression de l’équipe nationale. C’étaient mes toutes premières critiques violentes que j’ai eues au tout début de ma jeune carrière.

Maintenant dans la restauration, qu’en est-il de ce projet qui a vu le jour le 1er juillet dernier ?
Le restaurant, c’est la suite logique de tout ce que j’ai pu entreprendre quand j’ai mis fin à ma carrière. Il fallait que je trouve une autre porte de sortie. J’ai fait des études. J’ai fait une formation pour être steward. J’ai même été admis à un test pour intégrer l’équipe des stewards d’Air France. Finalement, j’ai fait un petit tour à Saint-Tropez avec des amis. J’ai rencontré quelqu’un qui m’a dit que Saint-Tropez était l’un des villages les plus connus au monde. Que Saint-Tropez était un endroit où les hommes puissants se rencontrent. Qu’on peut faire des rencontres incroyables. Il m’a proposé de rester à Saint-Tropez, de signer dans le club de cette ville, et travailler pour la mairie. J’ai trouvé cette proposition alléchante. J’ai ainsi signé dans un petit club de Saint-Tropez. J’ai fait long feu puisque je me suis encore fait mal au genou. J’ai signé six mois mais je n’ai joué que deux mois. Après, j’ai arrêté avec l’équipe de Saint-Tropez. J’ai commencé à travailler comme agent d’accueil dans un restaurant qui était bien connu. Deux-trois ans après, j’ai commencé à me créer mon petit réseau avec les clients fortunés. J’ai monté ma première société qui était de la conciergerie. Tous les étés, je m’occupais de tous les besoins des personnes fortunées. Après, j’ai rajouté dans ma conciergerie, le service des taxis et de la sécurité. J’avais vingt salariés. J’ai tenu cette société trois ans durant et après j’ai arrêté, parce qu’il y avait trop de stress surtout avec les salariés. J’ai eu l’idée de créer un business dans la restauration. C’est le seul créneau ou le business ne pourra pas connaître de déficit parce que les gens viendront manger tant que la cuisine est bonne. C’est parti de là. Il y a eu un premier restaurant où je faisais la spécialité italienne. Par la suite, une opportunité s’est présentée à Saint-Tropez dans ce village mythique où l’on rencontre tout le monde. C’est d’ailleurs dans ce village que j’ai rencontré Samuel Eto’o, Didier Drogba avec qui je suis resté en contact. Avec Drogba, on communique très souvent. C’est aussi là-bas que j’ai rencontré Raul Gonzalez du Real Madrid, Luis Figo, Frank Rijkaard, Ruud Gullit. J’ai aussi fait la connaissance du président de l’Olympique lyonnais Jean Michel Aulas, avec qui on est en de bons termes. C’est vraiment un village qui m’a permis de créer mon réseau et de pouvoir avoir une bonne assise. J’avais dans ma petite tête, cette idée si un jour j’avais l’occasion d’avoir un restaurant à Saint-Tropez, je vais allier la spécialité locale et faire découvrir les plats africains. Et c’est ce qui s’est passé, car j’ai cette grosse opportunité pour pouvoir ouvrir ce restaurant et pouvoir réaliser mon rêve. C’est une éducation de mes parents qui m’ont donné de très bonnes bases et qui ont fait qu’aujourd’hui, j’arrive à dégager ce côté respectueux et je reçois en retour le respect des gens. Réussir à implanter un restaurant à Saint-Tropez et n’étant pas enfant du pays, c’est quelque chose d’énorme. On a plusieurs options dans la vie. Si une option ne marche pas, il faut se dire qu’il y a une autre. C’est ce que j’ai fait et aujourd’hui je récolte ce que j’ai semé. J’en suis fier. Je veux que mon pays soit fier de moi et fier de ce que je suis en train de faire dans ce village mythique.

A combien peut-on estimer le coût de ce projet ?
En général, je n’aime pas trop parler de chiffres. Pour certaines personnes, ça peut être indécent, et pour d’autres dérisoire. Je préfère ne pas donner de chiffres et dire que j’ai réussi à obtenir l’aide et le soutien qu’il fallait pour pouvoir réaliser ce projet.

Quels sont tes soutiens ?
J’ai un ami qui était un client. C’est un Anglais qui vit maintenant en France. Il a le pouvoir financier. Il était au courant du projet. Il voyait que j’étais quelqu’un qui voulait coûte que coûte réaliser ce projet. Il a jeté un coup d’œil et m’a dit qu’il était à 200% avec moi. Il a dit que c’est excellent ce que je veux réaliser et que si j’ai besoin de lui, il est prêt à me soutenir. C’est ainsi que j’ai accéléré le projet qui a vu le jour le 1er juillet 2020.

Comment sera le restaurant ?
Il sera ouvert à tout public. Je ne fais pas de discrimination. De toute façon, la spécialité que je veux faire sera de la gastronomie. Ce sera un lieu de rendez-vous. Je suis pour le vivre-ensemble. C’est mon combat et tous les gens ici le savent. C’est l’image que je reflète. En tant que Burkinabè, c’est une fierté de pouvoir porter très haut le drapeau du pays. Comme je le dis toujours à tous les Burkinabè avec qui je suis en contact, tout un chacun, on est ambassadeur de notre pays. Il est de notre devoir de nous comporter bien pour pouvoir représenter le pays. Nous n’avons pas le droit de faire n’importe quoi, ou de ne pas être des exemples pour les plus jeunes. Voilà pourquoi, ce projet est quelque chose de grandiose. Permettez que je profite de vos colonnes pour lancer un appel aux Burkinabè qui sont en France ou ailleurs, c’est d’être fier de ce qu’ils sont. Il ne faut pas qu’ils deviennent aliénés de leur culture. Il faut toujours être fier de ce qu’on est. J’ai toujours été honnête envers les gens. J’ai toujours montré aux gens que je suis Burkinabè. On est accepté ici en Occident, il est de notre devoir de nous imprégner, d’apprendre et de surtout nous préparer pour pouvoir apprendre à nos jeunes frères qui sont au pays. Aujourd’hui, ce que je souhaite est qu’on apprenne une bonne fois pour toute à être solidaire. Nous devons apprendre à faire les choses ensemble. Nous devons apprendre à nous soutenir. Nous ne devons pas être là à pointer du doigt l’autre. Si nous avons un frère qui fait du bien, il faut le soutenir. Si on était solidaire et organisé, je pense que ce serait les Européens qui chercheraient à venir en Afrique. Réveillons nos consciences, réveillons notre lumière, faisons de telle sorte que le respect puisse venir. Et le respect s’obtient en faisant des choses positives, en construisant et en éduquant. On dit toujours que l’union fait la force, apprenons à être solidaires et ensemble nous allons gagner.

Interview réalisée par
Yves OUEDRAOGO

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