Production de la papaye à Nakamtenga :La passion qui fait vivre des milliers de familles

La production de la papaye occupe une place de choix dans les activités des habitants de Nakamtenga, village relevant de la commune de Koubri, dans la région du Centre. Bien qu’ils arrivent à tirer leur épingle du jeu, ces producteurs font face à de multiples défis. Cherté du matériel de production et des intrants agricoles, manque de formation spécifique, rareté de l’eau, mévente…, sont le quotidien de ces passionnés du papayer.

Nakamtenga! Ce hameau de culture situé dans la commune rurale de Koubri, à une vingtaine de kilomètres de Ouagadougou, fascine par sa production de la papaye. En ce mois d’octobre 2020, la saison des pluies est en train de tourner sa page. Seul le mil de quelques retardataires trône encore dans les champs. Malgré tout, point de répit pour bon nombre d’habitants qui doivent poursuivre les travaux, soit dans le maraîchage, soit dans l’arboriculture fruitière. De prime abord, ce qui retient l’attention de tout visiteur à Nakamtenga est la forte présence des papayers ci et là. Difficile de faire une centaine de mètres sans croiser une « forêt » de papayers. Tout porte à croire que l’ensemble des habitants du bled sont des producteurs de ce fruit. Mais en réalité, ils sont nombreux à s’adonner à cette activité, jugée rentable. Idrissa Kanazoé est l’un d’eux. Du haut de ses 38 ans, ce jeune homme, grand de taille et bien trapu, a rompu avec le maraîchage pour se consacrer à la production de la papaye depuis 2006. Avec un potentiel de plus de 3 hectares (ha) de terres, Idrissa n’exploite que la moitié, compte tenu de ses moyens limités. Plus de 3 000 pieds de papayers peuplent son domaine, situé à près d’un kilomètre du grand barrage du village. Dans sa plantation, des merveilles s’offrent au regard. Du papayer nain au papayer solo, des grappes de fruits se disputent les arbres dont certains ploient sous leur poids. Sur un pied, l’on peut dénombrer parfois 40 fruits, voire plus. Les papayers nains intriguent par leur petite taille et le nombre de fruits qu’ils portent.

Cette activité, Idrissa la trouve très bénéfique, comparativement à la production de la pastèque, de la tomate, de la banane et du melon qu’il a dû mettre un terme parce qu’elle ne couvrait pas ses besoins. « La papaye est très rentable. On peut la récolter sur environ sept mois, alors que pour la pastèque ou la banane, c’est une seule fois », justifie-t-il, avec conviction. Pour lui, si les papayers produisent bien, on peut récolter, sur 1 000 pieds, deux tonnes de fruits par jour. M. Kanazoé dit engranger 400 mille F CFA par jour de la vente de ses fruits, en raison de 200 F CFA le kilogramme (kg) pour ce mois d’octobre.

 

Le papayer, une fortune pour les producteurs

Avec ses recettes, ce père de huit gosses et époux de deux femmes arrive à subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. « J’ai construit un bâtiment de 40 tôles dans ma cour, acheté une moto et un taureau. Je paie aussi la scolarité de mes enfants », se satisfait le trentenaire. De son avis, la production de la papaye ne nécessite pas beaucoup de main d’œuvre. C’est pourquoi il ne s’est pas attaché les services d’un ouvrier. Seuls les membres de sa famille lui donnent des coups de main dans sa plantation.

Autre lieu, même constat. Patrice Compaoré, la cinquantaine révolue, est aussi dans la production de la papaye depuis cinq ans. Père de cinq enfants, ce monogame est dans le maraîchage il y a de cela une vingtaine d’années. Même s’il n’a pas abandonné son activité de base, il excelle également dans la papaye. Avec une plantation d’un demi-hectare sur un potentiel de terres aménageables de 2 ha, Patrice dispose d’environ 1 200 pieds de papayers.  Cette « fortune », indique-t-il, lui permet de faire face à ses multiples charges familiales. « C’est le manque de moyens qui limite mes productions, sinon je peux mieux faire », se convainc le quinquagénaire. Dans son champ, certains papayers ont besoin d’être renouvelés. Leur grande taille rend la récolte malaisée. Mais compte tenu du défaut de moyens, Patrice n’y pense pas pour le moment. Son souhait est de trouver des acheteurs permanents car, à l’écouter, le marché est parfois morose.

Joseph Ouangrawa, 40 ans, a sa plantation qui est contiguë à un bas-fonds. Les pluies diluviennes du mois d’août ne lui ont pas fait de cadeau. Une portion de son champ a été inondée, décimant du même coup plus de 400 papayers. Qu’à cela ne tienne, le quadragénaire dit s’en tirer à bon compte. Il dispose de plus de 2 200 papayers dans sa plantation. Ceux qui ne sont pas touchés par l’intempérie présentent une bonne physionomie avec plusieurs fruits sur chaque arbre. « Dans l’année, je peux avoir environ 2 millions F CFA de ma vente », se réjouit le père de cinq enfants. Cela fait 15 ans que M. Ouangrawa produit la papaye. Aussi, la production de tangelo et le maraîchage n’ont plus de secret pour lui. Quant à la banane, il l’a carrément substituée à la papaye car, estime-t-il, le travail de cette dernière est moins fatiguant et plus bénéfique. Avec ses revenus tirés de la papaye, Joseph a acquis une motopompe, une moto pour son déplacement et des terrains en zone non lotie à Ouagadougou qu’il a mis en valeur. Aussi, arrive-t-il à assurer la scolarité de ses enfants ainsi que les autres besoins familiaux.

 

Le poids de la mévente

Madi Ouédraogo, 47 ans, n’est pas non plus un novice dans la production de la papaye. Maraîcher dans l’âme, ce polygame et père de six enfants s’est adonné au travail de la papaye il y a de cela 14 ans. Son exploitation d’un ha est située à un jet de pierre de la deuxième retenue d’eau du village. A vue d’œil, les fruits sont au rendez-vous. Seulement, Madi pointe du doigt l’instabilité du marché. Néanmoins, affirme-t-il, ses revenus lui permettent de prendre en charge sa famille de façon convenable et de payer la scolarité de ses trois rejetons. « J’ai pu construire des maisons en matériaux définitifs et acheter une motopompe performante », ajoute-t-il, tout heureux.

Même si les producteurs disent tirer profit, ils ne manquent pas de fustiger la morosité du marché de la papaye. Dans ce mois d’octobre, le prix bord champ se négocie à 200 F CFA le kilogramme. Cependant, il ne semble pas stable. Au mois de janvier, ce prix est susceptible de chuter à 150 F CFA le kilogramme. « A cette période, la papaye mûrit sur les arbres et pourrit. On est obligé de la vendre pour ne pas subir d’énormes pertes », relève Joseph Ouangrawa. La plupart des acheteurs sont des femmes venues de la capitale, Ouagadougou. Avec des paniers sur leurs motos, ces dames ne peuvent acheter, par jour, qu’entre 100 et 200 kg de papaye chacune, aux dires du producteur Idrissa Kanazoé. Les gros clients, souffle-t-il, viennent de Pouytenga, dans la région du Centre-Est, ou parfois de Niamey, au Niger. Quand ceux-ci débarquent avec leurs camions, les producteurs se frottent les mains parce que des tonnes de fruits sont écoulées sur place. « Cette année, les Nigériens sont venus deux fois seulement. Seules les femmes de Ouagadougou sont régulières du fait de la proximité », révèle Patrice Compaoré. Cette mévente donne parfois du fil à retordre aux producteurs qui assistent impuissants au pourrissement de leurs papayes dans les champs. Toutefois, ils disent ne pas baisser les bras.

Bien que facile à produire, la papaye a pourtant besoin d’investissements. C’est là où le bât blesse. Beaucoup de producteurs estiment leurs moyens très limités pour aménager de vastes espaces de terres. Madi Ouédraogo évalue entre 1 million 500 mille et 2 millions F CFA la somme minimale qu’il faut mobiliser pour planter un hectare de papayers. « Je veux agrandir ma plantation mais, malheureusement, les moyens font défaut. Alors que je ne peux pas avoir un prêt en banque », se désole-t-il. A l’entendre, le point d’eau situé à proximité de son domaine tarit en saison sèche, l’obligeant ainsi à aller chercher l’eau à plus d’un kilomètre dans le grand barrage pour irriguer sa plantation. En ce moment, il faut encore plus de tuyaux de canalisation, dont l’unité (6m de long) coûte entre 3 500 et 5 000 F CFA.

 La cherté des intrants et du matériel de production

En outre, note Madi, les motopompes et les engrais ne sont pas à la portée de toutes les bourses. « J’utilise la fumure organique mais chaque année, j’achète trois tonnes d’engrais chimique en raison de 350 000 F CFA la tonne », précise-t-il. N’eût été le manque de moyens, Idrissa Kanazoé allait disposer de 3 ha de papayers. En plus de la cherté du matériel de canalisation et des intrants agricoles (engrais et herbicides) qui limite sa production, il déclare utiliser une motopompe moins performante qui tombe régulièrement en panne, parce que ne supportant pas le poids du travail. « Je suis à près d’un kilomètre du barrage et canaliser l’eau avec des tuyaux jusqu’à ma parcelle n’est pas facile », mentionne le jeune producteur, l’air dépité.

Le coût élevé du matériel de travail ou des intrants et la mévente ne sont pas les seuls maux qui gangrènent le secteur de la papaye à Nakamtenga. Bon nombre de producteurs n’ont pas reçu de formation spécifique en la matière, à même de leur permettre de booster leurs rendements. D’où, parfois des tâtonnements dans la production. C’est sur le tas que M. Kanazoé a appris à cultiver la papaye. « Je n’ai jamais bénéficié d’une formation relative à la production de la papaye. C’est entre nous, producteurs, qu’on se donne des conseils et des astuces pour s’en sortir », acquiesce-t-il. Patrice Compaoré qui est dans la même situation que lui navigue aussi à vue. Par contre, Joseph Ouangrawa et Madi Ouédraogo font l’exception. Ils ont déjà reçu des formations sur la papaye même si M. Ouédraogo estime que ce n’est pas régulier. « Cela fait quatre ans que j’en ai bénéficié », relate le quadragénaire. M. Ouangrawa, quant à lui, reconnait avoir reçu à maintes reprises la visite d’un technicien d’agriculture venu de Koubri. Il se rappelle avoir acquis des connaissances sur la production de la papaye, notamment sur comment obtenir une bonne pépinière et planter utile. La physionomie de sa plantation en dit long sur la bonne application des enseignements reçus.

La forte production de la papaye dans la commune de Koubri fait aussi la fierté des autorités municipales. En plus de ravitailler la capitale, elle se frotte aussi les mains. Le maire, Marcel Zoungrana, estime que cette production est sans doute liée à l’existence de nombreuses retenues d’eau dans la localité. Cependant, déplore l’édile, ces points d’eau tarissent généralement en saison sèche, alors que le papayer est une plante qui a besoin d’eau en permanence. « Le papayer est un arbre fragile. Quand il y a manque d’eau, il crève », souligne le bourgmestre de Koubri. Etant horticulteur de profession, ayant plus de 20 ha de fruits dans la province du Bazèga, le maire Zoungrana avoue connaitre l’avantage de la production de la papaye pour sa commune. Même sans dévoiler les montants, il admet que cela procure des recettes à sa bourgade.

La concurrence de la papaye ghanéenne

Seulement, il déplore le fait que les marchés burkinabè soient envahis par la papaye venue du Ghana, depuis ces quatre dernières années. « Ce qui fait que nos producteurs ont du mal à écouler leurs fruits. La papaye solo du Ghana a une belle forme mais elle n’a pas un goût sucré comme celle du Burkina », détaille le maire. C’est pourquoi, il invite l’Etat à se pencher sur cette question afin de protéger les producteurs burkinabè de la mévente.

Se faisant le porte-voix des producteurs, il exhorte également les plus hautes autorités du pays à créer autant que possible des retenues d’eau dans chaque localité en vue de faciliter la fixation des jeunes dans leurs terroirs. « En plus des barrages, il serait bon qu’on ait des chambres froides pour la conservation de la papaye. Ce sont des fruits très périssables qu’on conserve difficilement, si fait que les gens sont souvent obligés de les bazarder. La transformation serait aussi la bienvenue », plaide le premier responsable de la commune.

Pour la Directrice régionale (DR) de l’Agriculture et des Aménagements hydro-agricoles du Centre, Kadidia Doro, la région a déjà l’avantage d’avoir beaucoup de retenues d’eau. Ce qui est, à son avis, un atout pour la production. En ce qui concerne les chambres froides, la DR se veut plus claire : « Il faut qu’il y ait des coopératives qui soient dans ces activités pour qu’on puisse les accompagner avec des équipements ou des formations. On ne peut pas aller inciter quelqu’un à le faire ». A l’entendre, des mini chambres froides existent déjà pour la conservation des fruits tels que la banane ou la papaye mais appartiennent à des coopératives. Pour la transformation, atteste Kadidia Doro, l’Etat y pense. Sinon, précise-t-elle, hormis la confiture de papaye faite par les petites unités, aucune autre transformation n’est expérimentée dans la région. « L’Etat ne crée pas des unités de transformation mais accompagne dans leur réalisation », fait savoir l’ingénieure d’agriculture. Elle dit reconnaitre la cherté de l’engrais chimique mais la solution semble n’être pas pour demain. Etant fabriqué hors du pays, c’est sans doute le transport qui fait grimper les prix, à son avis. « L’engrais reviendra moins cher au producteur quand il sera produit ici. Le ministère est dans une dynamique qui est de produire l’engrais à base de phosphate dans la région de l’Est. Cela aura l’avantage de réduire les coûts », explique la DR. En attendant, elle exhorte les producteurs à utiliser la fumure organique (bouse de vache, fiente de volaille, compost…) qu’elle juge comme étant la meilleure fertilisation qui existe.

Chaque année, avance Mme Doro, l’Etat met à la disposition des producteurs des semences améliorées, des engrais, des pesticides, des équipements agricoles et des animaux de trait. Ces appuis sont destinés aux populations vulnérables et non spécifiquement aux producteurs de papaye. En tout état de cause, la DR recommande aux producteurs de papaye de toujours exprimer leurs besoins auprès des agents d’encadrement qui sont dans les différents villages.

Mady KABRE

 Encadré

De la nécessité de créer une filière

Au regard de l’importance de la production de la papaye au Burkina Faso, la création d’une filière pour mieux organiser les acteurs (producteurs, vendeurs, transformateurs) s’impose. Pour la directrice régionale en charge de l’agriculture du Centre, Kadidia Doro, il appartient aux acteurs de prendre l’initiative sans attendre l’intervention de l’Etat. Car, souligne-t-elle, on s’est rendu compte que si l’Etat crée une filière et demande aux acteurs de la gérer, ça ne marche pas.

M.K

 

Le tangelo, un autre fruit qui tente les producteurs

A Nakamtenga, les agrumes, notamment le tangelo, sont également produits. L’idée de se lancer dans cette autre aventure a effleuré l’esprit de bon nombre de producteurs de papaye mais n’a pas prospéré. La raison, selon eux, est que la production du tangelo, bien que rentable, n’est pas une mince affaire. Cette spéculation demande des moyens colossaux. Si un seul pied de papayer coûte 50 F CFA chez les pépiniéristes, celui du tangelo vaut 1000 F CFA. Ce qui n’est pas à la portée de tous. En outre, sa production demande une main d’œuvre abondante, contrairement à la papaye.

M.K