Insécurité dans la région de l’Est : 93 000 enfants touchés par la fermeture des écoles

Le maire de Fada N’Gourma, Jean-Claude Louari, a égrené les actions de sa commune en faveur des EDI.

La crise sécuritaire qui secoue le Burkina Faso ces cinq dernières années ne cesse de faire des déplacés internes. Ce déplacement massif des populations vers les zones où règne l’accalmie entraine la déscolarisation de nombreux enfants. La région de l’Est qui semble être la plus durement éprouvée par les attaques terroristes a enregistré à la date de mai 2021, près de 93 000 enfants touchés par le phénomène.

Le Burkina Faso connait depuis 2015 une crise sécuritaire sans précédent. Cette crise a occasionné plus d’un million et demi de déplacés internes. La région de l’Est qui fait frontière avec le Niger, le Bénin et le Togo semble être la plus touchée par cette crise. Dans cette zone du Burkina, il ne se passe plus un seul jour, selon les autorités locales, sans qu’une attaque ne soit perpétrée contre les Forces de défense et de sécurité (FDS) et les populations civiles. Ainsi, selon le dernier rapport du Secrétariat technique de l’Education en situation d’urgence (ST/ESU), à la date de mai 2021, l’insécurité a entrainé la fermeture de 539 écoles du primaire et 109 établissements du post-primaire et secondaire dans la région de l’Est. Ces fermetures sont occasionnées d’une part, par la fuite des populations des zones en proie aux attaques et d’autre part, par le fait des hommes armés non identifiés qui intiment l’ordre de fermer ces écoles. Selon les données du ST/ESU, cette situation a touché près de 93 000 enfants et environ 2 960 enseignants, tous ordres d’enseignement confondus à la date de mai 2021. Mais, le constat est que la crise s’est exacerbée au point que de mai à novembre, de la Tapoa à la Gnagna en passant par la Kompienga, le Gourma et la Komondjari, la grande majorité des établissements d’enseignement primaire et secondaire sont fermés ou sont en train de se fermer. Selon le Directeur régional de l’éducation préscolaire, primaire et non formelle (DREPPNF) de l’Est, Kayaba Natama, avant la crise sécuritaire, le Gulmu comptait près de 1 613 établissements avec plus de 6 500 enseignants. M. Natama s’exprimait à l’occasion d’une conférence publique, organisée par l’Association des journalistes du Burkina (AJB), le 6 novembre 2021, sur la thématique : « Accès à l’éducation à l’Est : quel sort pour les élèves déplacés internes ? » De ses dires donc, ce n’est plus un secret pour personne que la crise sécuritaire impacte durement le système éducatif burkinabè au point de saper tous les efforts. « Des centaines de milliers d’enfants sont privés d’éducation de base depuis maintenant cinq ans, sans grand espoir de rattraper le retard », confie-t-il. Mais qu’à cela ne tienne, le gouvernement tente de mettre les bouchées doubles en vue de respecter ses engagements et de gagner le pari de l’éducation pour tous. Pour ce faire, le ministère en charge de l’éducation, en collaboration avec des partenaires techniques a initié des actions.

Des actions porteuses de fruits

Pour le DREPPNF de l’Est, Kayaba Natama, l’Etat fait des efforts
en matière de réinscription des EDI.

Ces actions sont, entre autres, de l’avis de M. Natama, la création d’un Secrétariat technique de l’Education en situation d’urgence (ST/ESU), l’initiation de projets d’enrôlement des élèves déscolarisés à travers la Direction de la promotion de l’éducation inclusive, l’éducation des filles et du genre et la prise d’une circulaire sur l’obligation de réinscription des élèves déplacés internes, la mise en place de comités régionaux de redéploiement des acquisitions des communes où les écoles sont fermées.

A cela, s’ajoute « la mise en œuvre de plusieurs alternatives éducatives telles que la stratégie de scolarisation accélérée, le programme d’éducation par la radio, l’application des curricula de l’ESU et le double flux ». Egalement, des actions qui sont en cours, selon le DREPPNF de l’Est, sont la dotation en mobilier, en kits et vivres, le redéploiement du personnel enseignant des zones où les établissements sont fermés, la location de salles complémentaires, le recrutement d’enseignants communautaires, l’organisation de cours de rattrapage et la mise en œuvre de mesures incitatives ( dons de bourses, vélos, ration …). Toutes ces actions entreprises en vue de permettre l’accès à l’éducation des Elèves déplacés internes (EDI) sont en train de porter des fruits, à en croire le DREPPNF de l’Est. Ces initiatives, selon ses dires, ont permis de réinscrire plus de 27 680 EDI dont 20 383 au primaire et 7 297 au post-primaire, à la date de mai 2021.

Il rassure que des efforts sont toujours en cours en vue de toucher le maximum d’enfants qui sont dans cette situation. La commune de Fada N’Gourma, qui constitue le chef-lieu de la région de l’Est, enregistre le plus grand nombre de déplacés internes, selon les données du maire, Yendifimba Jean-Claude Louari. M. Louari a renseigné que sa commune enregistre de nos jours, un lycée, trois Collèges d’enseignement général (CEG) et trente-neuf écoles primaires fermés. Il s’agit du lycée de Namoungou et des CEG de Nagré, de Natiaboani et de Tagou. Tous ces établissements, selon lui, ont été délocalisés dans la ville de Fada N’Gourma. De plus, poursuit-il, des efforts ont été consentis et près de 9 345 élèves déplacés internes ont pu être réinscrits au primaire.

Parmi ceux réinscrits au primaire, l’on dénombre près de 7 569 au public et 1 776 au privé. Toutefois, M. Louari précise qu’au secondaire, il n’existe pas de chiffres clairs, mais il note que les statistiques font état de 773 EDI qui sont réinscrits dans certains villages de la cité de Yendabili. Le bourgmestre, tout en manifestant sa joie de voir ces enfants réinscrits, reconnait tout de même que des problèmes d’effectifs se posent. Ainsi, certaines écoles de la ville de Fada N’Gourma, qui initialement avaient des effectifs moyens de 300 élèves, se retrouvent avec parfois le double, voire le triple.

C’est le cas de l’école de Bapouguini A qui compte de nos jours 977 élèves, Bapouguini B avec près de 1 047 élèves. Aussi, poursuit M. Louari, l’école du secteur 1A compte à la date d’aujourd’hui, 1 225 élèves, celle du secteur 1C, 876 élèves et le secteur 1D, 1 146 élèves. Le conseil municipal de Fada, de l’avis de l’édile, a regroupé en 2020, les EDI des 31 écoles fermées à l’Ecole nationale des enseignants du primaire (ENEP) de Fada pendant deux mois pour les préparer à l’examen du CEP et au concours d’entrée en 6e. Cette action qui a concerné près de 892 élèves a aussi mobilisé 162 enseignants, 6 encadreurs pédagogiques et 14 maitresses et maitres d’internat. Egalement, une cantine, toujours selon le maire de Fada, a été instituée pour la circonstance.

Et ce sont 14 cantinières et un comité d’organisation fort de 20 membres qui ont mis les petits plats dans les grands pour la réussite de l’activité. Cette initiative a mobilisé un budget global de 16 392 000 F CFA, selon Yendifimba Jean-Claude Louari. La mairie de Fada dit également avoir œuvré pour la réouverture des écoles jadis fermées. Il s’agit de celles de Nagré, de Natiaboani et de Tagou. Avec un effectif initial de 324 élèves, ce sont 134 élèves qui ont été réinscrits. A Tagou, on enregistre 125 sur 232 et à Natiaboani A et B, on enregistre 247 sur 610.

Ce sont donc au total 506 élèves sur 1 166 qui ont été à nouveau recrutés. Aussi, le conseil municipal a-t-il pu recruter 14 enseignants volontaires payés par la mairie, sur ressources propres. En outre, la ville de Fada souhaite ériger de nouvelles écoles sur les sites des écoles pléthoriques. Il s’agit de Bapouguini A, B et du secteur 1D qui pourraient abriter deux nouvelles écoles chacune et du secteur 1A qui aura trois écoles. Aussi, M. Louari a manifesté sa volonté d’organiser une opération spéciale de recherche et de recrutement des élèves du post-primaire et du secondaire à travers la ville de Fada N’Gourma et ouvrir des classes en fonction pour les recevoir d’une part. Et d’autre part, recruter des professeurs suivant les besoins exprimés.

De la contribution des syndicats 

Le responsable syndical, Yssa Kintiga, soutient que l’EDP accueille gratuitement les EDI.

Les syndicats réunis au sein de la Coordination régionale des syndicats de l’éducation (CRSE) de l’Est ne sont pas restés insensibles face à la question des EDI. Ils ont travaillé à soutenir la réinscription de certains élèves. Le coordonnateur de la structure, Yssa Kintiga, a indiqué que depuis le début de la crise sécuritaire, les syndicats ont initié l’inscription gratuite des élèves déplacés internes à l’EDP (Ecole démocratique et populaire). Ainsi, « au cours de l’année scolaire 2020-2021, ce sont au total 21 élèves déplacés internes que l’EDP/Fada a accueilli », confie M. Kintiga. D’autres actions concrètes ou d’accompagnement des autorités éducatives dans la recherche et la mise en œuvre de certaines solutions afin de faciliter l’accès des élèves déplacés internes à l’éducation sont initiées. A cet effet, M. Kintiga cite, entre autres, l’accompagnement des autorités régionales dans la délocalisation de certains établissements et l’inscription systématique des élèves déplacés internes dans les établissements d’accueil, souvent sans tenir compte des normes en matière d’effectif à ne pas dépasser. Egalement, les structures syndicales ont organisé des cours de renforcement au profit des élèves déplacés internes avec l’appui de certaines structures telles que l’UNICEF et le regroupement et l’organisation des cours de rattrapage et des examens spéciaux (CEP et BEPC) au profit des élèves de CM2 et de 3e, en 2019. « Les syndicats (notamment la F-SYNTER) ont œuvré à la suspension de la perception des frais auprès des élèves déplacés internes par certains responsables d’établissements », se félicite M. Kintiga.

Rabiatou SIMPORE