Recyclage des pneus usagés à Ouagadougou : Une seconde vie est encore possible

Les chefs-d’œuvre exposés à la boutique As’soué.

Au Burkina Faso, la plupart des pneus usagés sont abandonnés dans la nature. Les effets néfastes sur l’environnement sont indéniables. La situation est préoccupante à Ouagadougou, la capitale, où la production de ces déchets pneumatiques reste élevée. Face à ce constat, certains jeunes tentent de les recycler pour leur donner un second souffle. Fauteuils, poubelles, pots de fleurs sont quelques-uns de leurs chefs-d’œuvre que nous avons découverts aux quartiers Pissy, Kalgondin et Dapoya.

Amadou Touré, dans une étude pour son Master à l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2iE), indique que la production annuelle des déchets pneumatiques dans la ville de Ouagadougou était de 8 185,67 tonnes/an en 2015. Selon lui, 13,78% seulement de ces pneus sont transportés au centre de traitement et de valorisation des déchets, 42,68% sont recyclés ou valorisés en énergie et le reste (43,54%) est rejeté dans la nature, sans aucune gestion particulière.

Une situation préoccupante pour tous et surtout pour les défenseurs de l’environnement. Face à ce constat, certains jeunes sont en croisade contre ce type de déchets dans la ville de Ouagadougou. Parmi eux, Dramane Sanogo. Ce trentenaire est le propriétaire de l’entreprise Sinaly écolo express, qui a pour objectif la valorisation de déchets. Avec lui, les pneus usagés trouvent un second souffle. Il les transforme en objets utilitaires, notamment en poubelles, en pots de fleurs…

Un tour dans son atelier situé au quartier Pissy de Ouagadougou, nous en dit long sur la passion de ce jeune homme. Dès l’entrée de son lieu de travail (une cour à ciel ouvert), des monticules de vieux pneus vous accueillent. Un peu plus au fond, sont exposés quelques fruits de son travail. Ce sont des poubelles, des pots de fleurs, des pots de culture hors-sol. Une poubelle déjà prête attire l’attention. L’ossature de celle-ci montre quatre pneus superposés, fixés sur des barres de fer chapotées.

Le tout embelli par la peinture verte. Tidiane Sanogo fait partie des employés de son frère aîné, à pied d’œuvre sur la confection d’un canapé, explique : «J’ai besoin, en plus des pneus, de fer déjà forgé, de peinture, de tissu et de colle. La fabrication va me prendre 48 heures tout au plus». Quant à la source d’approvisionnement de la matière première (pneu), elle vient des vulcanisateurs ou des garagistes.

«Si je ne gagne pas gratuitement, j’achète l’unité tout au plus à 100 F CFA», confie le propriétaire des lieux. Pour le démarrage de son activité, M. Sanogo affirme : «C’est depuis 2015 que j’ai mûri cette idée qui consiste à donner un souffle nouveau aux pneus usés. Mais c’est en 2018, que j’ai pu créer la première poubelle en pneu, plus résistante. En 2019, l’activité est lancée à travers Sinaly écolo express», dit-il.

C’est soucieux de la sauvegarde de l’environnement que M. Sanogo dit embrasser ce métier. Il se justifie : «Après sept ans de travail comme comptable informaticien dans une entreprise, j’ai démissionné pour me consacrer à l’environnement». Les prix varient en fonction des objets et de la qualité du matériel qui les accompagne. «Nous avons huit prototypes de poubelles. Le prix va de 12 500 à 35 000 F CFA.

Nous arrivons à produire environ une vingtaine de poubelles par mois. Compte tenu de la limitation de notre budget, c’est difficile d’aller au-delà », déclare-t-il.

La rentabilité du travail

A l’entendre, l’activité est rentable à 100%. Combien gagne-t-il par mois ? « J’arrive à payer le loyer et les trois employés qui m’aident. Tout ce que l’on fabrique est écoulé. Nous ne faisons pas de publicité. C’est de bouche à oreille que les gens viennent à nous. On a de belles idées, mais l’argent fait défaut pour les réaliser », rétorque-t-il.

Dramane Sanogo est conscient de l’existence de la concurrence car, de plus en plus de jeunes s’adonnent à cette activité. « Nous avons été des sources d’inspiration à d’autres personnes. Le travail de celui qui a créé et celui qui copie ne peut pas être pareil. Le concurrent copie et il est limité. Mais le concepteur crée chaque jour. Je rends grâce à Dieu car tous les jours j’ai de nouvelles idées de création de poubelles», soutient-t-il.

Du côté opposé de Pissy, plus précisément à la Zone d’activités diverses (ZAD), nous avons découvert une autre personne qui est en croisade contre les déchets pneumatiques, Princesse Sévérine Poadiagué. Celle-ci est doctorante en médecine, Miss Burkina 2017. Responsable de la structure As’soué, elle intervient dans plusieurs domaines (le vestimentaire, les accessoires, la formation dans les métiers de l’art et de la transformation).

Elle fait aussi du recyclage des pneus, une de ses activités phares, depuis 2018. « Avec mon entreprise qui était déjà dans l’art, j’ai voulu faire quelque chose qui puisse allier l’écologie à l’art. C’est ainsi que l’idée m’est venue de faire du recyclage artisanal notamment celui des pneus. Il s’agit de créer de l’emploi, allier l’art au recyclage pour en faire quelque chose d’utile », annonce-t-elle. A la boutique As’soué, située sur l’avenue de la Jeunesse, plusieurs objets fabriqués sont exposés.

Avec une équipe composée de tapissiers, soudeurs, couturiers, tisseuses, gérante (8 permanents), elle propose au public des guéridons, des tables, des poufs, des fauteuils, des poubelles, des boites de rangement, des mini berceaux, des pots de culture de fleurs, des jouets éducatifs… Les prix vont de 10 000 F CFA et plus. Par exemple, sept fauteuils peuvent coûter 300 000 F CFA, 10 000 pour un pouf et 5 000 pour un pot de fleur. Les colliers faits à base de chambre à air coûtent 2 000 F CFA.

L’entrepreneure veut partager son savoir-faire dans ce domaine. C’est ainsi que, selon elle, 100 femmes déplacées internes ont été formées à Kaya. Sa structure les aide également à l’écoulement de leurs produits. Tout comme M. Sanogo, elle croit que ce métier nourrit son homme. «Le recyclage est un domaine où on peut faire 100% de bénéfices. Car la matière ne coûte pas cher. Même s’il faut combiner d’autres choses, on y gagne», dit-elle.

Des cordes, des puisards faits à partir de chambres à air usagées.

Elle a toutefois indiqué que c’est un business particulier, assez compliqué. «Il y a des périodes de vaches maigres où aucun client ne passe. Mais quand commande il y a, on peut avoir gros. Les recettes peuvent aller à 500 000 ou 700 000 F CFA par mois. Cela dépend des commandes ou des contrats», souligne Sévérine. Elle pense que le recyclage des pneus usagés a de l’avenir. Et qu’en plus des passionnés de l’art et des expatriés, la clientèle est devenue « monsieur tout le monde».

Comme dans tout travail, Dramane Sanogo rencontre des difficultés. Pour lui, la plus importante est le manque de moyens financiers. Il dit que ses ressources financières sont limitées et qu’il ne bénéficie pas d’accompagnement pour le moment. Il doit aussi faire face à l’augmentation régulière du prix de certains matériels comme le fer, le bois, la peinture. «C’est pourquoi, on chemine progressivement vers une association pour se faire aider», affirme-t-il. La responsable de As’soué quant à elle, se plaint surtout des périodes mortes où les clients se font rares.

Des projets qui donnent l’espoir

Le responsable de Sinaly écolo express ne manque pas d’idées. Il avance que bientôt on entendra parler des poubelles écologiques publicitaires connectées, destinées aux grandes villes. « Elles sont construites à partir de pneus, munies de panneaux publicitaires. Nous avons déjà le brevet», se réjouit-il. Il pense par ailleurs à une usine de broyage des déchets pneumatiques. A l’écouter, la poudre obtenue peut être utilisée pour faire des pavés, des dalles qui amortissent et du goudron.

« Il est aussi possible de faire des routes à base de pneus et de déchets. Nous sommes en train de travailler à ce que les déchets deviennent de l’or. Si ce projet marche, le Burkina Faso sera une source d’inspiration en 2025 pour beaucoup de pays», espère l’entrepreneur. Plusieurs projets tiennent à cœur Princesse Sévérine. Parmi lesquels, la création d’une usine de production. «Actuellement on est à 1/10 d’exploitation, car c’est la production artisanale.

De 2018 à maintenant, on a pu recycler que 19 000 pneus dans la ville de Ouaga. On aimerait aller au-delà, faire de la production semi-industrielle et recycler en quantité», confie-t-elle. Elle avance aussi l’idée de création d’une école pour former des écolo-entrepreneurs, dans le domaine de la maroquinerie.

Offrir des formations au profit des personnes déplacées dans les provinces, faire des pavés, des routes, des toitures, exploiter le fer après la désintégration du pneu sont autant de choses qu’elle souhaite réaliser. Il existe d’autres initiatives de recyclage des pneus usagés à petite échelle à Ouagadougou. Certains en font des sandales, des joints, des combustibles, etc.

Une composante du pneu permet à des gens de gagner leur pitance. Il s’agit de la chambre à air qui sert à attacher des chargements (marchandises), à puiser l’eau dans les puits. Elle est découpée en mètres. Saydou Démé en a fait sa principale activité au marché Sankariaré de Ouagadougou depuis 1987. La quarantaine sonnée, il dit la tenir de ses parents. «Les chambres à air usées du pays ne suffisent pas pour faire notre travail.

Il nous faut de grandes quantités qu’on importe de l’étranger (Italie, USA, France…) à 400 000 F CFA la tonne. On achète l’unité à partir de 2 500», dit-il. Une fois la matière découpée en morceaux (longueur supérieure à un mètre), M. Démé la propose à ses clients à 150 ou 200 F CFA l’unité.

Habibata WARA